Nicolas Frenay
Un choix rapide pour un ancrage belge aura des conséquences pour les start-up potentielles
Récemment, The Wall Street Journal présenta une publication du fondateur de Skype, Niklas Zennström, dans laquelle il qualifiait la sous-évaluation des startups de problème européen majeur. Notre homme enfonce évidemment ainsi le clou!
Récemment, The Wall Street Journal présenta une publication du fondateur de Skype, Niklas Zennström, dans laquelle il qualifiait la sous-évaluation des startups de problème européen majeur. Notre homme enfonce évidemment ainsi le clou!
Si l’on envisage la situation belge, la sous-évaluation des startups résulte de plusieurs facteurs. Primo, l’ensemble de l’écosystème manque d’une certaine maturité: les entrepreneurs eux-mêmes, mais aussi les investisseurs et les autorités. Ce manque de maturité provient d’une carence de potentiel de sortie (exit) et de réalisation de ces acteurs. Il en résulte que l’on traite les starters de manière très crispée en l’absence d’un état d’esprit plus global et ouvert.
Le monde dans lequel une startup ICT opère, est pourtant global à partir du premier jour. Il est d’une importance cruciale que l’état d’esprit le soit tout autant pour pouvoir se donner les moyens optimaux de créer un impact.
Ensuite, alors que la situation actuelle en est à une surévaluation dans la Silicon Valley, l’on voit exactement l’inverse (à savoir une sous-évaluation) en Europe et en Belgique. Cela pose un problème de compétitivité pour nos startups.
Les starters d’autres régions, comme par exemple aux Etats-Unis, ont la possibilité de recueillir davantage de capital en échange d’un plus faible pourcentage d’actions et ce, contrairement à ce qui se passe ici. Faut-il encore ajouter que celui qui dispose de moyens (assez) économiques, remporte la course à la capitalisation? Et le gagnant rafle tout, même si l’on possède ici une technologie supérieure, en vertu du principe que l’on ne peut apprécier ce que l’on ne connaît pas. C’est le marché qui décide. C’est celui qui a les poches les plus grandes, qui l’emporte.
Dans la phase initiale, l’entrepreneur doit bien s’informer sur la façon dont il va délimiter son trajet, afin de devenir un acteur mondial dans sa niche ou son secteur. Trop d’entrepreneurs ‘suivent le courant’ et démarrent quasi immédiatement une entreprise en Belgique, en général avec pas mal de personnes co-fondatrices en fonction du raisonnement suivant: il y a beaucoup de travail, et nous aurons donc bien besoin de beaucoup de co-fondateurs.
N’empêche que les relations fondatrices sont comme les relations conjugales: peu tiennent le coup, et les conséquences ne doivent souvent pas être sous-estimées. Des accords clairs ont-ils été prévus au cas où quelqu’un devrait s’en aller? De quelle façon cette personne peut-elle réaliser son investissement (en temps)? Personne ne souhaite aller de l’avant avec un actionnaire qui a jeté son dévolu sur autre chose.
Opter trop vite pour une structure et un ancrage belge a de toute façon un impact sur le potentiel possible. D’autre part, l’on peut parfaitement assurer le développement d’une startup à partir de la Belgique, tout en ayant un siège central en dehors de notre pays. La plupart des entreprises technologiques belges qui opèrent dans la Silicon Valley, développent encore et toujours en Belgique. Il est donc parfaitement possible de créer de l’emploi local, sans maintenir le siège central ici.
Plus l’ancrage est fort, plus le potentiel de la startup peut-être rogné. En fin de compte, ce sont les acteurs en vue qui se mettent en évidence et qui disposent d’un potentiel de croissance et ce, via un fonctionnement tant interne qu’externe.
Initialement, l’entrepreneur belge se focalisera sur le produit et la technologie, selon le principe que l’un et l’autre peuvent être d’application dans le monde entier (Product First – Market Later).
Ce n’est qu’après avoir accompli les premiers pas que l’on se demande ce qu’est un modèle de croissance idéal et/ou si l’on doit lancer une société ailleurs (souvent aux Etats-Unis) ou rester ici. Ensuite, l’on apprend aussi que des concurrents/collègues ont entre-temps déjà entrepris d’autres phases de financement, et l’on se pose la question de savoir s’il faut le faire également.
