Aerospacelab fait décoller son informatique
La scale-up belge Aerospacelab est spécialisée dans la conception, la fabrication et l’exploitation de satellites. Elle s’est dotée d’une architecture informatique à la fois évolutive et sécurisée.
Vous arrivez chez Aerospacelab début 2022 alors que l’entreprise a 4 ans d’existence. Quel est votre constat et votre mission ?
Benjamin Colart: Jusqu’en 2022, il n’y avait en réalité pas de département informatique interne à l’entreprise. S’agissant d’une société d’ingénieurs, l’IT était à l’époque perçue et déployée de manière pratico-pratique sans être pour autant toujours imaginée selon les règles de l’art. Cela étant, l’infrastructure était déjà basée sur la conteneurisation et les micro-services, d’ailleurs toujours utilisées, avec quelques machines hyperfonctionnelles.
À mon arrivée, j’ai estimé qu’une remise à niveau de l’IT nécessitait que nous soyons, a minima, deux pour mettre en place les bases d’un département reprenant ce gros projet. Pour soutenir cette croissance, une importante levée de fonds a permis de financer la refonte de plusieurs services transversaux comme la supply chain, la comptabilité, les ressources humaines, mais aussi l’informatique. De 2 personnes, l’équipe est rapidement passée à 4 en quelques mois jusqu’à15 informaticiens aujourd’hui œuvrant dans une structure assez classique : réseaux/sécurité, infra, DevOps et support. Je précise que tous les informaticiens que nous avons engagés sont d’anciens consultants et très souvent des connaissances personnelles. Nous disposons ainsi d’une équipe pluridisciplinaire et extrêmement compétente répondant ainsi à la volonté d’intégration verticale du CEO et le souhait d’internaliser les diverses expertises. En réalité, nous ne faisons appel à l’extérieur que pour le matériel et le box-moving.
Quels ont été les premiers projets ?
Colart: Sur base des quelques serveurs en place, nous avons imaginé une infrastructure scalable, évolutive et sécurisée. Nous avons opté pour une solution VMware en hyperconvergé avec du vSAN plutôt que du stockage classique. Avec 5 nœuds au départ, nous pensions pouvoir tenir 2 à 3 ans, mais au bout de 6 mois, nous avons dû faire grandir l’infrastructure. C’est d’ailleurs assez caractéristique d’Aerospacelab, une société en pleine croissance dans un contexte extrêmement évolutif. Aujourd’hui, nous avons plus de 30 ESX, 800 machines virtuelles et plusieurs centaines de To de données.
L’autre grand chantier a été l’orientation des projets vers de l’enterprise-proof en s’appuyant sur l’open source et sur des technologies éprouvées. Nous avons donc architecturé l’IT pour grandir, avec un set-up initial bien établi, un design bullet-proof et des technologies de type grande entreprise. L’IT chez Aerospacelab supporte non seulement nos clients, mais aussi la R&D, à savoir nos satellites en orbite.
Vous n’avez pas imaginé vous tourner vers le cloud, vu la flexibilité requise par le business ?
Colart: Au départ, tout était mis dans le cloud, mais l’exigence de la souveraineté des données dans le cadre de certains projets, institutionnels notamment, nous a incitée à mettre en place un cloud hybride, avec les données et les workloads en interne, mais le cloud public pour SharePoint, 365 ou Exchange Online, soit le meilleur des deux mondes. Chez Aerospacelab, nous utilisons le cloud public de manière assez avancée, avec par exemple, de la géolocalisation de données, ou encore prochainement un tenant Azure Gov pour certains projets outre-Atlantique. À terme donc, il y aura une ségrégation des données entre l’Europe et les États-Unis.
Quelles sont vos relations avec vos partenaires technologiques ?
Colart: Pour les licences hardware et certaines solutions logicielles, nous avons noué des relations clés avec des partenaires tels que S3 avec Scality pour le stockage objet, sachant que l’installation et la gestion sont réalisées en interne. Nous utilisons également les solutions de VMware, Veeam ou Fortinet, mais très peu de consultance hors constructeur, et souvent encore par des partenaires étrangers dans la mesure où ces compétences n’existent souvent pas chez nous. Il faut dire que nous utilisons certaines technologies peu connues ou mal maîtrisées des sociétés de consultance classiques.
Quelle est l’infrastructure actuelle ?
Colart: Nous avons de l’infra au siège social et à l’usine de Louvain-la-Neuve, avec cependant une séparation entre IT et OT. Nous sommes en phase de certification ISO 27001 avec construction d’un DRP actif entre notre siège social et les serveurs de LCL à Gembloux, pour des questions de durabilité écologique, de proximité et parce qu’il s’agit d’une société belge, comme nous. Pour leur part, les États-Unis requièrent une infra locale à Los Angeles, avec quelques ESX, du stockage S3 et de la sauvegarde. Et à terme également, un DRP est prévu dans un centre de données local, ce qui donnera un modus operandi similaire des deux côtés de l’Atlantique. Au total, l’infra compte quelque 800 VM, 30 ESX et plusieurs centaines de To de stockage.
Quelle est l’importance de l’innovation dans l’entreprise, et notamment de l’IA ?
Colart: Aerospacelab est par nature une société innovante et disruptive, et l’IT se veut un activateur de l’innovation. En interne aussi, nous utilisons certaines solutions de pointe, comme les GPU dans la conteneurisation avec Kubernetes. De même, nous avons décidé de ne pas bloquer l’IA en mettant en place une charte interne. C’est ainsi que nous avons un proof-of-concept avec Copilot pour nos développeurs et que nous utilisons des modules d’IA open source pour la génération de rapports, la comparaison de métriques des satellites, etc.
