Axel Nackaerts
Metaverse : le monde 100 % virtuel n’existe pas
Axel Nackaerts, responsable du programme IA à l’imec : ” Les mondes virtuel et physique sont inextricablement liés, et c’est là que se cachent les meilleures opportunités “.
Étant un mordu de technologie impartial, je trouve dommage que Facebook se soit approprié le terme Meta(verse). Ce terme existe déjà depuis trente ans et représente bien plus que la simple création d’un avatar pour jouer à des jeux en ligne. Il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg. Le metaverse est un système décentralisé, similaire à l’Internet, dans lequel une personne peut se connecter virtuellement à d’autres personnes et objets physiques et virtuels.
Il ne doit pas nécessairement se limiter au monde virtuel. Prenons l’exemple suivant : vous devez rénover ou réparer votre maison et avez besoin d’un plombier, d’un électricien et d’un couvreur. À l’heure actuelle, cela signifie que les trois devront venir sur place. En revanche, les travaux pourraient être effectués de manière plus efficace et coordonnée si ces professionnels disposaient d’un robot pouvant être commandé à distance. Pourquoi partons-nous toujours du principe qu’un robot doit être capable de fonctionner en toute autonomie à l’aide de l’intelligence artificielle ? Ne pourrait-on pas tout simplement laisser un être humain commander le corps du robot ? La chirurgie, par exemple, a déjà largement adopté ce type de concept. Selon les perspectives européennes concernant l’industrie 4.0 et 5.0, les robots effectueront les tâches répétitives tandis que les humains se chargeront de l’aspect créatif. Possible, toutefois je ne vois pas en quoi un travail à distance, aussi répétitif ou peu créatif soit-il, ne pourrait pas susciter le même intérêt chez les gens.
Les mondes virtuel et réel sont inextricablement liés et c’est là que se trouvent les meilleures opportunités.
C’est aussi l’ambition de créer une “expérience immersive” qui anime les mondes virtuels actuels. Ils éveillent différents sens et tentent de vous immerger au maximum, en vous proposant par exemple un jeu, un concert ou un match de sport depuis votre salon. Cette expérience ne représente toutefois qu’un côté des choses : les solutions techniques universelles qui permettent une immersion totale ouvrent également la voie à de nombreuses autres applications. À mon avis, les applications du metaverse qui auront le plus d’impact résident dans la combinaison entre l’automatisation et les actions humaines, c’est-à-dire entre le monde totalement virtuel et le monde physique.
Pas de monde virtuel sans technologies physiques
En tant que technophile, je suis avant tout emballé par la technologie qui permet de créer ces expériences. Tout comme la personne qui construit une autoroute ne se préoccupe pas nécessairement de la manière dont nous profitons de nos vacances au bord de mer. L’impulsion donnée par l’Internet des objets (IdO) au cours des dernières décennies a permis de déployer des capteurs un peu partout, générant des quantités gigantesques de données. Bien souvent, nous n’avons qu’une idée limitée de ce que nous pouvons faire avec toutes ces données.
Par exemple, les systèmes d’assistance à la conduite et les véhicules autonomes créent actuellement une propre image de la réalité qui les entoure. Cette méthode est loin d’être efficace, car ils partagent tous la même réalité. En théorie, le metaverse permet de construire une modélisation unique du monde à partir de données provenant de diverses sources. Les usagers de la route transmettraient alors activement des informations sur leur identité et leur destination, lesquelles seraient ensuite rassemblées par le metaverse pour former un ensemble cohérent. Pour qu’un tel scénario soit envisageable, il faut toutefois que les développements technologiques s’adaptent en conséquence.
