Pourquoi les Belges n’ont rien à faire d’un assistant AI chez eux

Toon Waterschoot © Filip Van Loock
Sebastien Marien Stagiair Data News 

Nos compatriotes semblent ne guère apprécier les haut-parleurs intelligents, tels l’Apple HomePod ou le Google Home. Il faut dire que ces appareils sont difficiles à trouver et trop anglophones. “En copiant simplement l’AI anglaise, il y a peu de chances que le haut-parleur intelligent trouve sa place dans nos habitations”, déclare le professeur Toon van Waterschoot de la KULeuven.

Les Belges ne sont pas spécialement friands de haut-parleurs intelligents, comme le démontrent des études de l’américaine National Public Media et de l’agence numérique belge iCapps. Seize pour cent des citoyens américains disposent à la maison d’un haut-parleur doué de l’intelligence artificielle, tel le Google Home, l’Amazon Echo ou l’Apple HomePod. En Belgique, seuls trois pour cent des habitants en possèdent un.

Ce n’est pas illogique étant donné que les géants technologiques qui fabriquent ces haut-parleurs, ne facilitent pas la vie de ceux/celles qui veulent acquérir un assistant numérique. Quiconque souhaite dans son fauteuil dresser oralement sa liste de courses, peut s’adresser à son/sa partenaire ou doit par le biais de boutiques web très spécifiques rechercher un interlocuteur audio intelligent. Amazon, par exemple, permet certes aux Belges d’effectuer leurs emplettes via ses sites français, anglais ou allemand, mais le haut-parleur Echo ne peut être envoyé à une adresse belge.

Courageux Belges!

Et les trois pour cent de courageux Belges qui possèdent fièrement un Amazon Echo, ne peuvent provisoirement que lui donner des instructions vocales en anglais. “Hey Alexa, note dans ma liste de courses: deux barquettes de beurre, un chou-fleur et six yoghourts”, n’est donc pas encore à l’ordre du jour. Google Home peut certes être utilisé en français, mais la qualité de cette version française laisse encore trop à désirer, selon les esprits critiques. Point de néerlandais à l’horizon par contre. Voilà qui explique le peu d’engouement chez nous pour ce genre de produit.

Une donnée étonnante de l’étude effectuée par iCapps, c’est que 92 pour cent de nos compatriotes n’ont pas l’intention cette année d’acheter un haut-parleur intelligent. Voilà qui en dit long sur le comportement pour le moins réservé de la part des Belges.

‘Démotivant’

Toon Waterschoot
Toon Waterschoot© Filip Van Loock

Pourquoi cette réticence collective? Data News en a parlé avec Toon van Waterschoot, professeur de technologie audio à la KU Leuven. Le but était de vérifier si les haut-parleurs intelligents pouvaient sembler rébarbatifs ou non, et comment l’intelligence artificielle (AI) sous-jacente évoluera à l’avenir.

van Waterschoot est d’accord avec le point de vue, selon lequel la barrière linguistique constitue un important obstacle à franchir pour de nombreux compatriotes: “Il ne va pas de soi pour tout un chacun de comprendre l’anglais et encore moins de prononcer correctement des ordres vocaux dans cette langue en vue de déclencher une action spécifique chez le haut-parleur intelligent.” Il insiste aussi sur le fait qu’il peut être extrêmement démotivant si l’assistant anglophone s’obstine à ne rien comprendre à cause de l’accent de son utilisateur.

Selon les entreprises technologiques, l’intelligence artificielle doit justement servir les gens d’une manière aussi confortable que naturelle. En théorie, le but est de ne plus avoir à réfléchir par exemple à quels mots-clés saisir de préférence dans une instruction de recherche, afin d’obtenir les résultats les plus pertinents. Avec l’intelligence artificielle, la machine doit précisément s’adapter à nous et à la manière dont nous communiquons.

‘Le néerlandais sous-estimé’

van Waterschoot observe cependant que cette prémisse ne se vérifiera pas toujours dans la pratique, si du logiciel comme Google Assistent (pour Google Home) ou Alexa (pour Amazon Echo) fonctionne en français et en néerlandais: “C’est surtout le néerlandais qui sera vraiment sous-estimé“, estime le professeur. “L’apprentissage machine du logiciel AI fonctionne en effet de façon telle que plus il entend d’instructions vocales dans une langue spécifique, plus il améliore sa capacité de comprendre cette langue.”

Or le néerlandais est nettement moins parlé que l’anglais par exemple, ce qui, selon van Waterschoot, aura un impact direct sur la précision avec laquelle les haut-parleurs intelligents seront capables de comprendre les néerlandophones. Le logiciel AI des haut-parleurs devra en outre pouvoir comprendre correctement l’accent tant néerlandais que flamand. Et c’est sans parler des nombreux dialectes et intonations différentes.

