Georges Lieben
‘L’internet des objets n’a pas besoin de la 5G’
Suite à un différend politique, le déploiement de la 5G est renvoyé sine die. La situation est sérieuse, mais pas désespérée, selon Georges Lieben, CEO de l’entreprise IoT Bagaar.
Le fiasco de l’attribution des licences 5G la semaine dernière a – légitimement – suscité une vague d’incompréhension dans le monde des entreprises. Et l’ironie monte encore en puissance quand on sait que le ministre de l’Agenda numérique, qui ne fait pas mystère de sa déception, changera bientôt la politique du secteur privé. Aujourd’hui, les esprits se sont calmés et le temps de la réflexion est venu. Si l’on ne peut qu’appeler l’arrivée rapide de la 5G de tous nos voeux, nous ne devrions pas commettre l’erreur d’inscrire l’internet des objets (IoT) dans un avenir lointain uniquement.
Par rapport aux réseaux de télécommunications 4G actuels, la plus grande innovation de la 5G est un plus grand débit de données associé à un temps de latence (retard) réduit. On le voit, la 5G ouvre des perspectives gigantesques pour les applications grandes consommatrices de données comme les voitures intelligentes et la chirurgie robotique à distance. Aujourd’hui, les performances ne sont toutefois pas encore à la hauteur de ces applications. Ainsi, des moteurs d’avion intelligents de Bombardier génèrent 10 gigaoctets de données par seconde, un volume que les réseaux actuels ne peuvent gérer rapidement. Dans le cas de la chirurgie robotique, le transfert de données est peut-être inférieur, mais cette application ne tolère aucune latence.
Le train de l’IoT est déjà en marche
La 5G propose bel et bien ces capacités techniques et est dès lors le tremplin nécessaire à la percée définitive de l’IoT à grande échelle. Pourtant, l’internet des objets a démarré depuis longtemps déjà. Alors que la 5G suscite encore bien des querelles à différents niveaux, des centaines de milliers de capteurs envoient déjà aujourd’hui des données par internet pour communiquer entre eux ou avec un logiciel intelligent. Selon Orange Belgium, quelque 2,5 millions de connexions de ce type existent d’ores et déjà dans notre pays.
Anvers a déjà équipé ses égouts, ses conduites d’eau et ses feux de signalisation de tels capteurs. Ils surveillent respectivement le niveau d’eau, la pression d’eau et la densité du trafic. Si le niveau d’eau augmente dans les égouts, les gestionnaires du réseau reçoivent une notification leur indiquant de fermer les écluses de quai. Les feux de signalisation intelligents savent quand il y a peu ou beaucoup de circulation et comment réguler son flux pour fluidifier le trafic. L’Agence flamande des Routes et de la Circulation en a installé environ 200 en 2018.
Côté consommateur, il semble qu’un Flamand sur cinq soit déjà équipé d’un objet connecté intelligent, un wearable, surtout les montres intelligentes, comme nous le révèle le digimètre annuel d’Imec. Aujourd’hui, l’internet des objets est surtout prisé dans les milieux industriels. Grâce aux capteurs, les entreprises peuvent en effet, entre autres, prévoir quand un entretien de leurs machines analogiques est nécessaire et ainsi éviter des pannes.
La 5G n’est pas toujours nécessaire
Pour l’instant, nous n’avons pas besoin de la 5G pour toutes ces applications. L’information est emballée dans des paquets de données tellement petits que même la 2G, le standard de communication du SMS, est suffisante, voire sa forme non cellulaire : les réseaux à faible consommation comme Sigfox ou LoRa (long range). Même s’ils ne sont que des 2 chevaux face aux bolides de la 5G, ils offrent néanmoins une largeur de bande nettement suffisante pour, par exemple, assurer le suivi des équipements ou asset tracking sur les chantiers de construction. Les entreprises de construction savent ainsi parfaitement où se trouvent leurs précieux équipements de construction.
Dans ce cas de figure, ni le débit rapide ni la latence ne sont déterminants : il importe de savoir où se trouve la perceuse onéreuse, mais cela ne doit pas nécessairement être en temps réel. Il convient aussi de souligner que la 5G consomme plus d’énergie. Résultat : les lourdes perceuses prennent encore plus de poids en raison des plus grandes batteries. Un point qui pousse à la réflexion, quoique l’efficacité énergétique de la 5G soit un autre débat…
Nous ne sommes absolument pas prêts pour la 5G !
La 5G a donc pris du retard en Belgique, de quoi écorner l’image et la capacité innovante de notre pays. Sur le plan opérationnel, l’on ne peut que s’en féliciter, car si la 5G était disponible dès demain, peu d’entreprises pourraient en récolter les fruits. S’il est vrai que nous avons des vélos et des compteurs d’énergie intelligents, il n’en reste pas moins que notre pays investi trop peu dans le développement d’objets intelligents. Dans cette logique, la voiture autonome ne sera assurément pas belge…
Comment en sommes-nous arrivés là ? L’internet des objets oriente les entreprises vers un autre business model. Le système de revenus est plutôt basé sur le résultat, en d’autres termes, le produit est subordonné au service. Cette adaptation a de quoi effrayer. Cela va sans dire que la 5G donnera un coup d’accélérateur à l’internet des objets. En attendant son avènement, les réseaux actuels offrent aux différents secteurs plus que suffisamment de possibilités pour tester l’internet des objets. En soi, l’IoT n’a donc pas besoin de la 5G.
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