Par exemple, l’ensemble de nos échanges de données repose aujourd’hui encore essentiellement sur les connexions aux grands serveurs et au cloud. Le metaverse est différent dans la mesure où il n’y a pas nécessairement de serveur central. L’une des exigences est que l’ensemble de ces échanges de données se déroule très rapidement, en moins de 50 millisecondes. L’échange local de données est sans aucun doute bien plus rapide que lorsqu’elles passent par un serveur cloud. Pour cela, il faut disposer d’une plus grande capacité de calcul au niveau local (dans ce que l’on appelle la “périphérie”), étant donné que les calculs complexes ne sont plus effectués par des serveurs cloud. Les serveurs domestiques ou les stations de base sur les tours de télécommunication pourraient éventuellement servir d’étape intermédiaire à ce niveau. Ces stations intermédiaires se multiplieront à l’avenir, notamment dans le cadre des communications sans fil de cinquième et sixième générations (5G et 6G). Mais ce n’est pas tout. Pour assurer une intégration harmonieuse des mondes physique et virtuel, il faudra encore accomplir des progrès substantiels à plusieurs niveaux dans la technologie sous-jacente : des interfaces avec les utilisateurs jusqu’aux tréfonds de l’infrastructure informatique et de communication sous-jacente.
Au-delà de la fureur technologique des jumeaux numériques, blockchain et NFT
Le déroulement de ce processus sera très évolutif. Regardez ce qui se joue déjà dans le secteur du jeu vidéo. Ce qui était au départ de simples consoles de jeu destinées à usage individuel a évolué vers des jeux en ligne massivement multijoueurs et des environnements VR. Le même phénomène se produira pour l’IdO. Pour le moment, quasiment toutes les applications sont exploitées en parallèle à partir de leur propre réseau de capteurs (par exemple, les infos trafic et les radars météorologiques). On assiste petit à petit à l’émergence de systèmes plus intégrés, basés ou non sur ce que l’on appelle un jumeau numérique (par exemple, pour établir un lien entre les prévisions météorologiques et les infos trafic). Ces jumeaux numériques se présentent actuellement encore sous la forme de tableaux de bord relativement bidimensionnels et numériques, mais ils évolueront progressivement vers des environnements 3D dans lesquels il sera également possible de se déplacer, d’influencer des objets physiques (tels que des feux de signalisation), etc. Chaque étape est marquée par une amélioration de la technologie disponible et une augmentation de la quantité d’informations, ouvrant ainsi la voie à des applications qui sont actuellement quasi inconcevables. Pensez par exemple à l’adaptation dynamique des itinéraires automobiles, des limitations de vitesse et des feux de signalisation, en tenant compte de la densité du trafic observée et anticipée, des temps de conduite des transports publics, de la pollution atmosphérique et des événements culturels et sportifs.
Bien que le développement du metaverse ultime se fait progressivement, il est essentiel de tenir compte de l’objectif final dès le début du développement technologique. Désormais, il ne suffit plus d’optimiser chaque composant séparément : il faut utiliser la meilleure mémoire, le meilleur processeur et le meilleur écran. Vous risquez sinon de rencontrer des difficultés avec, par exemple, l’alimentation électrique disponible dans votre application finale. Il faut également tenir compte de toutes sortes d’autres aspects et conditions préalables. Pensez à l’identité et au lieu : de quelle manière saurons-nous avec qui nous communiquons dans le metaverse et comment pourrons-nous nous retrouver ? Comment distinguer le “vrai” du “faux” dans le monde numérique ? Voilà des aspects où réside la véritable valeur ajoutée des jetons non fongibles (NFT), au-delà de la fureur qui les entoure actuellement.
À partir du moment où nous n’aurons plus recours à des serveurs cloud centralisés, mais que les calculs seront effectués par une multitude de dispositifs plus petits dans notre environnement, il sera nécessaire d’élaborer un nouveau modèle économique. Ensuite, il faudra pouvoir déterminer quel appareil a effectué quel pourcentage de vos calculs et aussi rémunérer correctement le propriétaire. La technologie de la blockchain peut apporter une contribution importante à la gestion de toutes ces petites transactions virtuelles.
Pour résumer, un monde 100 % virtuel n’existe pas. On aura toujours besoin d’une installation technologique physique. Par ailleurs, si le monde physique reste indispensable, nous ferions mieux de nous concentrer sur un scénario “et/et” dans lequel les mondes physique et virtuel se complètent efficacement au lieu de s’exclure l’un l’autre.
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