Les leçons tirées de l’aventure des puces d’Apple: ‘On ne fabrique pas des produits révolutionnaires avec des puces héritées.’

Johny Srouji © Pieterjan Van Leemputten
Pieterjan Van Leemputten

Il est évident aujourd’hui qu’Apple utilise ses propres puces pour tous ses produits. Mais les débuts s’apparentèrent à un immense défi à relever en vue de fabriquer de meilleurs produits à long terme. On ne fabrique pas des produits révolutionnaires avec des puces héritées’, explique Johny Srouji, en charge de la technologie matérielle chez Apple.

En tant que Senior Vicepresident Hardware Technologies, Srouji joue un rôle crucial dans les appareils que l’entreprise introduit sur le marché. Il est arrivé à bord en 2008 et a développé depuis l’Apple A4 en 2010 toute une gamme de puces exclusivement pour Apple: de l’iPhone à l’Apple Vision Pro. 

C’est pour cette trajectoire innovante qu’il a reçu à ITF World le prix de l’innovation imec, un prix qui a déjà été décerné à d’autres grands noms comme Lisa Su (AMD), Bill Gates ou Lip Bu-Tan (depuis peu le nouveau CEO d’Intel). Pour Srouji, c’est là une occasion très rare d’expliquer comment Apple utilise ses puces pour repousser les limites du possible.

‘Au milieu des années 2000, nous préparions un nouveau produit avec une interface utilisateur très différente et d’autres fonctionnalités’, explique Srouji, faisant ainsi référence au premier iPhone. ‘Un ordinateur complet, mais plus petit et plus fin. Et comme il était censé être souvent utilisé, le budget énergétique alloué était limité. Nous avions besoin de notre propre silicium.’

Nous avions besoin de notre propre silicium

Selon Srouji, Apple a alors envisagé de s’adresser à un acteur tiers. ‘Cela nous permettait de demander à un fournisseur des quantités et des spécifications exactes. Fabriquer la puce nous-mêmes aurait été plus ardu, car il fallait disposer des personnes compétentes, capables de créer le concept parfait. Mais par ailleurs, disposer de notre propre puce aurait été le trajet le plus efficient, car dans ce cas, il était possible de développer ce qu’on voulait, spécifiquement dans l’optique de nos objectifs, sous peine de ne pas pouvoir nous distinguer.’

Le premier iPhone de 2007. © AFP via Getty Images

Aujourd’hui, Samsung, Huawei et Xiaomi conçoivent leurs propres puces. D’autres acteurs se tournent généralement vers Qualcomm ou Mediatek. ‘La plupart des fournisseurs de silicium pour smartphones ne disposaient pas de la technologie adéquate pour supporter une interface tactile. Nous ne pouvions pas en faire ce que nous voulions. On ne fabrique pas des produits révolutionnaires avec des puces héritées.’

Des smartphones existaient déjà avant l’iPhone, mais ils étaient essentiellement des versions réduites du PC classique. Après la sortie de l’iPhone en juin 2007, ce n’est qu’un an et demi plus tard, en octobre 2008, que le premier téléphone Android (le HTC Dream, connu aux Etats-Unis sous l’appellation T-Mobile G1) a suivi, mais il n’était pas multitouch. Même si cela était principalement dû au fait qu’Apple en possédait les brevets.

Développement et mise à niveau

La première puce d’iPhone fut l’Apple A4, un CPU monocœur et un GPU à 190 millions de transistors. Plus tard, cette puce allait également équiper le premier iPad. ‘Mais nous savions déjà à l’époque que l’iPad aurait besoin de sa propre puce caractérisée par une puissance de calcul supérieure et une bande passante plus importante. Nous avons répété le processus, mais à la mesure de l’iPad.

L’étape suivante a été de réduire encore la taille de l’Apple Watch. ‘Subitement, il ne s’agissait plus de milliwatts, mais de microwatts’, explique Srouji. Cette puce était l’Apple S1, où 338 millions de transistors étaient installés sur une puce de 28 nanomètres.

L’Apple Watch a ouvert la voie aux Airpods, et même s’ils ne sont pas considérés comme des modèles de puissance de calcul, Srouji souligne qu’ils nécessitaient, plus qu’ailleurs, une puce personnalisée: la W1, une puce de 65 nanomètres avec 53 millions de transistors. ‘Nous y avons prévu une connectivité intégrée avec Bluetooth, un traitement audio à très faible consommation et des exigences énergétiques encore plus strictes qu’auparavant.

