
Arnaud Lieutenant, CIO RBFA: ‘Permettre à nos membres de se concentrer sur le football’

Arnaud Lieutenant est Chief Information & Digital Officer à la fédération royale belge de football. A son arrivée, il a reçu des instructions strictes: repartir de zéro pour automatiser et professionnaliser les processus, et stimuler l’innovation.
Quel est le mandat qui vous est confié à votre arrivée en octobre 2022 ?
Arnaud Lieutenant: Je rappelle tout d’abord que le rôle de la RBFA est de rendre le football possible en Belgique en étant, en quelque sorte, l’huile dans les rouages des différents acteurs tant fédéraux que régionaux ou internationaux comme la FIFA et l’UEFA. Autre élément important : la marque « Diables Rouges » est très forte en Belgique et induit donc une logique économique, même si la RBFA est une ASBL. Il s’agissait d’ailleurs là d’une spécificité importante pour moi qui avait une carrière dans le privé et à l’international, notamment dans la consultance et le pharma, avec un accent tout particulier sur les données et l’analytique avancée. C’est d’ailleurs dans ce cadre que notre équipe s’est vu décerner le prix de l’ICT Project of the Year de Data News en 2013. J’ai donc toujours travaillé dans le monde de la donnée, de l’innovation et du digital.
C’est durant l’été 2022 que j’ai été contacté dans le cadre d’une nouvelle fonction qui se créait à la RBFA en tant que Digital, Innovation & Technology Director. L’ambition était de mettre en place une véritable stratégie numérique. Jusqu’alors, l’IT y était plutôt classique et s’appuyait sur un logiciel développé en interne baptisé Kickoff.
Quel est le constat posé et les premières mesures que vous avez initiées ?
Lieutenant: Dès mon entrée en fonction, plusieurs réalités s’imposent à moi. Tout d’abord, la nécessité de mettre en place des processus et de la rigueur, le tout avec une vision et un leadership forts. Il fallait donc revoir l’informatique opérationnelle et la professionnaliser, avec un retour aux bases. Par ailleurs, la plateforme Kickoff, qui assurait la gestion des matchs avait été développée au début des années 2000, par une petite équipe interne. Elle apparaissait comme une boîte noire dotée d’une interface qui devait être modernisée et adaptée aux nouveaux usages, notamment pour les appareils mobiles. Or il faut savoir que Kickoff est un outil extrêmement critique pour nos activités puisqu’il fournit notamment les informations de matchs (classements, calendrier , résultats … ) à travers les différentes plateformes digitales à plus de 400.000 membres par semaine et que sans ce système, il n’y aurait pas de football en Belgique. Kickoff est donc une plateforme extrêmement sensible pour les opérations de la RFBA. Autre point à prendre en compte dans cette analyse, le fait que nous sommes une ASBL qui est particulièrement visible et dont la réputation est importante alors même que les moyens financiers ne sont pas infinis, ce qui crée une certaine dichotomie.
Quelles furent les premières décisions ?
Lieutenant: Au terme d’une analyse de trois mois, la nécessité de professionnaliser et de restructurer l’IT s’est imposée, de même que de remplacer la plateforme Kickoff. Tout d’abord, le département IT a été réorganisé en trois piliers afin de mettre un cadre couvrant le digital, l’innovation et la technologie. D’abord, une entité ‘IT operations and services’ pour couvrir l’exploitation informatique. Ensuite, une équipe ‘Digital Platform’ qui regroupe de 5 à 6 applications, notamment la gestion du business, les sites webs, les applis mobiles, l’application pour les arbitres ou encore une application de formation des membres. Enfin, une équipe ‘Data’ dans le but de valoriser et monétiser les données générées et exploitées en interne à l’intention notamment de nos sponsors. De même, il s’agira en interne d’analyser toujours plus les données à des fins de marketing ou sportives, le tout associé à de la business intelligence traditionnelle.
Cette évolution de l’équipe IT devait être mené sous un leadership cohérent, avec une équipe chargée à la fois du delivery et de l’innovation. Certes, rien n’avait été mal fait par le passé, mais il s’agissait de garantir désormais une plus grande cohérence et un professionnalisme poussé. Pour ce faire, de nouveaux profils ont été recrutés et des processus rigoureux ont été mis en place.
La question qui se posait alors était de savoir ce qu’il fallait faire de la plateforme Kickoff qui faisait face à quatre grandes contraintes. Primo, la demande d’amélioration du service face à l’impossibilité d’utiliser le logiciel sur mobile ou encore l’interface utilisateur devenue désuète, surtout compte tenu de la digitalisation croissante des processus. Secundo, le risque élevé d’obsolescence technique de l’outil développé voici plusieurs décennies. Tertio, l’exigence de TCO ou total cost of ownership, avec l’obligation de rationaliser les coûts à court et moyen terme. Enfin, la volonté d’exploiter le potentiel commercial qu’offrent les données. Il faut en effet savoir que nous collectons énormément d’informations susceptibles d’être exploitées par nos partenaires.
