Dans les coulisses informatiques des « Jeux olympiques les plus numériques de l’histoire »
Plus de quatre ans et demi à travailler pour ce moment où, soudain, 20 millions d’utilisateurs dépendent totalement de votre infrastructure informatique : voilà à quoi ressemblent les Jeux olympiques du département IT.
Atos est un partenaire clé des Jeux olympiques depuis plus de 35 ans. Mais ce 7 août 2024 est historique : alors que les Jeux entrent dans leur dernière ligne droite, c’est la première fois que l’intégrateur informatique ose inviter la presse à venir admirer le Technology Operations Center (TOC) « en live ». Patrick Adiba, CEO Major Events chez Atos, semble pourtant confiant quand il ouvre les portes de « son » Technology Operations Center à Paris. « Nous disposons d’un département Major Events au sein d’Atos depuis 1992, quand nous sommes devenus le partenaire informatique des Jeux olympiques de Barcelone. D’ailleurs, nous avons toujours d’un Central Technology Operations Center à Barcelone. Madrid et donc Paris sont venus s’y ajouter entre-temps. Pour chaque événement sportif, nous utilisons toutes les technologies disponibles à ce moment-là. Bien sûr, l’évolution a été énorme. En 1992, il ne s’agissait que de PC, de câbles et de serveurs locaux. Le scope de nos services n’a ensuite cessé de s’étendre pour en arriver aux Jeux fully connected que nous vivons aujourd’hui », explique-t-il non sans une certaine fierté. Ces « Majors Events » comprennent non seulement les Jeux olympiques et paralympiques – qui auront lieu dans les prochaines semaines –, mais aussi les Paralympics, les Jeux européens et les compétitions de l’UEFA, comme l’Euro du début de l’été.
Complexité
Nous sommes immédiatement frappés par l’aspect routinier – ou mieux, par la maturité – de l’organisation IT qui opère derrière les Jeux. Ce n’est peut-être pas un hasard : de nombreuses personnes y sont impliquées de longue date et travaillent en étroite collaboration depuis des années. C’est le cas de Patrick Adiba, mais aussi de son « bras droit » au Comité international olympique : John Giancarlo, qui porte le titre ronflant de Associate Director Olympic Games Technology & Energy. Il fait en quelque sorte office d’agent de liaison d’Atos au sein du CIO. « Je travaille avec Patrick depuis 2004 », explique Giancarlo. « Nous savons désormais au sein du CIO qu’ils sont parfaitement à même de servir toutes les parties prenantes des Jeux – des athlètes aux médias en passant par les sponsors et autres partenaires, les visiteurs, l’équipe technique ou les différents fournisseurs de services logistiques. Cela peut sembler logique, mais ce n’est absolument pas le cas. Entre l’enregistrement, la délivrance des accréditations et le chronométrage, les Jeux sont un événement d’une incroyable complexité. Et surtout : il s’agit de servir une foule de parties prenantes et des publics différents. À ce niveau, ce n’est plus du business as usual ou de “simples” applications opérationnelles. Il s’agit de gestion de projet à très grande échelle », explique le responsable de la technologie au CIO. « Et avec 20.000 journalistes accrédités, les journaux se font immédiatement les choux gras du moindre problème », sourit Adiba.
Hub central
La complexité générée par les multiples parties prenantes se traduit également dans l’architecture informatique proprement dite. En tant que « partenaire IT exclusif », Atos assume le rôle de prestataire de services IT et surtout d’intégrateur. « Nous réunissons des personnes, des processus et de la technologie dans un système où tout interagit : un véritable hub informatique pour tout ce qui a trait aux Jeux », embraie Nacho Moros, COO Major Events chez Atos. Au total, on recense ainsi plus de 150 applications informatiques critiques. L’ODS – Olympic Diffusion System – en est un maillon essentiel. On y retrouve notamment tous les résultats des athlètes et des compétitions. Le « chronomètre » proprement dit et l’ensemble des mesures de temps sont pris en charge par Omega. Ces données sont continuellement injectées sur la plateforme d’Atos. « Il faut à peine 0,35 seconde pour transmettre l’ensemble des chronométrages et des données connexes de notre plateforme au CIS – Commentator Information System, le système utilisé par tous les commentateurs en direct des différents diffuseurs », explique Christophe Thivet, Chief Integrator Officer de Paris 2024. Soit quand même quelque 1.900 systèmes répartis sur plusieurs sites.
« Les autres services de données – comme les flux de données pour des médias comme France TV, Reuters ou NBC – n’obtiennent ces informations qu’après 2,35 secondes. » Idem pour les applications web et des services comme My Info et les applications des Jeux. « Dans ce domaine, la compétition de surf à Tahiti représentait un défi particulier », s’amuse Thivet : « Il fallait surmonter le décalage horaire (12 heures de décalage avec Paris, NDLR), une latence de quelque 240 ms et, bien sûr, la distance (15.720 km à vol d’oiseau, NDLR). »
Plus que des chronométrages et des résultats
Mais avant d’en arriver à ces chronométrages, il y a une foule d’autres processus à gérer. L’accréditation, par exemple. « Paris 2024, c’est plus de 600.000 accréditations au total », explique Nacho Moros. « Ces accréditations sont liées à tout : la sécurité physique bien sûr, mais aussi tous les systèmes informatiques. Pour ne donner qu’un exemple : il faut modifier une accréditation chaque fois qu’un athlète se qualifie pour un tour suivant. Et bien entendu, l’accréditation détermine également les niveaux d’accès de toutes les autres parties prenantes : c’est donc incroyablement complexe », explique Nacho Moros.
