Matthias Dobbelaere-Welvaert
‘L’internaute belge en veut pour son argent: égalité et transparence’
‘On sait très bien qu’en Belgique, les abonnements internet sont trop chers. Mais ces abonnements coûteux ont aussi un prix pour les fournisseurs, à savoir la liberté’, écrit Matthias Dobbelaere-Welvaert de lesJuristes. ‘Le client doit avoir le droit de consommer n’importe quel trafic internet à la même vitesse.’
Une brève info d’actualité d’hier a été complètement passée sous silence à cause d’un site immobilier qui en prend à son aise avec les données personnelles. Tant mieux pour lui, tant pis pour nous. Car la nouvelle principale, hier, n’était pas une initiative qui existe depuis plus ou moins cinq ans sous la forme de Billionhomes.be – laquelle doit du reste encore et toujours livrer sa bataille juridique -, mais bien la neutralité du net. Après des années de tergiversations, la Commission belge de la Chambre a finalement adopté une résolution, selon laquelle tout trafic internet est identique et doit être traité comme tel. Un sale coup pour les fournisseurs internet, une bénédiction pour leurs clients.
Neutralité du net?
De manière concise, la neutralité du net consiste dans le traitement non-discriminatoire des données. Les fournisseurs internet n’accordent cependant guère de crédit à ce principe. Ils veulent, à les entendre, améliorer l’expérience de leurs clients en procédant à ce qu’ils appellent du traffic shaping, à savoir limiter la vitesse de certaines formes de trafic internet énergivore telles les services de diffusion (streaming), voice-over-IP et les réseaux poste à poste. Durant les pics de trafic, ils réservent pas moins de 80 pour cent de leur réseau à d’autres formes d’utilisation.
Historique législatif
L’approbation par le Parlement n’est pas tombée du ciel. La première proposition date de 2011 déjà, suite à une avancée législative de l’ex-parlementaire Jef Van den Bergh (CD&V). L’Europe menaça cependant d’imposer des sanctions car la Belgique était une fois de plus en retard sur le plan de la conversion d’une directive (cette fois la directive télécom), de sorte que la première proposition fut mise de côté. Voici du reste les mots utilisés lors de la réunion plénière du Parlement le 21/06/2012: “Nous avons dissocié la neutralité des réseaux internet de ce débat, mais la commission Infrastructure reprendra ses activités sur ce thème.” Et même si le débat européen débuta en 2010 déjà, la Belgique dut encore attendre quatre ans de plus dans l’espoir que soit bétonné ce dossier symbolique.
Le droit, cela prend parfois tellement de temps, mon bon monsieur.
Le point de vue de Neelie
En octobre 2012, la commissaire européenne Neelie Kroes fit part d’une opinion légèrement critique sur la neutralité du net et plus précisément sur le manque de transparence des fournisseurs. Selon elle, il n’y avait rien de répréhensible dans le traffic shaping, pour autant que la transparence soit d’usage. L’on communiquait en effet à l’époque à peine sur la manière dont les fournisseurs traitaient les données et/ou sur la façon dont ils faisaient des coupes sombres dans le trafic internet au profit de leurs propres produits ou d’applications moins lourdes.
Et même si Neelie Kroes peut être qualifiée aujourd’hui de sainte patronne des startups technologiques innovantes – pensons à Uber & Airbnb par exemple – et de défenderesse des droits des consommateurs en ligne, cette transparence pure n’est pas suffisante à mes yeux.
Le client paie, et le client est encore et toujours roi
C’est bien beau la transparence, mais cela aurait été encore mieux, si les fournisseurs tels Telenet et Belgacom avaient indiqué de manière claire quand, comment et pourquoi ils coupaient le trafic internet. Mais ce genre de communication n’a cependant jamais eu lieu.
La transparence n’est donc pas suffisante. Les abonnements internet en Belgique font partie des plus coûteux d’Europe. Nous sommes déjà habitués au fait de payer trop chez nous, alors qu’ailleurs, les solutions sont parfois nettement plus économiques. Mais ces abonnements onéreux ont aussi un prix pour les fournisseurs, à savoir la liberté. Pourtant, cette liberté est loin d’être absolue. Une consommation anormalement grande ne peut et ne doit encore et toujours pas être abordée. L’on peut trouver du comportement asocial dans le trafic ordinaire, et il n’en va pas autrement sur internet. Mais le client final doit toujours avoir le droit de consommer n’importe quel trafic internet à la même vitesse. Il a en effet payé pour cela, et le fournisseur l’a affiché dans son offre. Le règlement, c’est le règlement.
Il n’empêche que la nouvelle résolution a aussi son talon d’Achille. Comme il y est stipulé, une exception est en effet encore et toujours prévue pour certains services qui nécessitent une certaine qualité de trafic internet, comme par exemple les services de vidéo à la demande de Telenet et Belgacom. Ils ne seraient ainsi pas autorisés à perturber la concurrence en coupant encore du trafic spécifique.
Anciens et nouveaux modèles commerciaux
En fait, tout le débat porte sur la neutralité du net d’avant ou de maintenant. Chacun protège ses affaires. Telenet et Belgacom, ces vieux géants, ont tout intérêt à limiter leur transparence à un minimum et surtout à offrir le meilleur trafic à leurs propres services. C’est normal car ils sentent dans leur nuque le souffle chaud des champions de la diffusion tels Netflix et – le souvent illégal – Popcorn Time. Bien que leurs parts de marché soient encore limitées dans le paysage télévisuel belge, cela risque de changer.
Les vieux géants ont la puissance, les connexions et des groupes de lobbying bien huilés. Mais les cris des consommateurs vont toujours s’intensifier. Et les politiciens ne pourront progressivement plus faire la sourde oreille. L’internaute belge en veut pour son argent: égalité et transparence. Espérons à présent tous que la résolution ne mourra pas de sa belle mort. Croisons les doigts!
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