L’IA peut-elle aussi décharger le personnel médical?

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Pieterjan Van Leemputten

Il n’existe aucun problème majeur qui ne puisse être résolu par l’IA, se targuent les grandes firmes technologiques. Dans les soins de santé, l’intelligence artificielle peut également aider à poser de meilleurs diagnostics et à permettre une administration plus fluide. Mais ce n’est pas non plus une solution miracle, et il convient donc d’examiner ce qui fonctionne par domaine et par application.

Les défis à relever sont grands dans les soins de santé. Une pénurie de médecins et d’infirmiers n’est pas faite pour réduire la forte pression au travail. Mais dans l’exercice de la fonction médicale, il s’agit également de consacrer beaucoup de temps à des tâches complémentaires aux soins proprement dits. C’est là que Microsoft espère jouer un rôle à différents niveaux.

‘Les systèmes sanitaires collectent des données depuis des années déjà, mais rarement assez que pour en tirer des informations avec l’IA’, explique Hadas Bitran, en charge de R&D Health AI au département Health & Life Science de Microsoft. ‘C’est à l’endroit voulu, au moment opportun et en combinaison avec d’autres données que l’IA s’avérera vraiment précieuse.’

Le système d’IA lui-même devra également satisfaire à nettement plus de conditions que la fenêtre de dialogue ChatGPT ordinaire. Voilà des propos que nous entendons régulièrement chez Microsoft et de la part des orateurs que l’entreprise a invités lors d’un événement consacré à l’importance l’IA dans les soins de santé européens. ‘On se retrouve avec un tas de normes de sécurité qu’il convient d’intégrer. Il est question de mise en conformité, de sécurité générale, d’abus, etc. On souhaite que ce genre d’outil serve à parler santé, à effectuer des audits et à être approuvé dans chaque pays’, affirme Bitran, qui fait aussi observer que Microsoft dispose à présent de cette approbation dans 52 régions.

Mais malgré toutes les louanges émises à propos de l’IA, Microsoft introduit la nuance, selon laquelle elle ne veut pas remplacer le médecin, mais bien l’assister et le décharger. ‘L’IA générative ne sera pas une alternative ni à l’expérience ni à la responsabilité humaine. Parallèlement, il nous faut être prudents aussi quant aux sources qui sont utilisées et aux effets potentiels de son utilisation.’

Milvue, une jeune pousse française, est depuis 2018 spécialisée dans les rapports de l’imagerie médicale. Elle soutient les radiologues en automatisant en partie leurs rapports. ‘A terme, nous souhaitons pouvoir le faire pour l’ensemble du flux de travail des radiologues’, explique la COO Peggy Séjourné. A l’entendre, son entreprise est ainsi capable de rendre les radiologues trente à quarante pour cent plus productifs en élaborant déjà une version brute du rapport qu’ils doivent rédiger. Il suffit ensuite au radiologue de vérifier celle-ci et de la compléter ou de la corriger si besoin est. Il nous faut ajouter ici aussitôt que ce genre de rapport représente déjà dans un certain sens une checklist standardisée. Ce qui rend le contrôle plus facile que par exemple un texte à part qu’il faut contrôler au niveau du contenu. Il s’agit actuellement aussi surtout de radiologie et de tomodensitométrie. A présent, cela convient moins bien aux scans dans les cas d’urgence.

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‘Cet aperçu humain reste obligatoire. De plus, l’IA n’est évidemment pas infaillible. Mais les radiologues reçoivent une formation. Ils savent comment leur outil d’IA fonctionne, ils comprennent comment les choses se passent et que la connaissance issue du système est étayée par des données provenant d’études cliniques’, ajoute encore Séjourné.

Chez le généraliste, il est surtout question de dicter des notes, ce qui permet aux yeux du médecin de fixer moins l’écran et plus le patient. A ce sujet, Microsoft a récemment effectué une enquête dans quelques pays d’Europe occidentale, y compris auprès de mille Belges. Dans notre pays, l’entreprise a appris que 29 pour cent des patients s’étaient déjà rendu chez un médecin qui regardait trop son écran lors de la consultation. 37 pour cent de ce groupe trouvaient cela frustrant.

A l’inverse, 38 pour cent des patients déclarent que leur médecin a déjà dicté des observations durant la consultation, alors que 58 autres pour cent indiquent que cela leur donne la possibilité de dialoguer plus activement avec leur médecin.

En matière d’IA, 36 pour cent des patients interrogés estiment que l’utilisation de l’IA est une bonne idée. 42 pour cent de ce groupe y voient l’opportunité pour le médecin d’avoir davantage de temps libre.

L’objectivité nous force toutefois à écrire que l’enquête a été menée au nom de la filiale de Microsoft, Nuance, qui commercialise la technologie vocale. Aucun résultat n’a été partagé non plus sur les avis ou expériences négatifs en matière d’IA ou de technologie vocale.

Traitement personnalisés

En clinique même, l’IA peut prendre différentes directions, et un chatbot peut s’avérer utile pour le personnel également. ‘Nous testons actuellement un copilote pour les médecins et les soignants où figurent tous nos protocoles’, explique Manuel Bosch Arcos, chief transformation officer du groupe hospitalier espagnol Ribera Salud. Le copilote est l’assistant d’IA que Microsoft développe et teste à présent dans divers secteurs.