Comme un investisseur américain ou n’importe quel investisseur global n’injectera normalement pas de l’argent dans une structure belge, un ‘HQ-swap’ (changement de siège central) devra avoir lieu avec toutes les conséquences que cela implique. Les subsides devront probablement être remboursés, tout comme les 16,5 pour cent d’impôts de plus-value sur les actions de l’entrepreneur sur base de la dernière valorisation, etc. Et ce, alors que l’on maintient l’emploi en Belgique ou que l’on va éventuellement l’étendre avec la nouvelle capitalisation. Il est dès lors crucial, lorsqu’on opte pour une approche globale, de bien mettre en oeuvre la structure à partir du premier jour de la phase précoce (où la valeur est encore minime), sous peine d’aller au devant de grandes difficultés.
L’entrepreneur belge ne représente une plus-value pour son pays que s’il peut faire croître son projet de manière optimale, réaliser une éventuelle sortie en force et soutenir ainsi de nouveaux entrepreneurs belges. Sans entrepreneurs qui s’en sortent et en tirent suffisamment de moyens, il ne peut y avoir d’écosystème florissant.
Une entreprise qui veut fonctionner avec des subsides et des investisseurs locaux, doit donc clairement savoir qu’ainsi, son potentiel de croissance peut être sérieusement réduit. Je le répète: les choix qui sont faits dans la phase initiale impactent fortement l’avenir. Il ne faut évidemment pas avoir des ambitions globales, et rien ne dit qu’il faut absolument devenir un acteur mondial, mais il est regrettable, au cas où vous caresseriez de telles ambitions, que vous appreniez par la suite que les décisions que vous avez prises au début, réduiront ce rêve à néant.
Lorsqu’en Belgique, vous souhaitez recueillir du capital dans la phase initiale, vous êtes confronté à des investisseurs qui n’ont souvent de l’expérience que dans le monde des grandes sociétés ou dans la consultance et qui sont plutôt allergiques aux risques. Il s’agit là d’investisseurs qui pensent qu’en injectant un montant limité, ils pourront quand même se faire un gros pourcentage d’equity. Stimulent-ils ainsi les possibilités de croissance de leurs poulains? Pas du tout.
Les starters éprouveront en effet des difficultés pour les phases de suivi, si les premiers investisseurs belges en décident ainsi. Les investisseurs internationaux jetteront de ce fait l’éponge et n’entreront certainement pas dans une structure belge. Finalement, soit l’on échoue, soit l’on aboutit dans une situation, où il n’est plus intéressant pour le fondateur de poursuivre.
Comme il sied pour un entrepreneur, mieux vaut un petit morceau d’une grande tarte qu’un grand morceau d’une petite tarte, et cela s’applique aussi à l’investisseur. La mentalité doit tendre à faire du projet un acteur d’envergure, mais il faut d’abord avoir la possibilité de réaliser une grande tarte. Prendre en otage la startup dès le début en exigeant un gros pourcentage d’actions, n’aide personne.
Par ailleurs, lorsqu’on fonctionne avec des subsides, il s’agit d’ancrer la société et le siège principal dans la région qui propose le support. Mais l’ancrage sans croissance n’offre aucune perspective.
Il est préférable de se focaliser sur la création de suffisamment d’oxygène que pour entreprendre, en lieu et place d’une mentalité de subsides qui sert plutôt à mettre des emplâtres sur une jambe de bois. Les entrepreneurs n’ont pas besoin d’ergoter, les vrais entrepreneurs sont des planificateurs. Ils sont pourtant confrontés à toutes sortes de règles et d’attitudes mentales destinées plutôt à supprimer le goût d’entreprendre.
Les autorités feraient mieux de créer des possibilités en étant elles-mêmes clientes des startups, en les finançant par exemple sous la forme d’un préachat de futures licences. Le meilleur oxygène se compose de clients, et les autorités peuvent sereinement mettre en oeuvre un cadre ayant valeur d’exemple autour de ‘buy from start-ups’.
Du reste, il existe bien une différence entre les entrepreneurs du nord et du sud du pays. L’on trouve les véritables planificateurs plutôt dans le nord, où les subsides sont considérés comme un support ‘on top’, où l’on ne calcule pas nécessairement. Dans le sud, l’on doit malheureusement plutôt parler d’entrepreneurs assistés, qui ne peuvent opérer que sur la base de subsides ou d’investissements publics.
Dans le sud, le premier investissement est trop souvent consenti par les pouvoirs publics. En stimulant ce climat, les entrepreneurs s’attribuent une mentalité ‘gratuite’, où l’on part du principe que les autres services seront aussi gratuits. Or ce qui est gratuit n’a aucune valeur. L’ancrage local est peut-être bien gratuit, mais les possibilités de croissance restent nulles. Cette mentalité est néfaste pour le futur développement de l’entreprise.
