Longread: sommes-nous encore satisfaits de nos ‘outsourcers’?
L’externalisation IT a toujours le vent en poupe, même si l’on voit apparaître des phénomènes comme l’internalisation ou le captif. Par ailleurs, force est de constater que ce n’est plus (seulement) l’IT qui décide d’un contrat d’outsourcing, mais que le business intervient toujours plus.
Le marché croît encore et toujours, mais pour d’autres raisons qu’avant.
L’IT Outsourcing Study BeLux 2016 de Whitelane Research et la Vlerick Business School parue plus tôt dans l’année ne laisse planer aucun doute : 86 % des entreprises interrogées (plus de 90 % du marché de l’externalisation IT) indiquent vouloir dépenser davantage, sinon plus, une croissance de 5 % sur l’année précédente. De même, d’autres études étrangères évoquent une tendance à la hausse. “Le marché continue effectivement à croître, mais les motivations sont différentes, explique Jef Loos, head sourcing Europe chez Whitelane. Les économies de coûts demeurent toujours un aspect important, mais certaines entreprises en sont déjà au maximum en termes de réduction des coûts, d’autres ont déjà externalisé 90 %, dont 80 % en offshore. On constate de plus en plus que les sociétés cherchent à voir comment elles pourraient augmenter leurs revenus grâce à l’outsourcing, grâce à de nouvelles technologies ou des projets de transformation.”
Transformation numérique
Jipson Mathew, country head de Tata Consultancy Services Belgium (TCS), confirme cette évolution. “La réduction des coûts ne constitue désormais plus la motivation principale pour externaliser. Aujourd’hui, les entreprises recherchent surtout un partenaire fiable pour les accompagner dans leur transformation numérique, quelqu’un qui pourra les guider dans un paysage économique en pleine mutation suite aux innovations du numérique. Une externalisation de type classique ne pourra jamais apporter les résultats escomptés par l’entreprise, tout doit être intégré dans une stratégie organisationnelle et technologique plus vaste. L’externalisation d’infrastructure demeure évidemment un élément important de chaque projet, mais il ne s’agit que d’un aspect parmi d’autres d’une stratégie beaucoup plus vaste.”
L’acteur que vous choisissez, est finalement moins important. Consentez surtout vos efforts dans une bonne gouvernance.
Son point de vue est confirmé par une récente étude de la CBI, la Confederation of British Industry, le pendant britannique de la FBE. Dans son rapport ‘Outsourcing in Europe’, la CBI estime que les entreprises qui envisagent aujourd’hui d’externaliser sont beaucoup plus exigeantes sur le plan de la qualité, de la communication, de l’expertise technique, de l’expérience et de la certification. Elles veulent que leur prestataire d’externalisation se profile davantage comme un partenaire métier qui connaît l’activité du client et peut lui suggérer des innovations ; en d’autres termes, qu’il apporte une véritable valeur ajoutée. “C’est aussi le conseil que je donne aux clients, précise Jef Loos. Le fournisseur que vous choisissez n’est au final pas vraiment important, il faut surtout s’intéresser à la gouvernance. Et l’un des aspects de cette gouvernance est précisément l’innovation. Et si un vendeur ne la propose pas, il faut mettre la pression.”
Sourcing Global…
Le marché de l’externalisation est largement devenu mature, poursuit Jef Loos, certaines entreprises en étant déjà à leur 4e cycle d’outsourcing, ce qui leur permet de savoir à quoi s’attendre. “En Europe, le marché le plus mature est la Grande-Bretagne, suivi de la Scandinavie, puis du Benelux. Et, dans une moindre mesure, les marchés allemand, français et espagnol. En cause essentiellement la langue puisque les grands acteurs indiens travaillent en anglais. Mais on ne retrouve pas que des sociétés indiennes en Inde puisque IBM, Capgemini ou Accenture par exemple y ont des activités offshore, presque autant que les Indiens d’ailleurs. C’est ce que l’on appelle le global sourcing avec du personnel onshore remplacé par de l’offshore, ce qui permet aux outsourceurs de rester concurrentiels. L’offshore pourrait être réduit grâce à l’informatique agile, en mettant vos équipes plus près du client, entendez du métier. De même que par l’automatisation – autrefois, un centre de données nécessitait beaucoup de main-d’oeuvre – même si l’automatisation ne fera que réduire le coût du travail sur la facture globale. Or si 80 % des frais sont des coûts de capitaux, peu importe que le mainframe soit installé ici ou en Inde.”