« La planification des bénévoles est également un aspect très important et à ne pas sous-estimer », poursuit-il. Les Jeux reposent en effet à 90% sur des bénévoles, nous explique le CEO.
Si Atos développe elle-même les applications nécessaires, l’entreprise fait également appel à des tiers. Pour commencer, ce sont bien sûr les 14 autres partenaires (technologiques) officiels – dont Panasonic, Intel, Samsung , Deloitte et Omega, pour n’en citer que quelques-uns, alors qu’Atos se charge de l’orchestration et de l’intégration.
Mais, sous le radar, Atos collabore avec de nombreuses autres parties externes. Dont, oui oui, quelques start-up belges. Pour donner un exemple, revenons un instant à ces bénévoles. Atos fait ainsi appel à OnShift – une API de planification de la main-d’œuvre basée sur l’IA de la start-up gantoise Solvice – pour gérer les horaires de travail de 45.000 bénévoles. L’application est alimentée par des données sur chaque bénévole, comme sa langue, sa localisation et son sexe, ainsi que les fonctions qu’il doit remplir. OnShift traite toutes ces informations et renvoie un horaire optimal à l’application. Selon Bert Van Wassenhove, CEO de Solvice, l’organisation de ces 45.000 bénévoles dans le cadre de 150.000 événements est une authentique prouesse.
« Notre solution s’est montrée très performante. L’affectation des bénévoles a été très satisfaisante », explique-t-il. L’élaboration d’un planning type avec OnShift prend quelques minutes, alors qu’une planification optimale pour le même nombre de personnes prendrait plus de… cinq jours si elle était effectuée par un humain. Malgré la complexité de l’organisation, il est encore possible de procéder à des ajustements et à des modifications stratégiques une fois la première version de la grille établie. « Le défi est évidemment mathématique, mais il s’agit aussi de proposer aux bénévoles un emploi du temps réaliste, pratique et conforme à la politique de l’organisation. Vous ne voulez pas envoyer un Parisien à un événement à Marseille. De plus, l’organisation a explicitement demandé des équipes équilibrées entre les hommes et les femmes », poursuit Bert Van Wassenhove.
Numérique, mais aussi inclusif
Même son de cloche du côté de Christophe Thivet. « De la diversité, de la durabilité, de l’accessibilité et une plus grande attention portée au numérique et aux applications mobiles : telles étaient les exigences particulières de Paris à notre égard. » Le volet numérique de la mission semble en tout cas un succès. « Les chiffres définitifs seront communiqués ultérieurement, mais l’utilisation des canaux numériques s’est révélée absolument phénoménale. Quelque 200 millions de personnes utilisent actuellement les applications numériques », explique Christophe Thivet. Il existe même une application distincte pour les billets d’entrée.
« Toutes nos applications tournent entièrement dans le cloud. Il en allait autrement dans les éditions précédentes des Jeux, où nous avions besoin de grandes salles de serveurs pour maintenir les applications en service. Mais ce recours au cloud favorise également la durabilité », pointe John Giancarlo (CIO).
Christophe Thivet évoque un autre défi supplémentaire auquel sont confrontées les équipes informatiques. « Le report des Jeux précédents nous a été préjudiciable. Nous avons eu moins de temps à consacrer à la préparation technique de Paris 2024. » Le programme IT commence en effet quarte ans et demi avant chaque édition, avec la mise en place d’un test lab pour l’ensemble de l’infrastructure du système. « Nous effectuons énormément de testing. Il faut évidemment éviter à tout prix pas qu’une compétition ne puisse pas avoir lieu ou que des erreurs se produisent. Ce testing a principalement lieu en Espagne. L’une des principales préoccupations est la gestion d’un grand nombre de compétitions sportives différentes en parallèle. Jusqu’à aujourd’hui (7 août, 15h NDLR), nous avons déjà traité plus de 600 sessions. Soit environ 60 par jour, dont beaucoup simultanément. C’est évidemment ce qui nous différencie des autres grands événements sportifs », note Christophe Thivet. « S’il y a d’autres raisons pour lesquelles l’IT des Jeux ne relève pas du business as usual ? Nous avons passé quatre ans et demi à construire quelque chose qui attire 20 millions d’utilisateurs dès l’ouverture. C’est unique dans l’IT. En général, on construit quelque chose, on ajoute progressivement des utilisateurs, puis on fait évoluer l’infrastructure au rythme de l’utilisation. De notre côté, nous avons eu quatre ans et demi d’inutilisation, mais tout devait être prêt et parfaitement fonctionnel dès le premier jour », explique Christophe Thivet.