Concluons avec 2 cas positifs pouvant servir d’exemples.
Comme mentionné ci-avant, les investisseurs étrangers ne souhaitent trop souvent pas investir dans une structure belge. Une récente exception qui mérite d’être soulignée, s’appelle Clear2Pay. Vendue à 375 millions d’euros et alors que les fondateurs détenaient encore 30 pour cent des actions, il faut le faire.
Lorsqu’il fut annoncé qu’une vente pouvait se faire à un acteur mondial, dont le siège central se trouvait aux Etats-Unis, l’on suggéra aussitôt qu’un joyau belge s’en allait encore. Ce n’est pas mon avis. Une entreprise doit viser la croissance et examiner comment celle-ci peut se matérialiser au mieux, en interne ou en externe. Si une fusion ou un rachat semble être la meilleure piste et qu’aucun acteur belge ne peut être trouvé, il faut se réjouir de ce qui arrive, plutôt que le critiquer.
Au lieu de s’en tenir à une attitude crispée typiquement belge, de piétiner sur place, voire de régresser dans une économie mondiale changeante, il est préférable et de loin de choisir la fuite en avant dans l’intérêt de tous les acteurs. La réaction à la vente est un signal clair qu’un changement de mentalité s’impose. Think big, think global. Un autre cas positif est la création de valeur autour de SparkCentral. LRM est l’une des rares parties à avoir la maturité suffisante dans les dossiers d’investissement. Le siège central de SparkCentral se trouve aux Etats-Unis, et LRM y a investi avec comme seule condition l’emploi au Limbourg.
L’on peut ainsi atteindre parfaitement l’emploi local d’une perspective globale. C’est clairement une situation gagnante pour les deux parties. SparkCentral a jusqu’à présent accompli un excellent parcours en ayant accès au financement de lancement et de croissance sur un marché ‘exit’ intéressant et avec de l’emploi en Belgique. La plus-value qui sera finalement créée, sera nettement supérieure que si SparkCentral était restée tout simplement en Belgique.
En outre, Dries Bruytaert n’aurait pu développer Acquia de la même façon, s’il ne s’était pas internationaliser, tout en travailla nt sur son projet au départ de la Belgique.
En guise de conclusion, il est recommandé à l’entrepreneur d’aspirer à un impact global avec un potentiel maximal. Si tel est l’objectif, il convient d’élaborer le plus correctement possible les fondations, avant de bétonner la structure. Avec quelle structure peut-on croître le mieux et où doit-elle se trouver pour toucher les investisseurs et clients souhaités? Selon moi, de préférence pas en Belgique: le marché n’y est pas favorable sur le plan du potentiel de sortie, et il n’y a ici que trop peu d’investisseurs prêts à prendre des risques. Short term gain = long term pain.
Nos pouvoirs publics injectent beaucoup d’argent dans les subsides, alors que l’incitant devrait être un climat favorable aux entrepreneurs, où ces derniers reçoivent de l’oxygène pour développer quelque chose. Les subsides sont des emplâtres sur une jambe de bois, alors qu’il faut que la blessure guérisse.
Les investisseurs, enfin, feraient bien de tenir compte qu’une mentalité du genre ‘mieux vaut un gros pourcentage qu’une bonne affaire’ est néfaste pour le potentiel de croissance d’une startup. Une telle façon de faire engendre assez souvent des échecs et ne rend à un moment donné plus les choses intéressantes pour l’entrepreneur lui-même.
Le goût d’entreprendre disparaîtra rapidement, si l’on subsiste encore en tant que fondateur avec 10 à 20 pour cent, et qu’il faut encore d’autres phases pour pouvoir continuer de croître.
Jusqu’à ce que l’on observe un véritable changement de mentalité des autorités et des investisseurs locaux en Belgique, il est préférable de supporter nos entrepreneurs à l’étranger. La chance qu’ils y créent de la valeur avec exit, sera nettement plus grande, ce qui fait qu’ils pourront à leur tout réinvestir dans d’autres entrepreneurs belges.
Aidez donc les entrepreneurs à croître et ne soutenez pas avec acharnement les structures conventionnelles. C’est la meilleure façon de garantir de l’emploi local. Car nos développeurs sont vraiment bons et ont l’avantage d’être encore abordables.
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