Bruno Segers
L’obésité numérique nous touche tous
“Admin ou pirate !” Telle était la réponse formulée spontanément par Matthias, 6 ans, à la traditionnelle question posée lors de la tout autant traditionnelle fête de fin d’année d’une très traditionnelle famille flamande.
En son temps, la réponse aurait fusé : “curé ou bonne soeur”, “médecin ou infirmière”, puis plus tard “agent de police ou pilote”. Mais l’ère numérique semble s’imposer à nous. Place donc à la génération qui grandira non seulement avec la voiture sans chauffeur pilotée par un joystick, mais qui pourra faire plus de choses avec deux doigts que beaucoup d’entre nous n’ont jamais pu le faire avec dix.
Alors que nous continuons à épiloguer sur la numérisation et la rupture, à nous sentir obligés de partir chaque année en pèlerinage dans la Silicon Valley comme une sorte de La Mecque du monde numérique, et à dévorer des ouvrages d’évangélistes qui nous prédisent la “nouvelle normalité”, de nombreux jeunes profitent déjà pleinement de ce nouveau monde – qui s’impose pour eux comme une évidence. Il est donc grand temps d’arrêter ces voyages coûteux et ces lectures en vogue pour se mettre réellement à l’ouvrage et concrétiser au plus vite – avec la génération montante – la transformation numérique de notre société.
L’époque où le secteur ICT regorgeait de nerds atypiques est clairement révolue.
Première résolution pour 2016 : abandonner le terme “numérique” comme adjectif. Médias numériques ? Téléphonie numérique ? Télévision numérique ? Marketing numérique ? Cela fait des années déjà que les médias, la téléphonie, la télévision et le marketing sont numériques. Au lieu de continuer à utiliser depuis des années cet adjectif, il serait préférable de se mettre en quête du nouveau terme ICT pour 2016, d’autant que “She goes ICT” commence à dater. Depuis l’émergence des médias sociaux et de la numérisation du marketing, l’apport de talents féminins est désormais une réalité. L’époque où le secteur ICT regorgeait de nerds atypiques est clairement révolue. Et même Bill Gates, Mark Zuckerberg et – plus près de chez nous – Vincent Van Quickenborne ont désormais trouvé l’âme soeur. Plus besoin donc de se pencher sur ce sujet.
Data News, la référence du secteur, la Bible de l’informaticien belge, se lance à la recherche d’un successeur pour “She goes ICT” et m’a donné carte blanche. A partir de ce mois donc, je reçois chaque mois 5 000 caractères (j’ai déjà un mauvais caractère, sic) pour me laisser aller. En qualité de fou du roi ou d’enfant terrible. Je ne vais évidemment pas me pencher sur les évolutions technologiques et les opinions exprimées sur ce thème. Car les tendances technologiques et les opinions à ce sujet sont largement fausses. Et tout le monde serait capable de citer plusieurs exemples. Mon favori ? Le cost of ownership qui diminuerait constamment. On entend cela depuis 30 ans. Si c’était vrai, nous aurions tous un iPhone gratuit. Ce qui va dès lors m’inspirer ? La Belgique, l’international, le numérique, la gestion, l’entreprenariat et bien sûr aussi le “terme ICT du mois”.
Voici d’ores et déjà le premier nommé : l’obésité numérique. Ce terme a vu le jour le 14 janvier 2016 dans le dernier rapport digiMteter de iMinds. L’obésité numérique porte sur la surconsommation d’informations numériques. Comme si les digital natives et autres millennials n’étaient pas des noms déjà suffisamment bizarres, ces jeunes vont en outre devoir souffrir d’une maladie au nom effrayant : l’obésité numérique. Eh oui, cela devait arriver : autrefois, on parlait de teenagers, aujourd’hui ce sont des screenagers. Plus des auditeurs ou des téléspectateurs, mais bien des téléauditeurs numériques. Seul(e)s devant plusieurs écrans. En contact intime avec un monde virtuel infini.
Pire encore, l’obésité numérique est une maladie qui nous touche tous. Nous prenons un appel téléphonique entrant comme s’il s’agissait d’un appel d’urgence alors même que nous sommes en pleine conversation en face à face. Les employés en réunion regardent plus l’écran de leur smartphone que le visage de leurs collègues. Au lieu de se connecter aux personnes autour de la table et d’avoir une réunion efficace, on préfère échanger des informations futiles avec d’autres. Et nous ne parlons pas des gens qui consultent constamment leur messagerie sans avoir rien d’autre à faire. Et qui envoient en outre un SMS ou un message WhatsApp avec la mention “As-tu reçu mon mail ?”
Mon souhait pour 2016 ? Moins d’échange de courriels et plus de conversations. Et pourquoi pas une franche poignée de mains avec ses meilleurs collègues en souhaitant “le meilleur pour 2016” et en “abandonnant un peu le numérique”. Pour changer le monde (numérique), commençons par soi- même.
Cette opinion est parue le 5 février dans la version papier de Data News.
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