Y a-t-il une oeuvre de De Vinci à l’abbaye de Tongerlo? Des scans devraient apporter une réponse définitive
La toile de La Dernière Cène à l’abbaye de Tongerlo est-il davantage qu’une copie de la fresque originale se trouvant à Milan? Des experts dans le domaine artistique sont convaincus que Léonard De Vinci en personne a collaboré à la peinture. C’est cette théorie qui est à présent testée au moyen de caméras hyper-spectrales.
Il y a aujourd’hui précisément 500 ans que mourait Léonard De Vinci. Tout le monde connaît La Dernière Cène, sa fresque murale. Ce que l’on sait moins, c’est qu’à l’abbaye de Tongerlo, on en trouve une réplique très précise datant du début du seizième siècle.
En 2015, lors d’une recherche pour leur ouvrage ‘The Young Leonardo‘, l’historien d’art Jean-Pierre Isbouts (lié à la Fielding Graduate University de Santa Barbara) et l’expert en matière artistique Christopher Brown ont été intrigués par l’oeuvre se trouvant depuis 474 ans déjà dans l’abbaye campinoise. Les auteurs ont analysé la toile et sont arrivés à la conclusion qu’elle aurait pu être peinte par Andrea Solario, l’un des élèves de Léonard.
Mais leur fascination ne s’arrêta pas là. Début 2017, Isbouts effectua une nouvelle recherche dans des archives européennes. Il y découvrit six indices tendant à démontrer une paternité encore nettement plus intéressante de la toile.
La théorie
Primo, Giorgio Vasari, le premier biographe de De Vinci, écrivit que Milan fut attaquée par le Roi de France, Louis XII, au moment où De Vinci terminait La Dernière Cène. Louis serait tombé tellement sous le charme de la fresque qu’il donna l’ordre de la transférer en France. Le Roi se vit répondre que c’était impossible: ‘Le mur sur lequel est peinte la fresque, se casserait en mille morceaux, avant même d’atteindre les Alpes’.
Secundo, De Vinci se mit, au début du 16ème siècle, à copier ses propres oeuvres avec l’aide de ses élèves. L’une des premières copies en question fut ‘La Madone aux Fuseaux’ et ce, pour le Roi Louis XII en personne.
A la même époque, De Vinci se lança également dans le support en toile. En Italie, les peintures étaient alors encore effectuées sur des panneaux de bois de peuplier. Pour sa part, la toile était un nouveau support révolutionnaire offrant le grand avantage que les grandes peintures pouvaient être facilement enroulées et transportées.
Sur base de ces observations, Isbouts et Brown ont mis au point une théorie: se pourrait-il qu’après avoir expliqué au Roi Louis XII qu’il était impossible de transférer la fresque de La Dernière Cène, on ait proposé de réaliser une réplique de la même taille sur toile, peinte par De Vinci et ses élèves?
Dans les archives d’Etat de la ville de Florence, l’historien d’art américain trouva une lettre datant de 1506, écrite de la main de Louis XII lui-même. Ce dernier demandait aux autorités de Florence de rendre Léonard De Vinci disponible ‘pour un projet qu’il avait en tête’.
Dans un inventaire du 16ème siècle du château de Gaillon en France, à l’époque résidence du grand chambellan du Roi Louis XII, Isbouts trouva aussi une référence à une très grande peinture de ‘La Cène en Toile’. Selon Isbouts, il s’agit là d’une preuve bien réelle qu’une toile de cette peinture a effectivement été transférée en France.
En outre, Isbouts et Brown découvrirent qu’une toile de ‘La dernière Cène’ avait été vendue en 1545 à un abbé d’un monastère en Flandre. Or dans les archives couvrant 450 années de l’abbaye de Tongerlo, Isbouts dénicha dans une lettre écrite à la main le rapport d’un témoin oculaire datant du 16ème siècle, qui affirmait clairement que le Roi de France avait demandé que Léonard De Vinci réalise une copie d’une fresque murale peinte sur un mur à Milan. ‘Cela impliquerait que De Vinci ait participé à la réalisation de cette peinture’, déclare Isbouts.
Le test
Dans sa quête d’une confirmation (ou d’une réfutation) scientifique de cette théorie, Isbouts s’est tourné vers le centre de recherche louvaniste imec. A sa demande, des chercheurs ont le mois dernier effectué des scans hyper-spectraux de la toile. ‘On peut ainsi découvrir des choses que l’oeil humain n’arrivé pas à distinguer’, explique Isbouts. ‘Tout ce que j’ai déclaré avant, c’est de l’histoire de l’art. A présent, j’espère que ces scans me donneront une réponse plus définitive sur l’origine de la peinture. La toile provient-elle bien de Milan? Les pigments sont-ils les mêmes que ceux utilisés par Léonard? Je suis ravi que l’imec accepte de m’aider à répondre à ces questions.’