La plupart des accords d’externalisation en Belgique oscillent entre 1 et 5 millions d’euros par an.
… Et sélectif
L’étude de Whitelane indique en tout cas qu’environ 90 % des entreprises belges sont satisfaites de leur fournisseur d’outsourcing. “En Belgique, c’est surtout Cegeka qui connaît une forte progression, relève encore Loos. Nous n’avons plus chez nous beaucoup de grandes entreprises de sorte que la croissance doit surtout venir des moyennes organisations. Et qui couvre ce marché ? Essentiellement Cegeka, et dans une moindre mesure AtoS. ‘Moyen’ signifie pour moi un budget IT entre 5 et 20 millions €, sachant que la plupart des contrats d’externalisation en Belgique se situent entre 1 et 5 millions €. Un fait est certain : l’époque des méga-contrats est pratiquement révolue en Europe. La plupart des contrats sont désormais scindés entre plusieurs fournisseurs, c’est le sourcing sélectif. Et tant mieux. Autrefois, une seule entreprise n’avait pas assez de compétences et donnait la préférence à un seul et même fournisseur pour gérer son projet, mais désormais le client s’est doté des compétences nécessaires et peut agir comme une sorte d’intégrateur face à 3 ou 4 prestataires.”
Parmi les acteurs européens, Accenture occupe la meilleure position selon Loos. “Ils sont peu focalisés sur l’infrastructure, attirent toujours des personnes de talent, disposent d’un management fort et ont une structure assez plate. Tout comme TCS d’ailleurs, où on ne trouve pas non plus beaucoup de niveaux de management – ce qui se traduit par des marges nettes supérieures. Et ce que tant les Indiens qu’Accenture ont bien compris : l’accent est mis sur les P&P dans l’industrie, alors que les autres acteurs européens continuent à travailler par domaine d’activité – avec une division infrastructure et une division applications qui ne communiquent pas toujours entre elles. Comment affirmer dans ces conditions être ‘orienté clients’ ? Pour aider efficacement le client, il faut commencer par comprendre son métier sans quoi il ne sera jamais possible d’innover.”
Par ailleurs, TCS a compris qu’il fallait disposer d’une filiale locale, insiste pour sa part Jipson Mathew. “Ces dernières années, nous avons investi énormément dans des effectifs et de l’infrastructure locales. En 2013, nous avons racheté Alti, un prestataire français de services fortement implanté en France, en Suisse et en Belgique, ce qui a permis de compléter nos capacités globales par des compétences et du savoir-faire locaux. Nos activités en Europe représentent actuellement déjà 27 % de notre chiffre d’affaires mondial de 16,5 milliards $.”
In et out
Jef Loos met également en lumière un autre phénomène. “Si l’outsourcing est toujours en croissance, il en va de même pour l’insourcing. Pour 8 entreprises sur 10, l’externalisation progresse, mais elles internalisent également. Parfois, il s’agit d’entreprises matures comme Wabco qui ont déjà fait beaucoup d’externalisations et entendent désormais passer au captif. Elles veulent économiser davantage encore et s’approprier la marge du vendeur. En fait, chaque entreprise devrait revoir chaque année son sourcing sous un angle critique et éventuellement choisir d’internaliser certains processus – je songe par exemple au helpdesk dont les entreprises ne sont pas toujours contentes. De même, il vaut mieux avoir la main sur le processus d’intégration entre la nouvelle tendance qu’est le cloud et les architectures IT classiques.”
Priorité au métier
Enfin, se dégage cette tendance qu’évoquent tant TCS que Jef Loos : l’outsourcing initié par les gens du business. “Voici 10 ans, l’interlocuteur des fournisseurs dans les entreprises était à 95 % l’informatique et le CIO. Aujourd’hui, un tiers des interlocuteurs viennent du business et l’on évolue vers du 50/50. En d’autres termes, les décisions d’outsourcing sont prises davantage par le métier que par l’IT.”
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