N’y a-t-il pas eu le moindre accroc ?
« Évidemment qu’il y a parfois des complications », reconnaît le CEO. « Il y a toujours des problèmes qui surgissent subitement. Il s’agit souvent de ce que nous appelons des key dependencies, comme l’alimentation électrique ou parfois la technologie. Mais pour moi, le plus important est la vitesse à laquelle nous y remédions », explique Patrick Adiba.
« Durant ces Jeux, nous avons même eu droit à des belettes et des lapins qui ont grignoté des câbles. Et des attaques de fourmis », rigole Christophe Thivet. « Mais il y a toujours un risque de pannes informatiques. La fameuse panne de Crowdstrike nous a également affectés. Quelques jours avant le début des Jeux, les PC du Commentator Information System ont brutalement cessé de fonctionner. Nous sommes immédiatement intervenus et avons pu résoudre le problème rapidement. »
Surveillance 24/7
Christophe Thivet nous emmène au cœur du TOC, le Technology Operations Centre : une salle bourrée de PC et, surtout, d’écrans de statistiques et d’alertes. Nous ne sommes pas autorisés à prendre des photos. Mais nous pouvons observer les « alertes » et autres « notifications » sur lesquelles les collaborateurs travaillent. Dont plusieurs centaines de personnes d’Atos, mais aussi d’autres partenaires technologiques qui effectuent les analyses. Selon un système d’équipes, d’ailleurs : tout est surveillé 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Sur les écrans, l’équipe suit en temps réel les événements les plus critiques qui peuvent se produire sur un site de compétition. Il s’agit notamment de surveiller les incidents informatiques, classés par degré de gravité. Les incidents de gravité 1 et 2 sont particulièrement scrutés, afin que les compétitions se déroulent dans les meilleures conditions.
Notre regard tombe sur deux incidents, mais Christophe Thivet reste serein. « Un haut-parleur est en panne à Lille, nous le remplacerons d’ici demain. » Et ce deuxième incident ? « Perte de redondance sur un système. Cela n’aura aucun impact sur le déroulement de la compétition, mais il faudra y remédier immédiatement après. Écoutez, c’est de l’informatique. Ces problèmes sont similaires à ceux qui peuvent survenir sur des postes de travail ordinaires, comme des problèmes mineurs d’alimentation ou de hardware. »
Qu’en est-il de la cybersécurité ?
Pas question en revanche d’accéder à la partie arrière de la pièce : le Security Operations Center. La configuration est identique, mais tout y est entièrement axé sur la cybersécurité. Avec autant de données et de technologies qui circulent en permanence pour que les Jeux aient lieu, la cybersécurité revêt une importance cruciale. Mais Benoit Delpierre, Deputy Chief Technology Officer du projet Paris 2024 chez Eviden, préfère rester discret. Y a-t-il plus d’attaques ? Sont-elles d’inspiration géopolitique ? « Nous préférons attendre la fin des Jeux pour divulguer les chiffres ou tendances concernant les incidents. Nous avons bien constaté de nombreuses attaques DDoS, mais nous nous y attendions. Quoi qu’il en soit, notre priorité est de les paralyser immédiatement. Mais nous analysons tout a posteriori. Veiller à ce que les Jeux puissent se poursuivre et à ce que les opérations ne soient pas interrompues reste de toute façon l’objectif principal de la politique de cybersécurité », explique Benoit Delpierre. Avec de petits yeux, d’ailleurs : « Désolé, je sors d’une garde de nuit. » Cela en dit long sur l’engagement et le dynamisme de toute l’équipe – jusqu’au sommet de la pyramide – pour faire de ce projet une réussite.
L’or pour l’IT ?
L’IT décrochera-t-elle finalement une médaille d’or supplémentaire ? À l’approche des derniers jours de jeu, le CEO Patrick Adiba ose un premier bilan. « Il ne s’agit pas d’un exercice technologique, mais d’une quête de l’équilibre parfait entre les bonnes personnes, la technologie que nous utilisons et les processus. Nos équipes ont fait preuve d’énormément d’engagement et de passion pour fournir une technologie sans faille aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 à Paris. Nous ne pouvons pas imaginer de meilleur environnement pour mettre en valeur notre expertise en matière de transformation numérique », se félicite-t-il. Cette réponse révèle également pourquoi Atos s’investit autant dans les Jeux. « Pour nous, Paris 2024 est aussi un accélérateur d’activités. Les clients qui voient ce que nous y faisons savent que nous pouvons également le faire pour eux. C’est simple, les Jeux raccourcissent le cycle de vente », résume Adiba pour expliquer la logique commerciale qui sous-tend le soutien au sport à grande échelle.
La survie d’Atos ?
L’éléphant dans la pièce est bien sûr la survie d’Atos. Confrontée à de grosses difficultés financières, l’entreprise a entamé une procédure de réorganisation en février. Sa dette s’élève à 4,8 milliards d’euros. Le plan de restructuration mise en place devrait assurer sa survie, mais plonge également l’entreprise dans le rouge. Des préoccupations après les Jeux ?
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