L’IA pour l’éducation: Une armée d’assistants d’apprentissage

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Ronald Meeus

Grâce à l’intelligence artificielle, les enseignants sont en mesure – du moins en partie – de se dédoubler. Il existe déjà de très nombreux outils d’IA disponibles, encore faut-il les déployer.

Il n’est désormais plus vraiment difficile de découvrir des applications d’IA vraiment concrètes dans l’enseignement. Certes, la percée jusqu’ici la plus visible de l’IA a été ces algorithmes capables d’interpréter et de reproduire le langage humain. À tel point qu’aujourd’hui, les LLM ou grands modèles de langage sont désormais déjà utilisés pour surmonter les barrières et les retards dans le domaine linguistique. Au sein de l’école primaire De Reiziger à Anvers, l’outil d’IA Reading Progress du géant Microsoft permet de rattraper les retards de lecture les plus importants. En lisant à haute voix de petits textes aux élèves, l’IA peut les aider à se corriger. Une autre application d’IA, baptisée Immersive Reader, stimule la compréhension à la lecture en lisant certaines phrases ou certains passages d’un texte, parfois même dans une langue différente du néerlandais. Une solution bien pratique pour les élèves allochtones qui – dans un contexte familial de réfugiés – doivent apprendre le néerlandais à un rythme accéléré. Ou pour les enfants dyslexiques.

« Nous avons des enfants allochtones qui, grâce à Reading Progress, ont réussi à passer un, voire deux niveaux en trois semaines à peine », souligne le directeur de l’école, Jef Groffen. « Il s’agit là d’une progression remarquable : de tels progrès n’ont jamais été enregistrés au cours des 20 ans durant lesquelles j’ai assumé ces fonctions. Certes, tout enseignant du primaire peut en principe hausser le niveau d’apprentissage de ses élèves. En principe, sachant qu’il convient normalement de les accompagner durant 10 minutes par jour. Mais lorsque vous avez 20 élèves qui connaissent un retard, il faudrait leur consacrer toute une journée. Grâce à des outils d’IA intelligents comme Reading Progress, ces enseignants peuvent désormais proposer des exercices individuels aux élèves ayant des retards d’apprentissage, en les personnalisant sur la base de leur niveau de connaissance. Nous sommes un établissement d’enseignement très multiculturel, avec 60 élèves allochtones dont nombre d’entre eux ne maîtrisent pas suffisamment le néerlandais. Et c’est évidemment là que tout commence car pour pouvoir enregistrer de l’information, il faut comprendre la langue dans laquelle la matière est enseignée. »

Des outils en suffisance

Dans le cadre de la conférence SETT sur l’innovation dans l’enseignement et l’EdTech qui s’est tenue au Nekkerhal de Malines fin février, d’autres exemples concrets d’IA ont été présentés. C’est ainsi que l’un des écrans de présentation proposait une courte démonstration de Gamma.app, un outil capable de convertir automatiquement un texte (d’un syllabus par exemple) sous la forme d’une première version d’une présentation à l’écran. Autre application proposée : Gauth, un ‘assistant domestique’ du concepteur de Tik-Tok, Bytedance, qui aide les élèves à réaliser leurs devoirs, qu’il s’agisse de formules mathématiques ou de cours de littérature.

« L’IA existe et ne disparaîtra pas de sitôt. »

De même, des outils d’IA générique comme ChatGPT et Microsoft Copilot sont d’une grande aide pour les enseignants. Et notamment la possibilité de préanalyser, grâce à un prompt d’IA, la rédaction d’un élève sur la base de sa structure, son contenu ou la clarté de l’exposé. Et il peut même s’agir là d’une aide pour les parents, par exemple pour comprendre plus précisément la signification des résultats d’un bulletin lorsque le document est chargée dans la fenêtre de prompt. Cela étant, des progrès encore bien plus rapides peuvent être réalisés avec des outils pointus. « Il en existe pour certaines compétences, comme l’apprentissage de la lecture, apprendre à parler ou des compétences en mathématiques, explique Chris Van de Moortel, ancienne enseignante et désormais conseillère en éducation pour la Flandre chez Microsoft Belgique. En l’occurrence, nous insistons cependant toujours sur le fait que l’IA peut certes assumer 80% du travail dans ces domaines, mais jamais 100%. Un enseignant devra toujours y ajouter sa propre couche de traitement. Tout comme on ne peut se contenter de lire le contenu d’un manuel. De même, il est impossible de laisser à un ordinateur le soin de choisir quel sera l’exemple suivant : la possession du processus d’apprentissage devra toujours revenir à l’enseignant. Ce n’est que pour la correction d’erreurs que l’on peut travailler en partie en synergie avec un outil d’IA. »