Comment avez-vous procédé pour établir votre choix ?
Lieutenant: Nous avons lancé un appel d’offres tous azimuts afin d’analyser toutes les options disponibles sur le marché. D’emblée, nous avons dû reconnaître qu’il n’existait aucun produit ‘off-the-shelf’ qui permettrait de couvrir tous nos besoins. Cela dit, nous avons constaté un réel intérêt du marché puisqu’une trentaine d’offres ont été déposées, couvrant le spectre complet. Il s’agit tant du sur-mesure, par exemple basé sur Salesforce ou Microsoft, que du produit ultra-customisé, en passant par des plateformes plus ou moins finalisées et à adapter.
« Nos plateformes digitales sont utilisées par près de 500.000 utilisateurs par semaine. Sans elles, il n’y aurait pas de football en Belgique. »
Au terme d’une analyse approfondie, nous avons opté pour Orion Innovation, un développeur américain disposant d’une entité spécialisée dans le sport. Ses atouts majeurs étaient une empreinte sportive très forte et un management dédié au sport. Nous avons opté pour une approche de co-création, avec développement conjoint. Tout cela dans une enveloppe budgétaire qui respectait nos contraintes, sachant que nous avons pu bénéficier d’une subvention de l’UEFA et de la FIFA.
Quels seront les bénéfices concrets de Fenix ?
Lieutenant: Cette solution présente de nombreux avantages, notamment de permettre de moderniser notre plateforme et d’apporter de la valeur pour nos membres pour leur permettre de se concentrer sur le football.
Nous repartons donc d’une feuille blanche qui nous permettra de simplifier et d’automatiser nos processus. Cette plateforme nous permettra en outre d’intégrer de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle. Cette IA facilitera le travail des volontaires et améliorera la qualité des services fournis. Différentes solutions d’automatisation sont en cours d’évaluation comme par exemple l’utilisation de bots sur WhatsApp afin de permettre à nos quelque 30.000 volontaires dans les clubs de travailler plus efficacement.
Orion dispose de centres de développement en nearshore et offshore, et la société compte en Inde un centre d’expertise dédié au sport, avec quelque 250 développeurs. Orion peut donc faire valoir une réelle compétence technique du monde du sport et se montre particulièrement avide d’enrichir ses connaissances.
Une autre conséquence de Fenix, sera le démantelement progressif de notre datacenter pour passer en mode ‘As-a-Service’. Certes, j’avoue que je ne suis pas un fan absolu du cloud, mais compte tenu du fait que notre activité connaît surtout un pic le week-end à l’occasion des matches et que nous ne sommes pas une société IT, ce choix s’imposait.
Dans le même temps, nous avons décidé de réorganiser nos équipes et de nous concentrer sur les compétences en analyse, transformation business, product management, etc., en externalisant notamment le service desk. Si le calendrier est respecté, Fenix devrait être opérationnel pour le début de la saison 2027-2028, sachant qu’il faudra prévoir une période de formation et de gestion du changement. Nous procéderons au ‘big bang’ durant l’été, une période plus calme puisqu’il n’y a pas de compétition de football.
La technologie et l’innovation impactent-elles d’autres aspects de la RBFA ?
Lieutenant: Il y a effectivement trois axes où la technologie soutient directement nos activités. D’abord, pour améliorer le jeu en lui-même(« Technology to Play the Game »), notamment grâce au VAR (video assistance referee), mais aussi aux devices que portent les joueurs, à l’analyse vidéo ainsi qu’à la possibilité de revoir les matches en réalité virtuelle. Deuxièmement, la technologie nous permet de soutenir nos interactions avec nos fans (« Technology to Experience the Game ») avec par exemple avec la gestion du ticketing pour les matches des Diables Rouges, avec l’automatisation de campagnes marketing et avec notre application mobile pour connecter nos fans, etc. N’oublions pas que que la marque ‘Diables Rouges’ est très forte et que notre mission est aussi de vendre des émotions. Enfin, et le projet Fenix en est le parfait exemple, la technologie nous permet tout simplement d’organiser le football en Belgique (« Technology to Organise the Game »).
Quelles sont vos relations avec la direction générale ?
Lieutenant: Je suis membre d’un comité de direction de huit personnes qui rapporte au conseil d’administration. D’emblée, j’ai pu obtenir la confiance du CA, notamment sur les aspects budgétaires, ceci dans un contexte de turbulences qui appartiennent désormais au passé. Je suis conscient qu’il s’agit d’un projet stratégique ambitieux où il faut articuler la vision business et les contraintes budgétaires. J’apporte également une expérience externe et une compétence spécifique en matière de données et d’analytique.
J’ajoute que l’équipe de direction est particulièrement sensible au numérique et à l’innovation, ce qui contribue à porter ce projet.
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