
Guillaume Boutin et Rajdip Gupta (Proximus): « Il n’y a aucune autre entreprise au monde qui propose ce que nous faisons »

Dans le cadre du Mobile World Congress, Data News s’est entretenu avec Guillaume Boutin, CEO démissionnaire de Proximus, et Rajdip Gupta, qui dirige les activités à l’international.
« Nous allons essayer de changer les visuels demain », explique Boutin alors que nous arrivons sur le stand de Proximus Global. L’entreprise créée en décembre à la suite de la fusion de BICS, Telesign et Route Mobile ne se présente pas encore sous son nouveau nom au salon, mais les affiches pourront encore être adaptées, du moins espère-t-on.
Quelques semaines après notre entretien, Boutin annonçait sa décision de quitter l’entreprise en mai pour Vodafone. Ses fonctions de CEO de Proximus Group seront entre-temps assumées ad intérim par Jan Van Acoleyen, et celles de CEO de Proximus Global par Mark Reid, comme l’a annoncé l’entreprise quelques semaines après cette interview. Rajdip Gupta, fondateur de Route Mobile rachetée par Proximus, reste en fonction en qualité de directeur Global Business de l’organisation internationale.
Votre présence à MWC est-elle devenue plus importante au moment où vos projets internationaux sont plus ambitieux ?
GUILLAUME BOUTIN: C’est extrêmement important dans la mesure où l’ensemble du secteur y est présent. Et notamment nos partenaires et nos clients. Nous desservons l’international et nombre de nos clients sont des entreprises technologiques. Nous maintenons le dialogue, mais concluons également des contrats, ce qui explique la présence d’une équipe de 70 personnes. Dans le même temps, c’est un bon endroit pour prendre le pouls de la concurrence. C’est l’occasion de présenter nos atouts. Route Mobile et Telesign étaient présentes l’année dernière avec leur propre stand. En tant qu’opérateur belge, il n’est guère pertinent d’être présent, mais avec Proximus Global, c’est une obligation. Nous sommes en effet le 3e plus grand CPaaS ou Communications Platform as-a-Service au monde.
RAJDIP GUPTA: Meta, Amazon et Google sont autant d’entreprises auxquelles nous livrons des services et la concurrence est très présente, mais des concurrents comme Twillo ou Sinch comptent également parmi nos clients sur le marché asiatique. Au total, nous traitons entre 30 et 40 milliards de transactions par trimestre, soit 125 milliards de transactions sur notre plateforme. En termes de volume, nous sommes le 2e ou le 3e plus gros opérateur au monde. C’est la spécificité de Proximus Global : Route Mobile est forte en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine, tandis que BICS est très présente en Europe et en Afrique, et Telesign aux États-Unis. Aucune autre entreprise de cet écosystème n’a une telle couverture.
Proximus a été très critiquée l’an dernier par le MR et la NV-A pour ses projets à l’international. Entre-temps, ces partis forment le nouveau gouvernement et vous serez bientôt parti. Craignez-vous que les ambitions de Global soient bientôt rognées ?
BOUTIN: Je ne le crois pas. Lors des dernières discussions avec le gouvernement, elle [Vanessa Matz des Engagés, compétente notamment pour les entreprises publiques, NDLR] a déclaré assez explicitement que nous suivions la bonne stratégie et que nous engrangions des résultats. Notre croissance est rapide et l’entreprise est solide. Dans le même temps, nous entendons cristalliser la valeur de Proximus Global dans les 3 à 4 ans pour nos actionnaires. Pour ce faire, plusieurs voies peuvent être suivies : une introduction en Bourse, une spin-off ou des partenariats stratégiques. Le choix n’a pas encore été arrêté, mais nous avons fait la promesse à nos actionnaires de valoriser l’entreprise d’une manière ou d’une autre. D’aucuns se demanderont si le processus ne peut pas être accéléré, mais cela ne me semble pas logique. Nous sommes pour l’instant en train de mettre en place la nouvelle organisation et de nombreuses synergies doivent encore être finalisées. Si l’on devait à nouveau scinder l’entreprise ou l’introduire en Bourse, il ne serait pas possible de maximiser la valeur des synergies.
« Si vous pensez pouvoir, en tant qu’acteur télécom européen, concurrencer un géant US de la tech, je vous souhaite bonne chance. Il est irréaliste de penser que l’on va pouvoir demain se mesurer avec eux au coude à coude. »
Conserver pour l’instant Proximus Global apporterait davantage de valeur à terme ?
BOUTIN: Vous devez d’abord intégrer, puis exécuter et cela prendra certainement deux ans encore. Par la suite, il conviendra d’envisager les étapes suivantes, ce qui explique que nous ayons prévu un calendrier de 3 à 4 ans. Aller trop vite générerait moins de création de valeur. L’entreprise Proximus Global n’existe d’ailleurs que depuis le 17 décembre dernier.
