Kristof Van der Stadt
Les travaux numériques de De Croo
Le frais émoulu premier ministre Alexander De Croo a acquis pas mal de crédit dans le secteur ICT. “Mais c’est aussi une arme à double tranchant”, écrit Kristof Van der Stadt, rédacteur en chef de Data News.
Jamais encore je n’avais vu apparaître en l’espace de quelques heures autant d’anciens selfies d’un nouveau premier ministre que maintenant. La ligne du temps dans mes bulles sociales sur LinkedIn, Facebook et Twitter a viré légendairement au bleu, lorsqu’on annonça qu’Alexander De Croo allait être le premier violon de Vivaldi. Légendairement bleu, car cela ne doit pas nécessairement être révélateur de la couleur politique de ma bulle, mais bien de la nature de son contenu. Quiconque me suit sur Twitter (et ceux/celles que je suis moi-même) s’intéresse surtout à la technologie, aux télécoms et à l’ICT. Sur LinkedIn, je suis majoritairement ami avec l’ensemble du monde ICT belge et dans une moindre mesure avec le monde ICT international. Et Facebook, c’est Facebook: un ensemble bigarré de parents, amis, connaissances et autres contacts professionnels.
Mais depuis le 30 septembre, je vois donc surtout De Croo. De Croo à la présentation d’un livre. De Croo à un séminaire à propos de la chaîne de blocs. De Croo sur l’importance de la numérisation. De Croo au sujet de la diversité dans l’ICT. De Croo en visite à une école d’encodage. De Croo qui donne une poussée dans le dos des femmes dans l’ICT. De Croo lors de l’ouverture d’un nouveau bureau.*faisons défiler* De Croo chez un fournisseur de services IT. De Croo à un hackathon. De Croo en support d’une jeune pousse. De Croo au sein d’une association de CIO. De Croo lors de la – mais oui! – remise des Data News Awards. De Croo au Kenya. De Croo a Houte-Si-Plou, pourquoi pas!
Là où je veux en venir, c’est que notre frais émoulu premier ministre a laissé une large trace dans la vaste monde ICT, plus large encore que ma bulle. Du 11 octobre 2014 au 9 décembre 2018, il fut aussi en tant que vice-premier ministre en charge de l’Agenda Numérique et des Télécommunications dans le gouvernement Michel I. C’est surtout durant cette période que De Croo sembla partout présent et répondre favorablement aux invitations. Pas seulement pour serrer des mains ou pour parler – bien sûr -, mais aussi pour écouter et réfléchir. Chefs d’entreprise IT, étudiants IT, starters IT, managers IT et développeurs IT: tout le monde voulait être avec lui sur la photo, et ce sont précisément ces photos qu’on voit maintenant apparaître si massivement. Les gens voulaient être sur la photo avec lui, car ils étaient convaincus de sa connaissance des dossiers. Qu’il savait ce qui se passait dans le secteur technologique. Qu’il connaissait l’importance de l’IT et qu’il voulait intrinsèquement soutenir le secteur. Que la transformation numérique dont il parlait, n’était pas un concept vide de sens. Qu’il savait aussi ce que la numérisation peut signifier pour les pouvoirs publics. Et voilà que cela se reflète dans l’accord gouvernemental.
Alexander De Croo a conscience de ce que la numérisation peut signifier pour les pouvoirs publics, et cela se reflète dans l’accord gouvernemental.
Tout spécialement pour vous, nous avons déjà parcouru l’accord gouvernemental à la recherche de toutes les bonnes intentions en matière de numérisation, télécoms, technologie et utilisation de données intelligentes. Il convient de l’écrire: cette liste impressionne. Mais elle crée donc un cadre d’attentes. Toutes ces promesses seront-elles tenues? L’idée d’un quatrième opérateur – un cheval de bataille de De Croo – est d’ores et déjà sacrifiée. Et nombre d’intentions de la liste apparaissent – sciemment ou par voie de compromis? – de manière ample et vague, ce qui laisse de la place à l’interprétation, ou peuvent en principe être partiellement tenues relativement simplement avec quelques minimes interventions. Et qu’en est-il du respect de la vie privée maintenant qu’il n’y aura (assurément) plus de ministre ou de secrétaire d’Etat en la matière?
Le premier ministre Alexander De Croo démarre donc certes avec un surcroît de crédit dans le vaste secteur ICT des jeunes pousses jusqu’aux grandes sociétés. Il semble qu’on puisse avoir confiance dans le fait qu’il sera l’homme à faire grand cas de l’indispensable numérisation de notre économie, de nos pouvoirs publics et de notre société. Mais il s’agit là aussi d’une arme à double tranchant, car les attentes sont désormais très fortes. De Croo reçoit donc le rôle de premier violon d’une belle partition vue sous l’angle de la numérisation, mais quelle sera la valeur de l’orchestre? On est curieux de l’entendre. Et si la poussée communicative vers la numérisation n’était finalement pas en harmonie avec, disons, les priorités budgétaires. Le genre de chanson qu’on a déjà trop souvent entendu.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici