Thomas De Vos
Métavers ou méta-avers(ion)?
Souhaitons-nous que les environnements virtuels l’emportent sur notre monde primaire aux interactions profondément humaines? Telle est la question que Thomas De Vos de The Reference se pose dans cette opinion.
Lors de Facebook Connect plus tôt cette année, Marc Zuckerberg révéla en grande pompe la nouvelle appellation de son entreprise: Meta. Le terme grec pour ‘proche, par-dessus ou à travers la réalité’. Ce changement est en fait un clin d’oeil on ne peu plus clair adressé au concept metaverse – un environnement 3D virtuel en train de s’imposer rapidement. Cet environnement se compose de divers espaces où il est possible au moyen d’un avatar de regarder, bouger et interagir avec d’autres. On peut entre autres y déambuler avec des amis, jouer ensemble, assister à des concerts ou faire du shopping. Dans un environnement de travail, cela se traduit par des réunions de groupe.
L’étape vers une nouvelle sorte de prison numérique n’est plus si éloignée.
Ce changement de nom est surtout un coup stratégique, qui plus est intelligent. Car l’entreprise est la première à revendiquer ainsi l’appellation meta. Zuckerberg crée de ce fait la perception que Facebook devient le seul véritable métavers et espère donc faire de l’ombre aux autres acteurs importants. Cette réaction s’impose dans la mesure où Facebook est soumise à une forte pression. Nombre d’autres plates-formes gagnent en effet du terrain. C’est ainsi que de nombreux utilisateurs Facebook jouent à Roblox, Fortnite ou ont recours à des réseaux sociaux basés sur la réalité virtuelle tels VRchat. Le COVID-19 joue ici un rôle important. Les gens passent en effet plus de temps chez eux et cherchent à se distraire dans des mondes virtuels meilleurs. Pour assurer l’avenir de son entreprise, Zuckerberg aime donc nous faire croire que le métavers, et en particulier sa Meta, est ‘the next big thing (la prochaine grande révélation)’. Mais l’univers métavers est-il à ce point parfait?
Non, clairement pas. C’est ainsi que Facebook tente de compliquer l’introduction de nouveaux acteurs sur le marché, afin de renforcer et d’étendre encore son monopole. De plus, sous l’appellation Meta, il est possible de faire progresser encore la technologie de reconnaissance faciale sensible au respect de la vie privée. Via des lunettes VR expérimentales, on serait par exemple à présent déjà capable de capter les expressions du visage et les émotions. Or nous ne souhaitons pas vraiment créer un jumeau numérique complet de nous-mêmes et reproduire tout notre environnement physique dans un monde virtuel. Et c’est là que le bât blesse de nouveau, car nous apporterions ainsi à Facebook tout simplement les données qui lui manquent encore et ce, au détriment de notre propre confidentialité. Des données supplémentaires augmentant les flux financiers existants et offrant de nouvelles possibilités publicitaires. Pensons ici seulement aux valves métavers de publicités personnalisées.
L’étape vers une nouvelle sorte de prison numérique n’est plus si éloignée. Un environnement sous surveillance en ligne quasi permanente avec dans le rôle du maton une firme commerciale. Un espace virtuel, où chaque mouvement est enregistré et duquel il est difficile de s’échapper. Nous aurons en effet alors consacré pas mal de temps à l’agencement de notre living virtuel et de notre présence métavers. Et en raison de la pression sociale, il ne sera en outre pas simple de laisser tomber les amis avec qui nous fréquentons des événements et jouons à des jeux. Tout comme dans le monde réel, nous voudrons en effet être de la partie. La frontière entre l’online et l’offline sera encore plus ténue, ce qui fait qu’avec le métavers, il ne sera pas facile de se déconnecter.
Souhaitons-nous que les environnements virtuels l’emportent sur notre monde primaire aux interactions profondément humaines?
En tant que digital innovation consultant, je suis convaincu que la technologie peut améliorer notre qualité de vie. Ce glissement métavers m’inspire de temps à autre une réflexion technophobe. Je crois que la percée de mondes virtuels peut constituer une menace pour notre bien-être physique et mental. Le risque existe que les métavers perturbent nos compétences sociales physiques et les relations profondément humaines. Si j’observe combien de familles sont aujourd’hui déjà aux prises avec la durée passée par leurs enfants devant un écran, je crains que les métavers nous rendent encore plus accros. En Chine, on a déjà identifié ce problème. Cet été, les autorités y ont décidé de ne plus laisser jouer les jeunes de moins de 18 ans que 3 heures par semaine. Les développeurs métavers savent en effet très bien que leur groupe-cible aura la propension de fuir la réalité – pas toujours agréable – et de changer d’identité pour pouvoir agir de manière anonyme. C’est là qu’il est préférable de recourir à des avatars nous permettant de jouer aisément d’autres rôles. Il y a cependant là le risque sous-jacent que nous perdions progressivement notre propre identité.
On créera un monde complètement modélisé sur base d’une vision idéaliste. Un monde dans lequel tout sera possible, sans qu’il faille en supporter les conséquences. Oui, nous pourrons ainsi perdre notre créativité, mais notre imagination pourra elle aussi être fortement perturbée, parce que tout sera permis et que nos limites s’estomperont de plus en plus. C’est ainsi que le premier cas de comportement d’outrage sexuel est déjà un fait dans le métavers.
Est-ce là le chemin que nous voulons continuer de suivre? Souhaitons-nous que les environnements virtuels l’emportent sur notre monde primaire aux interactions profondément humaines? Surtout aujourd’hui que nous savons que les premiers cités seront encore plus malaisés à réguler? Et que leur contrôle sera laissé à une seule entreprise. Est-ce vraiment ce que nous voulons compte tenu des effets néfastes possibles?
A l’avenir, nous devons apprendre à faire face à ces menaces. Le défi à relever par les individus et les autorités consistera à créer un environnement sécurisé du métavers. Un débat s’impose au plus vite. Il faudra surtout veiller à ce que notre jeunesse ne s’y égare pas et s’éloigne de nous.
La vie n’est pas une fête au quotidien. Apprendre à faire face aux contrecoups, petits ou grands, est spécifique à la vie. La solution n’est pas de s’évader dans un monde idéal virtuel éphémère dirigé par des acteurs commerciaux. En plus de créer une copie virtuelle de soi-même, il reste intéressant et valorisant d’évoluer en tant que personne – avec des hauts et des bas – vers une meilleure version de soi vivant ici et maintenant.
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