Rajdip Gupta va diriger les activités internationales dans l’attente d’un nouveau CEO au sein du groupe Proximus. Est-ce pour garantir la stabilité opérationnelle de la nouvelle branche internationale ?
BOUTIN: Il est le bon profil. Il a fondé Route Mobile et possède un bagage énorme dans le métier.
GUPTA: Je suis moi-même investisseur dans l’entreprise et c’est un secteur dans lequel j’ai déjà plus de 20 ans d’expertise. Par ailleurs, l’entreprise a grandi pour passer d’un acteur indien à un fournisseur global. Mais je ne suis pas seul dans l’aventure puisque je peux compter sur une équipe de direction qui possède une très vaste compétence dans différents domaines. Nous savons les étapes que nous devons franchir, que l’on s’oriente à terme vers une vente, une entrée en Bourse dans les prochaines années, ou autre chose encore. Cela dit, ma préférence personnelle va à une IPO. C’est d’ailleurs un domaine dans lequel je possède une certaine expérience puisque Route Mobile est cotée en Bourse depuis 2020 et que nous savons comment faire grandir une organisation. Mais quelle que soit l’issue, ma mission, même si Guillaume nous quitte, est de faire de Proximus Global une réussite.
Quels sont les critères qui définissent si Proximus Global entrera en Bourse, sera vendue ou autre chose encore ?
GUPTA: La décision appartient au conseil d’administration. Mon rôle est de présenter des propositions et il revient au CA et, dans le prolongement, au gouvernement belge de prendre la décision. Mais pour l’instant, nous n’existons que depuis quelques semaines et si l’idée devait surgir demain d’une vente de l’entreprise, je préciserais que nous sommes en pleine phase de synergie entre les trois entreprises et que nous devons encore expliquer la situation à nos clients, ce qui prend du temps. Mais si nous faisons bien les choses, les chiffres parleront d’eux-mêmes. Je pense sincèrement que nous offrons une plus-value à nos clients, ce qui explique d’ailleurs que j’aie investi personnellement dans l’entreprise. Il n’y a aucune autre entreprise au monde qui propose ce que nous faisons et nous nous y consacrons à fond
Que faut-il entendre par ‘synergies’ ?
GUPTA: Prenez cet exemple : Telesign est une entreprise américaine qui fournit des services à Meta pour 5 à 10 pays, mais nous n’avions pas de connectivité pour eux en Inde, au Sri Lanka ou dans certains pays limitrophes. Grâce à une synergie, ils ont aussi accès à la connectivité de Route Mobile et désormais, nous les connectons dans 20 pays. Ils ne doivent pas rechercher un partenaire supplémentaire dans la région. De la même manière, BICS propose une excellente connectivité en Afrique, laquelle sera à son tour exploitée par Route Mobile et Telesign pour leurs activités.
Les géants de la tech comme Meta investissent également dans leur propre connectivité. Est-ce de la concurrence ou autre chose ?
BOUTIN: C’est totalement différent. Meta n’est pas un opérateur de réseaux mobiles, mais utilise notre connectivité directe avec le reste du monde. Via Route Mobile et un partenaire en Afrique, ils étendent ainsi leurs activités d’antifraude dans cette zone grâce à notre connectivité directe sur place, ce qu’ils ne feraient pas autrement. Certes, ils posent leurs propres câbles sous-marins, mais nous leur fournissons la connectivité vers les réseaux mobiles existants.
GUPTA: L’atout majeur qui résultera de la fusion des 3 entreprises est que nous avons des relations fortes avec les opérateurs aux États-Unis et en Asie. Telesign dispose de spécialistes en sécurité, surtout outre-Atlantique, mais le plus grand marché en matière de fraude numérique se situe en Asie. Dès lors, nous allons pouvoir proposer des produits développés par Telesign non seulement en Inde, mais dans aussi le reste de l’Asie. En Inde d’ailleurs, nous comptons déjà l’ensemble des banques comme clients directs. En d’autres termes, pas besoin d’investir dans un nouveau produit, ce qui nous permet de nous concentrer sur ce que nous pouvons faire ensemble. C’est presque du ‘plug & play’.
« Nous ne sommes peut-être pas toujours l’acteur le plus séduisant, mais nous gagnons des clients là où Telenet en perd. »
Proximus compte de nombreux rachats à son actif : à l’international, il y a désormais Proximus Global, tandis qu’en Belgique, plusieurs sociétés B2B sont associées, comme Proximus NXT. Qu’avez-vous appris chez Proximus que vous pourrez apporter dans la branche d’investissements de Vodafone ?
BOUTIN: Que nous devons réinventer le secteur. C’est ce que nous faisons avec Proximus Global : trouver une manière de mieux monétiser les réseaux télécoms à l’avenir, en exploitant tous les aspects d’un réseau. Par le passé, nous avons lancé les SMS, mais demain nous proposerons la ‘qualité à la demande’. Les API permettent de mieux optimiser la capacité réseau des telcos à l’échelle mondiale. Voilà le défi. N’allez pas imaginer pour autant que je fais faire exactement la même chose dans mes nouvelles fonctions, mais j’entends mettre à profit ce nouveau poste pour veiller à avoir un regard nouveau sur le secteur des télécoms. La pression des grands acteurs techs s’intensifie et les acteurs télécoms sont toujours plus en difficulté : dès lors, il faut trouver un nouvel équilibre entre les grands acteurs télécoms européens et les géants américains de la tech.
Les acteurs télécoms ne doivent pas devenir des entreprises tech, mais mieux exploiter ce qu’ils ont aujourd’hui pour desservir ces géants de la tech comme client ?
BOUTIN: Si vous pensez pouvoir, en tant qu’acteur télécom européen, concurrencer un géant US de la tech, je vous souhaite bonne chance. Il est irréaliste de penser que l’on va pouvoir demain se mesurer avec eux au coude à coude. Cela étant, des domaines comme les API pour mieux exploiter les capacités des réseaux pourraient permettre aux telcos européens de créer de nouveaux environnements dans lesquels les rapports de force seraient mieux équilibrés. Avec Global, nous essayons d’en arriver à une plus grande convergence entre tech et telco et je pense que c’est l’évolution que doit suivre le secteur s’il veut devenir puissant d’ici 10 ans. L’Europe doit saisir cette opportunité si nous voulons avoir voix au chapitre dans les 5 à 10 prochaines années. C’est ce que je souhaite concrétiser dans mes nouvelles fonctions.
Les consommateurs clients de Proximus se trouvent dans un seul et même pays, n’est-pas là un risque pour Proximus ?
BOUTIN: Non, compte tenu de Proximus Global qui dessert effectivement des clients dans le monde entier. Cette activité est une opportunité pour orchestrer les connexions vers ces différents réseaux locaux. Pour ce faire, vous avez besoin d’une ‘couche’ comme Proximus Global, y compris des acteurs tels que Vodafone, Deutsche Telekom, Proximus, etc. pour disposer d’une interface entre les services et les utilisateurs finaux. Cela ouvre des possibilités énormes pour Rajdip et ses équipes. Mais Proximus peut également, en tant qu’entreprise télécom belge, tirer parti d’une meilleure monétisation de son réseau grâce à de nouveaux services. L’exemple que nous pouvons citer à cet égard est celui d’un grand match de football où Netflix pourrait notamment promouvoir une série sur le foot avec un teaser en 4K envoyé sur chaque téléphone. Dans ce cas, il faut pouvoir être certain d’offrir une qualité de diffusion 4K à l’endroit où les supporters se réunissent. Dans ce cas, nous pourrions demander un certain montant à Netflix en échange d’une garantie que leur vidéo sera diffusée avec la meilleure qualité possible à l’endroit et à l’heure spécifiées. Il est possible de s’appuyer pour ce faire sur la 5G standalone [où tant le cœur que la radio est basé entièrement sur la technologie 5G, NDLR]. Proximus est gagnante comme opérateur réseau, Netflix est assurée que sa vidéo pourra être diffusée et Proximus Global intervient comme prestataire de service susceptible de pouvoir aussi offrir ce produit sur le réseau de Telenet ou d’Orange par exemple sachant qu’en tant que service de diffusion, nous ne souhaitez pas vous limiter aux clients d’un seul opérateur télécom.
« Ma préférence personnelle va à une IPO. »
Où en est Proximus au niveau de la 5G standalone et de la migration vers la 5G Advanced ?
BOUTIN: Ces évolutions arrivent à mesure que nous passons de Huawei à Nokia, sachant que nous visons fin 2026 comme échéance.
Comment vous positionnez-vous désormais vis-à-vis de Digi ? Est-ce une moins grande menace qu’à leur lancement voici 2 mois ?
BOUTIN: Nous avons été très clairs à ce sujet lors de la présentation de nos résultats : les choses sont encourageants, il s’agit d’une nouvelle marque, mais qui est active sur un marché très low cost, soit un segment qui ne nous intéresse pas.
C’est pourtant un segment sur lequel vous êtes bel et bien présents, avec Scarlet et Mobile Vikings.
BOUTIN: Certes, mais nous savons la qualité qu’ils offrent, ou plutôt qu’ils n’offrent pas. Il y a par ailleurs une différence de 2 ans entre l’offre de Scarlet et celle de Digi. Mais il appartient au client de faire son choix. En dépit de ces nouveaux-venus, notre base de clients en postpaid continue à grandir. Je ne les craignais pas à l’époque, pas plus qu’aujourd’hui. Les choses évoluent comme nous nous y attendions. Cela étant, je pense que nous devons encore nous habituer et nous adapter quelque peu. On pense souvent que le marché belge est comparable à celui des autres pays européens, et notamment le Portugal, l’Espagne ou la Roumanie [des pays que couvre la maison mère roumaine de Digi, qui détient la moitié de Digi Belgium, NDLR]. Or tel n’est pas le cas. Dans une certaine mesure peut-être, mais l’heure de vérité a désormais sonné.
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