Pas de plan de secours pour Mac

Srouji parle avec enthousiasme des nouveaux produits pour lesquels il a développé les puces. Mais l’un des plus grands défis à relever s’est manifesté, lorsqu’Apple a renoncé à d’Intel pour utiliser ses propres puces pour le Mac en 2020. ‘C’était un pari osé.’

‘Il n’y avait pas de plan de secours, nous n’allions pas lancer des gammes de produits scindées avec deux types de puces. Mais la M1 utilisait la même architecture évolutive sur laquelle nous travaillions depuis une décennie après l’iPhone.’ Les exigences en puissance de calcul du Mac étaient bien plus élevées que celles des autres produits, le GPU était plus imposant, et le CPU devait être capable de piloter des applications plus nombreuses et plus importantes. Outre la M1, il y eut également les M1 Pro, M1 Max et M1 Ultra, plus lourdes, cette dernière étant une puce de 5 nanomètres à 114 milliards de transistors.

Le Macbook Pro avec puce M1. © Future Publishing via Getty Images

En route vers le Vision Pro

Srouji considère les différentes évolutions sur les appareils comme des éléments de base. En maîtrisant l’ensemble du processus, le logiciel et le matériel peuvent être parfaitement harmonisés, en combinaison avec des puces devenues plus petites, mais plus performantes. Cela a ouvert la voie à un appareil entièrement nouveau début 2024: l’Apple Vision Pro.

‘A cette fin, nous avions besoin de l’efficience d’Apple Silicon, notamment pour permettre à deux écrans haute résolution de communiquer en temps réel. Cela nécessitait une collaboration étroite entre les puces, les capteurs, les appareils photo, les écrans et les logiciels. Un summum technologique!

© Apple

Focus et contrôle

Apple aime concevoir ses propres puces, car cela lui donne plus de liberté. Mais Srouji évoque également ce qu’il a appris au cours des deux dernières décennies.

‘Il faut avoir un system focused design. Nos puces sont optimisées pour que la puissance et la consommation énergétique correspondent aux besoins. Nous le faisons pour chaque appareil et nous y arrivons grâce à l’intégration verticale de la technologie, du matériel et des logiciels. Nous ne sommes limités que par la physique.’

Nous ne sommes limités que par la physique

Ensuite, Srouji incite à prendre de gros risques. ‘Une entreprise technologique au pipeline important comme Apple doit faire de gros paris sur le long terme. Vous les prévoyez bien à l’avance, qu’il s’agisse d’architecture ou de la façon dont vous allez fabriquer certaines choses.’

‘Mais il faut aussi pouvoir s’adapter si nécessaire. Apple occupe une position unique à cet égard, puisqu’elle dispose d’une profonde pile qui lui permet de faire ce genre de paris. Mais elle peut également pivoter le cas échéant.’ Srouji ne révèle cependant pas pour quels produits ni dans quelle mesure cela fut nécessaire.

Planifier longtemps à l’avance

Srouji souligne que travailler le plus efficacement possible garantit de meilleures performances. Il ne le déclare pas littéralement, mais on peut déduire de ses propos qu’en faisant en sorte que des appareils comme l’iPhone utilisent la capacité de leur batterie de manière optimale, ils pourraient être rendus plus minces. Mais il s’agit aussi de savoir longtemps à l’avance jusqu’où on veut aller, avant que la puce ne soit prête.

C’est avec l’imec à nos côtés que nous avons pu et que nous pouvons réaliser tous ces progrès.

‘Le silicium ne pardonne pas. Vous voulez effectuer le plus de travail possible avant de fabriquer la puce: une bonne architecture, autant de validations que possible en amont. Toutes ces étapes prennent des mois, car vous ne voulez pas découvrir des obstacles fondamentaux une fois que vous avez la puce.’

Utilisez toujours les meilleurs outils et technologies disponibles. Vous ne voulez être limité que par les lois de la physique et par rien d’autre.

Srouji conclut son discours à ITF World en adressant des remerciements à l’imec. Il reconnaît ainsi que l’innovation d’Apple a été en partie permise grâce au centre de recherche flamand. ‘L’innovation chez imec est fondamentale pour toutes ces améliorations. C’est avec l’imec à nos côtés, conjointement avec nos usines et nos partenaires, que nous avons pu réaliser toutes ces avancées et construire de nouveaux produits révolutionnaires.’

Johny Srouji reçoit le prix de l’innovation de l’imec des mains de Luc Van den hove, PDG de l’imec. © Pieterjan Van Leemputten

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