Le centre de recherche est spécialisé dans la miniaturisation technologique, qu’il s’agisse de transistors ou d’imagerie hyper-spectrale. ‘Les techniques d’imagerie hyper-spectrales traditionnelles étant assez lourdes, elles ne pouvaient être utilisées qu’en laboratoire. A présent par contre, nous sommes capables de créer de petites caméras hyper-spectrales économiques portables’, déclare Wouter Charle, ingénieur à l’imec. Du fait que ces caméras sont portables, les scans peuvent se faire sur place à l’abbaye de Tongerlo, ce qui s’avère plus pratique que de devoir emporter une toile de 32 mètres carrés!
Grâce à la technologie de la caméra hyper-spectrale, il est possible en effet de pénétrer dans la peinture, sans même entrer en contact physique avec la toile et donc sans l’endommager. ‘La lumière qui se reflète sur une peinture se compose de différentes longueurs d’ondes, mais nos yeux ne sont sensibles qu’au rouge, au vert et au bleu’, explique Charle. ‘Voilà pourquoi notre caméra filtre pour chaque pixel la lumière de manière très sélective sur une longueur d’ondes spécifique. Cela se traduit par 150 valeurs ou au lieu de trois. Dans le spectre, on peut distinguer la quantité de lumière réfléchie. De petits écarts entre les courbes peuvent révéler un autre matériau, un autre type de peinture, voire le carbone d’une signature.’
Ce genre de signature, dissimulée sous les personnages peints, peut également fournir pas mal d’informations sur la manière dont la peinture a été réalisée. L’imec a entre autres effectué des scans de Pierre, Jean, Jacob et Jésus. Des experts internationaux les analyseront ultérieurement pour déterminer quels personnages ont apposé leur signature et les compareront le cas échéant à d’autres oeuvres de De Vinci. Isbouts pourra ainsi vérifier si des personnages spécifiques ont bien été peints par ce dernier et/ou si d’autres personnages sont peut-être l’oeuvre de ses élèves grâce aux ébauches sous-jacentes.
Des analyses informatiques des personnages présents tant dans la fresque de Milan que sur la toile de Tongerlo, il apparaît déjà que les compositions sont si proches qu’il est probable que ce soient les mêmes dessins préliminaires qui aient été utilisés pour les deux versions.
‘Sur base de mon analyse, je crois que la tête de Jean a été peinte par Léonard De Vinci’, affirme Isbouts. ‘Il utilise en effet à cette fin le même modèle que pour son oeuvre Leda et le Cygne. Nous devons à présent attendre les résultats de l’analyse des données pour le confirmer.’
Avec la technologie de la caméra hyper-spectrale, les chercheurs peuvent aussi examiner la composition chimique de la peinture. L’équipe entend ainsi effectuer des analyses de pigments et identifier des vernis et retouches. Les coups de pinceau peuvent également être analysés et comparés. ‘On pourrait par exemple vérifier s’ils proviennent d’une personne droitière ou gauchère’, explique Charle, en faisant allusion au fait que De Vinci était gaucher.
‘S’il s’avérait effectivement que Léonardo ait été personnellement impliqué, ce serait en soi déjà une découverte importante, mais il y aurait encore une autre raison encore bien plus importante’, ajoute Isbouds. ‘La fresque originale à Milan a subi des dommages irréparables. Seul un cinquième de la peinture initiale est encore visible. Nous ne savons donc plus à quoi cette fresque ressemblait autrefois. Si notre théorie se vérifie, cette toile pourrait remplir ce vide. Tongerlo pourrait alors montrer La dernière Cène de Léonard De Vinci dans toute sa gloire d’origine.’
En quête d’argent pour la restauration
La toile de Tongerlo est du reste en train d’être restaurée en profondeur. Isbouts avait lancé il y a deux ans une action de financement participatif dans ce but, mais il n’a jusqu’à présent pas réussi à récolter les fonds nécessaires, soit un demi-million d’euros. ‘Je fais de mon mieux’, déclare-t-il. ‘Mais chaque fois que je discute avec des investisseurs potentiels, on me pose la même question: “Pourquoi la Belgique ne s’occupe-t-elle pas de cela elle-même?”. Dès que je pourrai montrer que des organisations belges s’y intéressent, mon histoire s’avérera plus plausible pour des investisseurs américains’, selon l’expert en De Vinci.
D’après le père Yvo Cleirens, conservateur du musée De Vinci à Tongerlo, il n’est pas évident d’obtenir un financement public pour la restauration d’une oeuvre du privé. Il y aurait cependant à présent des négociations en cours avec la Fondation Roi Baudouin.
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