Alphabétisation à l’IA

L’avantage de tels outils spécifiques est évidemment qu’ils peuvent être mis en œuvre dans un environnement contrôlé, sachant que l’enseignant garde la maîtrise du processus. En termes de facilité d’utilisation, il est un fait que les élèves sont très à l’aise avec les outils d’IA, et parfois même plus rapides que leurs enseignants. « Nous ne devons pas faire preuve de naïveté : le groupe qui adhérera le plus vite à l’IA, surtout si celle-ci peut leur procurer un avantage, est évidemment celui des jeunes »,reconnaît Thomas Van Cauwenberghe, responsable de EdTech Station, l’un des organismes de recherche financés par VLAIO dans le domaine de la recherche et de l’enseignement. « Il est un fait qu’un outil susceptible de vous faciliter la vie sera tout simplement davantage utilisé. C’est ainsi que Gauth est très souvent utilisé pour faire les devoirs :on prend une photo d’une formule et l’outil vous donne la solution de l’intégrale. En tant qu’enseignant ou école, vous n’avez aucune prise là-dessus. La formation des enseignants jouera un rôle important à cet égard, sachant que ceux-ci seront forcément confrontés à cette nouvelle réalité. Dans le futur, un devoir du style ‘Écrivez 1.000 mots sur l’histoire de la Belgique’ deviendra absurde. En revanche, il faudra apprendre aux élèves à avoir un regard critique sur l’information que leur fournira un prompt d’IA. Ce qu’il ne faut pas, c’est interdire l’utilisation de l’IA parce que l’on ne comprend pas comment on peut l’utiliser de manière intelligente. Il faut faire prendre conscience que l’IA est un outil, tout comme un manuel scolaire. »

Reste que l’utilisation de l’IA n’est pas synonyme d’alphabétisation à l’IA, tient à remarquer Line Vanhauwere, professeure de français et coordinatrice ICT à l’école de soins de santé Rhizo de Courtrai. Dans le cadre de son implication dans la numérisation de son établissement, elle vient précisément d’être nommée Coordinatrice de l’Année par l’entreprise d’EdTech Impact Connecting. « Les élèves utilisent intensivement ChatGPT, mais le font-ils intelligemment ? Ce n’est pas forcément le cas. Un enseignant classique peut paraître dépassé en termes d’approche ‘essai-erreur’ proprement dite, mais on peut supposer qu’un enseignant qui adoptera une telle méthode sera finalement d’emblée mieux informé. »

Mais il y a un troisième groupe de population qui devrait être toujours plus impliqué dans l’IA au cours des prochaines années, à savoir le personnel d’encadrement scolaire. Celui-ci devrait en effet être davantage alphabétisé à l’IA, considère Inge De Cleyn, coordinatrice pédagogique ICT du GO! Scholengroep 5 de la région de Malines, Keerbergen et Heist-op-den-Berg. « Il faudrait notamment établir des conventions éthiques concernant l’utilisation des dossiers des élèves. C’est ainsi qu’il serait pratique de pouvoir les télécharger dans un chatbot pour en faire une synthèse, alors que le concepteur de cet outil d’IA préférera peut-être l’utiliser à des fins de formation. Dans ce cas, tout le monde pourrait en principe obtenir des données privées sur chaque élève. Il s’agit là de questions auxquelles il faut évidemment être attentif. »

Pour ces trois niveaux – enseignant, élève et personnel scolaire -, le défi consiste désormais à définir une stratégie en la matière. « Par définition, le recours à l’ICT doit être encore bien plus déployé, et de manière plus transparente, dans les programmes de formation, souligne Vanhauwere. Beaucoup de personnes ne l’apprécieront pas vraiment, mais il s’agit là d’une priorité. L’IA existe et ne disparaîtra pas de sitôt. Il faut en faire une priorité qui s’ajoute aux autres priorités déjà existantes, alors même que la charge de travail augmente. Il faut prévoir du soutien. »
Cette stratégie se met progressivement en place. C’est ainsi qu’en 2023, le centre flamand de connaissances Digisprong présentait sa vision sur l’IA dans l’enseignement. Par ailleurs, les groupes scolaires et directions d’école prennent de plus en plus conscience de l’importance d’une telle stratégie, tout en attendant beaucoup des autorités. « Un directeur d’école ne doit pas devenir un spécialiste de l’IA. Il faut des directives et des propositions pratiques de la part des pouvoirs publics. »

Il y a une IA pour ça

L’une des critiques les plus fréquentes dans ce contexte est que la paresse cognitive risque de s’accentuer, sachant que les élèves qui maîtriseront rapidement les outils d’IA pourront leur confier toujours plus les processus d’apprentissage. Comment dès lors les enseignants doivent-ils faire face à la culture du ‘Il y a une IA pour ça’ ? En insistant toujours plus en classe sur le processus d’apprentissage, croit savoir Vanhauwere. « Faire rédiger une rédaction par un élève à la maison n’a plus guère de sens. Lorsqu’au cours de français, je demande à mes élèves qui sont allochtones de rédiger un texte à la maison, je reçois souvent des rédactions formidables. Puis, lorsque nous sommes dans l’environnement plus contrôlé de la classe, je leur demande d’écrire trois phrases. Ce qui est ironique par ailleurs, c’est qu’il faut être compétent en langues pour bien utiliser ces modèles linguistiques : les outils sont certes disponibles, mais le prompt engineering est une compétence qu’il est difficile d’acquérir sans une aide extérieure. »

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