Aux Etats-Unis, Facebook met fin à sa collaboration avec les vérificateurs de faits 

Mark Zuckerberg © Chris Unger/Zuffa LLC via Getty Images
Pieterjan Van Leemputten

Meta ne collabore plus avec les vérificateurs de faits sur Facebook et Instagram aux Etats-Unis. Selon l’entreprise, le programme est trop politiquement biaisé. L’un des plus importants vérificateurs de faits américains contredit catégoriquement cette affirmation.

Dans une vidéo, le CEO et fondateur de Meta, Mark Zuckerberg, annonce que Meta va adapter sa politique d’évaluation pour Facebook et Instagram aux Etats-Unis. Les vérifications des faits par des journalistes professionnels seront remplacées par des ‘community notes’, un système que X (Twitter) utilise depuis plusieurs années déjà. 

‘Les vérificateurs de faits sont politiquement biaisés et ont brisé plus de confiance qu’ils n’en ont créé’, déclare Zuckerberg dans une vidéo. ‘Ce qui a débuté comme un mouvement visant à être plus inclusif, a été de plus en plus utilisé pour contrecarrer des opinions et exclure des personnes ayant des idées différentes, et cela est allé trop loin.’ 

Cet ajustement stratégique n’est pas le fruit du hasard, maintenant que Donald Trump redevient président. La semaine dernière, Nick Clegg a démissionné de son poste de responsable global affairs et a été remplacé par Joel Kaplan, un ex-conseiller politique de l’ancien président George W. Bush. Cela montre clairement que Meta veut plaire à Trump. 

Aucune plainte jusqu’à aujourd’hui 

Il est très clair que cet ajustement apparaît principalement comme une décision politique. C’est ainsi que le changement ne s’applique actuellement qu’aux Etats-Unis. Dans le même temps, les plaintes déposées actuellement n’ont jamais été formalisées, selon Maarten Schenk. Ce dernier est co-fondateur de la firme américaine de vérification de faits Lead Stories, qui collabore avec Meta depuis des années déjà. L’entreprise emploie 60 à 70 personnes qui vérifient les faits au niveau mondial. 

‘Depuis toutes les années où nous faisons partie de ce partenariat, Meta ne nous a jamais rien demandé ni fait de commentaires sur les préjugés politiques.’ 

‘Depuis toutes les années que nous faisons partie de ce partenariat, Meta ne nous a jamais rien demandé ni fait de commentaires sur les préjugés politiques. Aucune plainte n’a été déposée auprès de l’IFCN, même s’il existe également une procédure pour signaler ce genre de choses.’ L’IFCN est l’International Factchecking Network, une association sectorielle qui contrôle les vérificateurs de faits et met également fortement l’accent sur l’impartialité. 

Il est assez singulier qu’il n’y ait qu’aux Etats-Unis que les vérificateurs des faits ne soient pas impartiaux. En Europe, les collaborations restent pour l’instant intactes. ‘Il nous a été expressément signalé que les interventions se limitaient aux Etats-Unis’, explique Bert Bultinck, rédacteur en chef du magazine flamand Knack. Knack fait partie du programme de vérification des faits de Meta depuis 2020. Aujourd’hui, trois vérificateurs de faits fournissent des services à Meta, ce qui représente environ 25 vérifications par mois. 

‘Censure’ 

Bultinck considère ce changement de politique comme un signal dans l’attitude de Meta: ‘Il s’agit soudain d’une censure qui va trop loin. C’est un tournant improbable de la part de Zuckerberg. Le vocabulaire de Trump est en train d’être adopté.’ 

Le vocabulaire de Trump est en train d’être adopté. 

L’affirmation de Meta selon laquelle il y a une censure, est absurde, selon Schenk: ‘Les vérificateurs de faits n’ont pas le pouvoir de supprimer des articles. La seule qui peut le faire, c’est Meta elle-même. Meta déclare également qu’elle trouve les labels trop durs et que la diffusion des publications est limitée (un article qualifié de fausse nouvelle se voit attribuer un label clair et est moins visible sur Facebook, ndlr). Eh bien, elle peut parfaitement supprimer ces labels. La mesure dans laquelle un article est distribué, est également quelque chose sur lequel Meta a un contrôle total. Je lui ai déjà suggéré que les labels soient plus petits ou plus sympas, et c’est ce que nous demandons.’ 

Compte tenu de la situation politique, l’arrêt n’est pas totalement inattendu, mais Schenk a quand même été surpris dans la mesure où les contrats avec Meta ont été renouvelés il y a quelques semaines seulement. Knack a également récemment renouvelé son contrat, qui court en principe jusqu’en janvier 2026. 

L’arrêt constitue également une perte financière pour Lead Stories. L’entreprise compte environ une douzaine de personnes qui vérifient les faits spécifiquement aux Etats-Unis. Aujourd’hui, un tiers des revenus de l’entreprise environ provient du partenariat conclu avec Meta. Elle a un partenariat similaire avec la société-mère de TikTok, Bytedance. Lead Stories a désormais également exprimé ses réserves quant à l’arrêt dans une réponse formelle

Ne pas contrarier les politiciens 

Un autre détail est que la vérification des faits réalisée par Meta a été très prudente dès le départ pour ne pas contrarier les politiciens. C’est ainsi que les messages publiés par des hommes/femmes politiques ont toujours été exemptés de contrôle. Si un politicien voulait prétendre que la Terre est plate et que nous vivons dans une simulation, en faisant référence à un article factuellement incorrect, les vérificateurs de faits qui travaillent pour Meta, n’étaient pas autorisés à le contredire. 

Le terme ‘politicien’ est également pris au sens assez large. C’est ainsi, selon Meta, qu’Elon Musk est aujourd’hui classé comme un politicien, ce qui signifie qu’il peut aussi dire ce qu’il veut sur les plateformes sans qu’il soit corrigé. 

Les ‘community notes’ 

Selon Schenk, ce qui remplace la vérification des faits, n’est pas une meilleure solution. Les ‘community notes’ sont des commentaires que les utilisateurs peuvent ajouter de manière anonyme. Si Meta suit le modèle de X, cela signifie que les commentaires qui reçoivent suffisamment de votes, apparaîtront automatiquement sous un post. 

Dans certains cas, cela fonctionne, mais en raison de l’anonymat et du fait que les gens aiment voter sur des commentaires représentant leurs propres opinions, cela représente rarement la vérité. En même temps, ils sont souvent utilisés à mauvais escient sur des sujets controversés. 

Des vies humaines en jeu 

Bien que la vérification des faits par Meta ne soit interrompue qu’aux Etats-Unis, Bultinck s’inquiète du changement de cap. Il se tourne vers les politiciens à différents niveaux pour obtenir une réaction: ‘L’Europe a toujours été plus ferme dans la protection de la vie privée, dans la détermination de règles de jeu déontologiques. C’est donc matière à débat. J’espère que la Commission européenne et les hommes politiques flamands et fédéraux en prendront conscience.’ 

Il souligne encore que la vérification des faits fait une différence et peut sauver des vies: ‘Ce n’est pas un débat intellectuel, c’est une question de sécurité. Nous avons vu la désinformation lors de la pandémie du Covid, du génocide contre les Rohingyas (au Myanmar, ndlr) et des tentatives de désinformation désormais bien documentées en provenance de Russie. Le frein à ce type de désinformation est ici levé, et il peut alors très rapidement arriver que des vies humaines soient en jeu parce que les gens sont mal informés. A cet égard, la désinformation constitue aujourd’hui un problème de défense.’ 

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