Pour les langues moins parlées, il faudra plus qu’une simple copie du logiciel AI anglophone

“Les entreprises à l’initiative des logiciels assistants devront rechercher de nouvelles technologies destinées à aider les haut-parleurs intelligents à mieux comprendre les langues moins parlées”, a encore expliqué van Waterschoot. “Je suis convaincu que les haut-parleurs s’imposeront à terme aussi chez les consommateurs wallons et flamands, mais pour cela, il faudra bien plus qu’une simple copie de l’AI anglophone. Du point de vue technique, cela demandera une toute autre approche afin d’améliorer la précision de langues plus confidentielles.”

‘Manque de communication non-verbale’

Un autre point à ne pas sous-estimer, selon van Waterschoot, c’est l’importance de la ‘communication multimodale’, à savoir l’interaction tant verbale que non-verbale. “La communication multimodale a automatiquement sa place dans le cas d’une interaction naturelle entre personnes”, explique encore van Waterschoot. “Les expressions de notre visage, notre attitude et nos gestes de la main jouent un grand rôle dans la compréhension de nos conversations. Or les haut-parleurs intelligents sont unimodaux, ce qui signifie qu’ils ne communiquent qu’au moyen du son de la voix”, poursuit van Waterschoot. Il peut évidemment sembler étrange de parler avec un interlocuteur ayant le rayonnement d’une bouteille thermos. Surtout si cette bouteille thermos parlante fait en plus entendre un son vocal clair et intense dans votre habitation. van Waterschoot le confirme: “Le manque aigu d’une communication non-verbale fait que les gens peuvent considérer l’interaction avec les haut-parleurs intelligents comme peu agréable.”

Un jeune ménage avec enfants, où il y a déjà de toute façon pas mal de bruit ambiant, aura évidemment moins besoin d’un assistant virtuel supplémentaire dans son environnement.

En outre, le professeur affirme qu’un robot, qui effectue des mouvements de manière plus ou moins humaine, peut mieux faire penser qu’on communique avec une personne. “Actuellement, les progrès vont bon train dans la façon dont les robots interagissent avec les seniors”, prétend Toon van Waterschoot. “La solitude est un gros problème chez les personnes âgées, et une personne virtuelle peut les aider à ce niveau.”

L’année dernière encore, le centre de recherche Imec et l’entreprise de robotique Zora ont présenté le premier robot soignant créé sur mesure pour les seniors nécessitant des soins. En novembre, le robot Zora est ainsi venu en aide à deux maisons de repos gantoises. Toon van Waterschoot insiste cependant sur le fait que l’utilisation de robots ne peut être intéressante que pour des applications de niche: “Un jeune ménage avec enfants, où il y a déjà de toute façon pas mal de bruit ambiant, aura évidemment moins besoin d’un assistant virtuel supplémentaire dans son environnement.”

Préoccupations de confidentialité

Une autre préoccupation que les consommateurs ont à l’égard du haut-parleur intelligent, c’est celle du respect de leur vie privée: “Le micro des haut-parleurs intelligents est toujours activé, et cela accentue sans aucun doute d’autant plus la crainte chez de nombreuses personnes”, indique encore van Waterschoot. “D’autre part, les fabricants ont un bon argument technique à faire valoir à propos de l’activation permanente du micro. D’abord, le haut-parleur est déjà activé par une commande vocale, puis il mesure aussi en continu le son ambiant du local où il se trouve. Ce faisant, il est capable d’éliminer par filtrage tous les sons perturbateurs, afin qu’il soit toujours prêt à réagir à une commande.”

Collaboration IoT intelligente

Enfin, le professeur signale encore qu’il y a pas mal de progrès possibles au niveau de la façon dont collaborent les appareils audio intelligents, tels les haut-parleurs. van Waterschoot a lui-même introduit une demande d’étude pour un projet destiné à améliorer les choses. “Un living classique contient plus de cinq appareils différents qui peuvent chacun utiliser un micro, un haut-parleur et une connexion internet. Il serait particulièrement intéressant que ces appareils puissent collaborer automatiquement et directement”, selon le professeur.

Et de donner un exemple évident: “Si vous êtes trop éloigné de votre haut-parleur intelligent pour lui poser une question, mais que votre smartphone se trouve sur la table toute proche, ce dernier pourrait veiller à ce que votre demande soit directement transmise au haut-parleur. A ce moment-là, les deux appareils seraient reliés par un même réseau, et ils pourraient tous deux enregistrer et reproduire des sons. Techniquement, il est donc possible que des appareils qui partagent ce genre de propriétés, puissent collaborer aisément”, conclut van Waterschoot.

Apple HomePod

Le mois prochain, Apple concurrencera pour la première fois avec son HomePod les haut-parleurs d’Amazon et de Google. Le haut-parleur intelligent d’Apple embarque Siri en tant qu’assistant numérique. L’appareil ne sera dans un premier temps en vente qu’aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie.

Reste à attendre pour savoir quel géant technologique sera le premier à commercialiser officiellement son haut-parleur dans notre pays. Il est certain en tout cas qu’il faudra pas mal de progrès encore, avant que les Belges ouvrent massivement leurs portes à un assistant numérique du genre. Une autre question est évidemment de savoir si ce dernier s’appellera Alexa, Google ou HomePod.

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