Quelles sont vos relations avec la direction générale ?
Colart: Excellentes et j’en suis ravi ! Je dépends directement du fondateur et CEO, Benoît Deper, qui m’accorde une confiance absolue. Jusqu’à présent, les besoins IT ont toujours été correctement anticipés. Une prévision qui nous permet d’ailleurs d’affirmer avec fierté n’avoir jamais été piratés. En tant qu’ingénieur civil, notre CEO apprécie la technologie et connaît l’importance de l’IT. De plus, notre conseil d’administration se compose également de représentants de sociétés technologiques comme OVH ou Airbus Ventures.
La sécurité, précisément, est particulièrement importante.
Colart: Effectivement, et notamment les réglementations de style NIS2, 27001 ou DORA. Aux États-Unis, la conformité est assez contraignante et les audits internes de (cyber-)sécurité sont très stricts pour des sociétés étrangères qui participent à des appels d’offres pour le gouvernement américain ou les agences publiques, comme NIST par exemple. En Europe, on parle plutôt de bonnes pratiques, alors qu’aux États-Unis, on se veut aussi plus pragmatique dans l’application de la cybersécurité.
« Nous savons que nous serons un jour attaqués. »
Plus généralement, nous savons que nous serons un jour attaqués, d’où la nécessité d’anticiper et de prévoir un processus de recovery, avec des technologies comme l’appliance Fortinet et l’outil open source de surveillance des assets FortiRecon. De même, la sauvegarde cryptée sur plusieurs sites permettra une reprise rapide en cas d’attaque ou de sinistre, tandis que la certification CISSP offre une garantie supplémentaire. D’ailleurs, d’après Microsoft, nous aurions un security score dans Azure supérieur à 85%, ce qui en dit long.
Comment vont évoluer l’IT et vos équipes à terme ?
Colart: À mon sens, l’IT n’en est qu’aux balbutiements de ce que veut devenir Aerospacelab. L’architecture est en place, mais le volume de données et les charges de travail vont exploser lorsque les premières constellations seront lancées. La certification ISO 27001 nous permettra par ailleurs de mieux encore nous structurer, tout en restant agile et disruptif. Avec 15 informaticiens sur un effectif de 350 personnes, nous déployons un ratio intéressant, sachant que nous offrons un support 24/7 et que nous entendons maîtriser nos technologies en interne de bout en bout. Cela étant, il faudra sans doute un jour passer la main, notamment pour l’hébergement de nos serveurs avec l’hyperscaling, où il n’y aura plus de vraie valeur ajoutée.
Il faut savoir que fin 2026, notre Mégafactory de Charleroi sera opérationnelle et permettra de fabriquer pas moins de 500 satellites par an, soit la plus grosse unité de production en Europe qui occupera des centaines d’emplois supplémentaires. Lorsque nos nouveaux satellites seront lancés, nous recevrons à nouveau des centaines de To de données. Nous pourrions alors envisager le stockage S3 sur des disques NVMe et Flash avec correction d’images. Toute l’infrastructure de cette méga-usine a été imaginée et construite en interne. Cela dit, nous avons d’ores et déjà prévu les relais 5G avec des réseaux évolutifs.
Gérer l’IT dans une société d’ingénieurs représente-t-il un défi ?
Colart: Aerospacelab est une société d’ingénieurs où l’on aime tout tester en R&D. Or, il faut prévoir un cadre. Certes, l’IT ne peut pas être un frein au business, mais il importe de fixer des normes, notamment en sécurité. Et cela marche jusqu’à présent. C’est d’ailleurs le message de notre CEO : sécurisé et fonctionnel, mais sans freiner les objectifs opérationnels. L’IT d’une boîte d’ingénierie se doit d’être crédible pour les utilisateurs et doit pouvoir se remettre rapidement en question.
Aerospacelab est une scale-up belge spécialisée dans le domaine de la conception, fabrication et exploitation de satellites. Fondée en 2018 par Benoît Deper, elle dispose d’un siège social à Mont-Saint-Guibert ainsi que d’une usine de production à Louvain-la-Neuve, d’antennes en France (Toulouse), Suisse (Lausanne) et d’une usine de production aux États-Unis (Torrance, Cal.) permettant conjointement une capacité de production de 48 satellites par an. En 2026 à Marcinelle (Charleroi), Aerospacelab ouvrira les portes de sa Megafactory, soit la plus grande usine de fabrication de satellites en Europe avec une capacité de production allant jusqu’à 500 satellites par an.
Benjamin Colart
Déc. 2005 – avr. 2006 : IT Support Engineer, Eurocontrol
Avr. 2006 – avr. 2016 : IT System Engineer, IT System Engineer & Infratructure Architect, Team Leader Assistant & Infrastructure Architect, Civadis
Avr. 2016 – mars 2017 : IT Team Lead, Redu Space Services
Mars 2017 – févr. 2020 :IT System Engineer & Pre-Sales, Service Delivery Coordinator, Nexis
Févr. 2020 – 2021 : IT Manager, e-peas S.A.
2021 – mars 2022 : Senior Infrastructure Architect, Realdolmen
Mars 2022 – mai 2024 : Head of IT Infrastructure & Security, Aerospacelab
Depuis mai 2024 : Chief Information Security Officer, Aerospacelab
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