Une start-up développe des organes bioniques abordables: ‘Quelle main cool, j’en veux une pareille’
Le bionique s’impose peu à peu dans le corps humain, même si ces membres restent extrêmement coûteux. La startup britannique OpenBionics entend faire chuter sérieusement les prix – de dizaines de milliers à des milliers d’euros – grâce à un processus de fabrication largement basé sur l’impression 3D. Pour le démontrer, l’entreprise vient de tester une main bionique sur la petite Britannique Tilly (10 ans).
Pour une fillette de 10 ans, Tilly Lockey a la poignée de main solide. Reste que la main droite qu’elle utilise n’est pas une main ‘ordinaire’ puisque les ‘muscles’ sont constitués d’un système de câbles et que les ‘articulations’ sont des servos qui permettent de faire pivoter les doigts mécaniques avec la précision d’un robot autour des jointures. Les os et les tissus sont remplacés par de la matière artificielle. L’électronique de la main est alimentée par une batterie rechargée grâce à une sortie USB dans l’avant-bras. La main bionique de Tilly en est encore au stade de prototype, mais notre fillette se déclare extrêmement satisfaite : “J’entends d’ailleurs souvent des enfants de mon âge dire que ma main est cool et qu’ils en veulent une pareille, affirme-t-elle. Mais dommage pour eux : c’est ma main !”
Tester les prototypes
Lorsque Tilly avait un an et demi, une ambulance l’a transportée d’urgence à l’hôpital de Newcastle pour une méningite fulgurante et potentiellement mortelle. Les médecins de l’hôpital ont réussi à lui sauver la vie, mais le prix à payer fut pénible puisque ses mains étaient déjà gangrénées, l’amputation se révélant dès lors indispensable. Depuis lors, sa maman Sarah s’est jurée de donner à sa fille une nouvelle paire de mains en profitant de n’importe quelle avancée médicale.
Grâce à la technologie d’OpenBionics, une startup fondée à Bristol en 2014, Sarah pourrait bien atteindre son objectif. En effet, Tilly aide l’entreprise à tester un prototype de main bionique, l’ambition étant de lancer un produit fonctionnel sur le marché dès l’an prochain. “Tilly nous a fait pas mal de commentaires qui nous a permis d’améliorer la main, explique Samantha Payne, cofondatrice et directrice opérationnelle d’OpenBionics. C’est ainsi qu’elle a expliqué vouloir un feedback tactile sans quoi elle devait chaque fois regarder ce qu’elle faisait. Désormais, elle ressent une légère vibration lorsqu’elle touche quelque chose.”
Rupture
La main bionique est montée sur l’avant-bras de Tilly et est dotée de capteurs cutanés qui assurent la conduction électrique de la peau dans les muscles de l’avant-bras. Ce faisant, les ‘intentions’ sont captées et permettent au corps de faire bouger les doigts. Tant Payne que Tilly concèdent que cette technologie n’en est encore qu’à ses balbutiements puisqu’il a fallu attendre ces dernières semaines pour voir la fillette bouger les doigts pour la première fois. “Je ne peux pas encore dessiner par exemple. Mais les améliorations sont constantes.”
Le domaine scientifique et technologique de la bionique, des prothèses corporelles et de la robotique a connu une accélération sensible ces dernières années. Reste que la technologie demeure incroyablement chère ; pour preuve, les membres bioniques coûtent entre 30.000 et 100.000 €. Mais OpenBionics entend créer la rupture dans le secteur en recourant au maximum à des composants électroniques standards et en faisant fabriquer les éléments spécialisés à moindre coût grâce à l’impression 3D. “A terme, nous entendons commercialiser des prothèses qui coûteraient 1.200 €, affirme Payne. Nos produits sont en outre open source : nous mettons l’ensemble de nos designs gratuitement en ligne.”
Demande du marché
Le modèle de code source ouvert, courant dans le secteur technologique au sens large mais totalement nouveau dans l’industrie des appareils médicaux, a suscité certaines réticences. Non seulement dans le secteur proprement dit, mais aussi dans la communauté universitaire qui s’est montrée extrêmement sceptique face aux produits d’OpenBionics. “Le coût des technologies médicales s’explique simplement par le fait que les produits doivent être extrêmement fiables, déclare Jos Vander Sloten, professeur en biomécanique à la KULeuven. En outre, chaque prothèse bionique est fabriquée sur mesure pour chaque patient : c’est un travail de spécialistes. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les débouchés ne sont pas très importants, ce qui permet difficilement de faire baisser les prix.”
OpenBionics estime qu’il existe 2 millions d’amputés à l’échelle mondiale, des chiffres sur lesquels l’entreprise a bâti son plan d’entreprise. En outre, la société n’entend pas se limiter aux mains bioniques, précise Payne. “D’autres membres figurent à notre planning. L’étape suivante sera les poignets et les coudes robotisés. Par la suite, nous travaillerons sur les jambes, les chevilles et les genoux, tandis que l’étape suivante sera les exosquelettes, par exemple pour les patients qui ont encore tous leurs membres, mais qui ne peuvent les utiliser à la suite d’une paralysie notamment. De même, nous pouvons aller plus loin avec nos mains : nous devons par exemple intégrer davantage de feedback sensoriel comme le ressenti de la texture ou de la température.”
Tout droit tiré d’un jeu vidéo
La personnalisation d’une prothèse qui remplace un membre perdu joue souvent un rôle important dans le processus d’acceptation du patient. OpenBionics dévoile la stratégie qui sous-tend ses produits : donner aux mains bioniques le cachet d’une ‘main de héros’ et, si nécessaire, se baser sur le design des mains des véritables super-héros populaires. “Ce sont surtout les enfants et les jeunes qui considèrent cette technologie comme cool, analyse Samantha Payne. Les moins-valides se sentent déjà dévalorisés par rapport aux personnes sans handicap. Grâce à une main qui ressemble à une main ‘normale’, avec une couleur de peau ‘normale’, ont leur donne l’impression implicite qu’ils peuvent s’intégrer auprès de personnes en bonne santé. Or ce raisonnement, nous ne l’acceptons pas : ils sont différents, donc ils doivent accepter leur différence.”
Pour concevoir la main relativement futuriste de Tilly, le design a été inspiré du jeu vidéo Deus Ex : Mankind Divided lancé en août dernier et qui abordait par hasard le thème des améliorations humaines. “Les prothèses qui nous voulons créer ont besoin d’un visuel spécifique et les jeux vidéo proposent des artistes capables de ce genre de choses”, explique Payne.
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