‘Cela concerne entre autres la façon dont sont proposés les médicaments, mais aussi les règles d’application en Espagne ou, spécifiquement, notre manière de faire dans notre hôpital. Dans ce but, un médecin ne doit pas à chaque fois parcourir un tas de PDF à la recherche d’une réponse ou de la procédure correcte, mais il peut simplement le demander à Copilot qui possède déjà cette info et lui donne une réponse claire.’

‘Notre but est d’élaborer un trajet personnalisé complet au départ de l’idée que nous devons maintenir le plus grand nombre possible de personnes en bonne santé.’

La doctoresse norvégienne Ishita Barua, experte en IA médicale et co-fondatrice et chief medical officer de Livv Health, en est une adepte. Elle met en garde contre les pièges de l’IA, mais elle insiste tout autant sur les très nombreuses possibilités qu’elle offre. Selon elle, les pièges résident surtout dans les préjugés liés aux genres. Les corps féminin et masculin sont différents. Or l’examen médical repose souvent sur une recherche effectuée majoritairement sur des personnes de sexe masculin. ‘C’était souvent le cas avant 1999 surtout, ce qui fait qu’en cas de problème chez une femme, les médecins optaient plus rapidement pour une affection émotionnelle plutôt que médicale.’

Mais si on élimine ce préjugé des systèmes, il existera des possibilités. ‘L’IA deviendra alors un allié permettant des soins de précision ou des traitements uniques.’

Aucune alternative à l’expertise et à la responsabilité

Parallèlement, l’IA demeure une matière sensible dans un environnement médical. La prudence et des contrôles suffisants demeurent cruciaux, comme le souligne aussi Microsoft. ‘Il convient de déployer l’IA de manière réfléchie. On ne peut tout simplement pas recourir à ChatGPT pour un patient ou un médecin, point à la ligne. Il faut qu’il y ait des normes de sécurité et se servir avec circonspection des données utilisées comme base d’une réponse. En même temps, il convient de rester critique à l’égard de la qualité de la réponse’, affirme Hadas Bitran à ce propos.

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‘L’IA n’est pas un substitut à l’expertise, à l’expérience et à la responsabilité. Et tant le jugement d’un homme que celui de l’IA, qu’elle soit générative ou non, doit être appliqué de manière responsable et respectueuse. Voilà pourquoi nous y consacrons autant d’efforts.’ Ces efforts sont du reste déployés aussi au départ de la Belgique. Lors de l’entretien, elle insiste explicitement sur le fait qu’elle dispose d’une excellente équipe dans notre pays: ‘Veuillez indiquer dans votre article que je suis très fière d’eux.’

Une autre propriété des outils de Microsoft, c’est qu’ils recourent à ce qu’on appelle la ‘retrieval augmented generation’ (RAG). Cela signifie qu’un modèle n’est pas préalablement formé sur des données massives de patients, mais à partir d’informations les plus récentes, complétées éventuellement par les toutes dernières directives de l’hôpital. ‘Ce faisant, on forme le modèle au moment où on en a besoin, tout en s’assurant que la réponse sera basée sur les données actuelles du patient et sur les toutes dernières informations médicales ou directives pratiquées par l’hôpital’, selon Bitran. Elle n’exclut du reste pas que les hôpitaux qui misent fortement sur l’IA et la fiabilité des données, disposent à l’avenir d’un AI-manager. Dans le monde médical, les notions scientifiques peuvent parfois rapidement évoluer. Une telle personne ou système pourra veiller à ce que tous les médecins travaillent avec des informations les plus actualisées.

Ne rien conserver

Parallèlement, l’accès ou le traitement des données par une multinationale américaine s’avèrent aussi sensibles à l’ère des data. Mais ici encore, Bitran demeure sobre: ‘Avec la RAG, les données ne doivent pas être transférées en externe. Cela peut se faire dans l’application, au moment même. Mais Azure non plus ne conserve rien de superflu. Dans ce genre d’environnements, tout disparaît après 48 heures. Nous avons formé nos services dans différentes langues. Dans ce but, nous avons collaboré avec plusieurs acteurs dans le secteur des soins de santé pour assurer une formation reposant sur des données identifiées. A l’époque non plus, nous n’avons pas transféré ces données vers nos systèmes, mais avons eu recours à l’apprentissage fédéré.’ (Un type d’apprentissage machine, par lequel des paramètres spécifiques sont partagés, mais pas l’ensemble de données, ndlr).

‘Nous prenons très au sérieux les limites et la souveraineté des données. Si nous déployons quelque chose en Europe, ces données restent en Europe. Pour les services en matière d’analyse de textes dans les soins de santé, cela peut se faire aussi en mode container, où le service est disponible localement et où nous ne recevons que des données télémétriques pour la facturation.’ En résumé, l’intelligence artificielle, tout comme dans chaque secteur, aura au fil des ans aussi davantage accès aux soins de santé. Sera-ce pour autant un deus ex machina qui résoudra tout? Non. Mais au cas par cas, en accordant suffisamment d’attention aux sensibilités que sont les données des patients, ou aux éventuels préjugés dans les systèmes, l’IA offrira à coup sûr des opportunités. Tant pour fonctionner de manière plus efficiente que pour mieux soigner les patients.

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