Comment SAP évolue du stade de vendeur de logiciels à celui de régisseur des résultats d’exploitation

Kristof Van der Stadt
Kristof Van der Stadt Rédacteur en chef chez Data News

Le passage aux modèles cloud et d’IA représente pour SAP bien plus qu’une mise à jour technologique. Il induit une volte-face complète dans la philosophie de l’entreprise: de la vente de licences à la garantie de résultats chez les clients.

Le message le plus véhiculé lors de la conférence SAP Connect à Las Vegas n’était pas constitué de bits et de bytes, mais portait sur un autre modèle commercial fondamental. L’époque où un géant de logiciels comme SAP pouvait mesurer son succès au nombre de licences vendues, est dépassé. Dans la nouvelle réalité du cloud, il n’y a plus qu’un baromètre qui compte: la réussite du client.

Le Chief Revenue Officer Manos Raptopoulos a résumé à merveille la quintessence de cette transformation dans une interview accordée à Data News: ‘Nous ne nous situons pas dans le métier de la vente, mais dans celui des ‘customer outcomes’ (résultats des clients). Dans le domaine du cloud, si le client ne voit pas les avantages et le résultat, et s’il n’adopte pas le solution que vous lui miroitez, c’est peine perdue, car c’est le modèle tout entier qui s’effondre.’

Manos Raptopoulos

Cette sentence exerce une énorme pression sur SAP. L’entreprise ne peut plus se permettre, façon de parler, de… fourguer des logiciels et d’espérer que le client en tire le meilleur rendement. Le succès de SAP est à présent indissociablement lié aux résultats concrets et mesurables que le client atteint.

Le volant d’inertie comme moteur

Pour remplir cette  promesse de résultats, SAP mise pleinement sur ce qu’elle appelle en interne le ‘flywheel’: un modèle d’entreprise stratégique qui a été répété à plusieurs reprises dans les discours et les interviews. ‘Nous croyons qu’une combinaison d’applications, de données et d’IA crée dans un volant d’inertie la valeur la plus élevée possible’, affirme Muhammed Alam, en charge de SAP Product & Engineering, lors de son discours d’ouverture de SAP Connect.

Considérez ce volant d’inertie comme le moteur ou le modèle de la firme SAP nouvelle formule. Les applications métier (apps) génèrent un flux constant de données. Ces dernières, qui sont le reflet des processus de base d’une entreprise, représentent le carburant de l’intelligence artificielle (IA). Celle-ci fournit à son tour des informations et des automatisations qui rendent les applications plus intelligentes et efficientes, ce qui mène finalement à de meilleurs résultats d’exploitation. ‘Avec ce seul volant d’inertie, nous sommes capables de désenclaver le potentiel et de répondre plus rapidement à vos besoins’, déclare Sebastian Steinhauser, Chief Strategy Officer, sur le podium.

Manos Raptopoulos explique la dynamique: ‘Plus on a de données, mieux on peut former une IA. Si l’IA est bonne, le client l’adoptera. Cela se traduira ensuite par davantage de données, ce qui engendrera un effet d’inertie. Dans cette vision, l’entretien avec le client, évolue du stade de discussion technique sur les fonctionnalités vers celui d’un dialogue stratégique sur la valeur. En recourant à des outils tels que Signavio pour ‘réaliser une radiographie des processus’, SAP est à même de démontrer bien plus concrètement où atteindre les gains d’efficience.


Sebastian Steinhaeuser, Chief Operating Officer SAP, Muhammad Alam (SAP Product & Engineering) et Joellen Perry, Head of Global Public Relations chez SAP. © SAP

Les applications professionnelles comme base

Les applications professionnelles sont la base du volant d’inertie. C’est là que les processus tournent et que les données sont générées. Mais il ne s’agit plus des applications telles que nous les connaissions. SAP est en train de refondre complètement ses solutions de base, telles qu’Ariba et la Supply Chain Orchestration, sur la Business Technology Platform (BTP). Michael Ameling, Chief Product Officer chez BTP, le qualifie de ‘pile presque résidente d’IA’. Ces applications sont conçues dès le départ pour être intelligentes. ‘L’IA est intégrée de manière transparente dans les applications’, explique Alam.

SAP entend déployer un réseau d’agents et d’assistants d’IA dans les entreprises

Le deuxième pilier, et peut-être le plus crucial, est celui des données. Tant Alam qu’Ameling insistent sur le fait que les données sans contexte sont sans valeur. ‘Vous pouvez avoir la meilleure IA, mais si vous n’avez pas de données, l’IA n’a aucun sens’, prétend Ameling. Il ne s’agit pas de données brutes, mais de leur signification. Alam le souligne encore plus clairement: ‘L’IA au contexte le plus large induit la valeur la plus profonde.’

Michael Ameling © SAP

Selon Ameling, SAP HANA Cloud joue un rôle-clé à cet égard. Il la qualifie simplement de ‘la meilleure base de données pour l’IA’, précisément parce qu’elle contient les outils nécessaires pour fournir ce contexte crucial, tels qu’un Knowledge Graph Engine et un Vector Engine. Ces technologies permettent à l’IA de comprendre les relations et la sémantique derrière les données. Ameling appelle cela une ‘federated data approach’ (approche des données fédérées): ‘Les données provenant de différents systèmes peuvent être invoquées et comprises sans devoir tout copier dans un sens ou dans l’autre.’

La gouvernance à l’ère des agents de l’IA

Le troisième pilier du volant d’inertie est l’IA elle-même, qui est alimentée par les données issues des applications. Cependant, la stratégie consistant à surcharger les clients de capacités d’IA s’accompagne d’un nouveau risque: une prolifération de processus incontrôlables et invisibles. Avec l’Agent Builder récemment annoncé qui permettra aux entreprises de créer et de personnaliser elles-mêmes des agents d’IA, la demande de contrôle et de surveillance devient plus pressante que jamais.

SAP semble reconnaître cette préoccupation des CIO et l’anticipe avec de nouveaux outils de gouvernance. Lors de Connect, le SAP AI Agent Hub a été présenté qui, en combinaison avec la technologie de LeanIX, rachetée en 2023, fournira une plateforme centrale pour découvrir, gérer et contrôler tous les agents d’IA, qu’ils soient de SAP ou de tiers. En plus de cela, il y aura Agent Mining, une fonctionnalité qui analysera le comportement, les décisions et les actions de ces agents d’IA. Il s’agit d’une tentative claire de remettre le contrôle entre les mains du département IT.

SAP opte pour une symbiose entre l’humain et l’IA, pas pour une substitution

Sobriété et responsabilité

Malgré l’enthousiasme suscité par les possibilités de l’IA, il y a également de la place pour une vision sobre chez SAP. Interrogé sur une éventuelle bulle d’IA, Raptopoulos s’est montré réaliste: ‘Je pense que l’IA deviendra plus un produit de base à un moment donné. Il ne s’agit pas d’une solution magique, mais d’une technologie qui prendra une place fonctionnelle dans la vie de l’entreprise après le battage médiatique.’ Il y voit aussi des risques: Nous devons nous assurer que l’IA reste transparente. Nous avons la responsabilité de veiller à ce que les systèmes autonomes ne deviennent pas des ‘boîtes noires’, car on ne veut pas de cela.’

 

Le grand enjeu migratoire

La promesse d’un avenir agile et piloté par l’IA semble séduisante, mais pour de nombreuses entreprises bien en place, le chemin pour y arriver s’apparente à un champ de mines stratégique. Le principal défi, comme SAP le reconnaît également, est l’héritage du passé. ‘La dette technique et l’héritage constituent probablement le défi le plus difficile à relever pour nos clients’, admet Thomas Pfiester, responsable Global Customer Engagement. Il n’existe pas d’approche unique pour la migration vers le cloud. Le choix dépend de l’ambition, de la complexité et de la volonté de changement de l’organisation.


Thomas Pfiester
SAP

Option 1: Greenfield (table rase)

L’approche la plus radicale s’appelle ‘Greenfield’, où une entreprise part essentiellement de zéro. Les processus existants sont largués au profit des processus standards proposés par SAP. Il s’agit d’un exercice douloureux certes, mais basique qui convient particulièrement aux entreprises qui souhaitent repenser fondamentalement leur façon de travailler. ‘Si vous constatez qu’il y a une grande volonté de standardiser, vous opterez très souvent pour une approche Greenfield’, explique Pfiester.

Option 2: Brownfield (la voie pragmatique)

Cependant, la majorité des entreprises opteront pour une migration ‘Brownfield’. Raptopoulos la décrit comme un lift-and-shift, après quoi elles se transformeront au sein du système existant. L’environnement en place sera d’abord déplacé vers le cloud, après quoi place progressivement à la modernisation et à l’élimination du sur mesure. C’est un trajet moins disruptif, mais souvent plus lent. Pfiester voit souvent ici une ‘approche en deux phases’, dans laquelle la migration Brownfield n’est que la première étape.

Option 3 : Bluefield (le juste milieu)

Entre les deux extrêmes, il existe un itinéraire hybride moins connu: ‘ Bluefield’. ‘Il ne s’agit pas d’un Greenfield à part entière, mais d’un système nouveau et propre, à mettre à niveau, puis à déployer’, explique Manos. Cette méthode, qu’il qualifie également d’approche modélisée, permet une migration sélective des données et des processus, tout en laissant derrière elle le ballast du passé. Elle offre un équilibre entre un nouveau départ et la préservation de précieuses données historiques.

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