Les start-ups sont les pionnières du nouveau mode de travail
Les start-ups sont les chefs de file des nouvelles formes organisationnelles de l’entreprise. En témoignent les entreprises gantoises Bubble Post et Teamleader. “Il est possible de soumettre nombre de questions stratégiques à son entreprise.
“L’on parle beaucoup du nouveau mode de travail, mais chez maints starters, c’est déjà un fait”, déclare Eric Kenis. Il effectue pour le moment une tournée pour présenter son ouvrage Hoek Af (en néerlandais), dans lequel il dresse le portait de 21 jeunes entreprises flamandes. L’observation de Kenis conforte le sentiment de Frank Van Massenhove, CEO du service public fédéral sécurité sociale, selon lequel nombre d’entreprises se contentent d’approuver pour la forme le nouveau mode de travail. Kenis se targue de savoir pourquoi tant de starters s’organisent différemment. “Lorsque les jeunes programmeurs dans les start-ups se comparent le vendredi soir avec leurs collègues d’une multinationale ou d’une PME, ils se rendent compte qu’ils gagnent certes moins d’argent, mais qu’ils effectuent aussi un travail des plus variés. J’entends les starters dire qu’ils ne sont pas compétitifs au niveau des salaires ou de la sécurité d’emploi. Voilà pourquoi ils attirent leur personnel sur base d’une ‘aventure’ et d’une approche souple de la façon de travailler.”
“Teamleader et Bubble Post en sont deux bons exemples. Ces jeunes entreprises gantoises en croissance rapide adoptent au fil du temps le nouveau mode de travail en tirant des leçons de leurs erreurs. Voici quatre leçons que les entreprises peuvent tirer de leurs expériences.
1. Partir de rôles et non pas de fonctions
La gantoise Bubble Post se livre à de la distribution urbaine au moyen de vélos et de camionnettes électriques. Aussi longtemps que l’équipe était restreinte, le fondateur et CEO Benjamin Rieder ne devait pas se casser la tête à propos de la culture de son entreprise. Entre-temps, celle-ci est en croissance rapide. Elle a clôturé 2015 avec 100 collaborateurs et sur un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros, mais cette année, la jeune entreprise entend atteindre les 200 collaborateurs et les 5 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Bubble Post fonctionne avec des rôles et non pas des fonctions, afin de garder sa culture non-hiérarchique ciblant l’humain. “Nous veillons à ce que tout un chacun puisse assumer une palette de rôles aussi ample que possible”, explique Rieder. “Ce faisant, chaque collaborateur travaille de manière nettement plus motivée que s’il se limitait à la tâche spécifique définie dans le descriptif de son emploi.” Il en résulte que chez Bubble Post, la hiérarchie dépend de la situation. “Il se peut que je puisse prendre une décision hiérarchique à propos de quelque chose dont quelqu’un d’autre s’occupe, parce que cela fait partie de mon ensemble de tâches. Mais il peut tout aussi bien arriver que cette personne puisse le lendemain prendre une décision hiérarchique à mon propos.”
Cela ne se fait pas de soi. Bubble Post organise des tournées RH en son sein, afin d’expliquer clairement le système. L’on y spécifie aussi ce que les collaborateurs peuvent faire, s’ils ont besoin d’un nouveau rôle. Cette année, la start-up, qui s’étend en Espagne, en Suisse, en Allemagne et en France, veut que ses collaborateurs soient mieux informés à propos de la gestion de conflits. “S’il y a un conflit entre deux personnes, quelqu’un de l’équipe RH va intervenir. L’un des points importants, c’est de faire comprendre aux personnes que les litiges peuvent souvent être des moments constructifs.” L’évaluation va également être abordée. “Cette année, nous aspirons à une évaluation à 360 degrés, où tout un chacun évaluera ses collègues les plus proches.”
Dans une entreprise de messagerie, les gens ne travaillent en général pas longtemps. C’est un travail fastidieux, où l’on est soumis à une énorme pression et l’on n’est pas bien payé, selon Rieder. Pourtant, chez Bubble Post, peu de personnes s’en vont. L’entreprise attire même du personnel surqualifié. “Nos employés restent, parce qu’ils peuvent assumer plusieurs rôles et imprimer leur empreinte sur l’organisation. Les coursiers peuvent effectuer des tâches RH ou de vente, voire améliorer nos processus opérationnels. Nous ne disposons pas ici d’un ingénieur qui impose d’en haut toutes sortes de processus opérationnels. L’exemple le plus parlant pour moi, c’est que des personnes qui ont débuté comme coursiers, ont été impliquées dans le développement de notre propre bicyclette. Résultat: nous disposons à présent d’un vélo complètement différent de ceux que l’on trouve sur le marché. Il est du reste devenu un symbole de notre entreprise.”
2. Priorité à l’autonomisation
“Nous sommes 55 à travailler et formons une jeune équipe”, affirme Jeroen De Wit, CEO de Teamleader qui, avec ses logiciels ‘cloud’ de gestion des relations avec la clientèle (CRM), de planning de projets, de facturation et de gestion de projets, cible les PME. “Les gens veulent être impliqués, et cela va vraiment loin. Il arrive qu’un employé de la vente s’indigne, parce qu’il n’est pas informé d’une action de marketing.”
Teamleader, qui veut croître de 200 pour cent en 2016, tout comme elle l’a fait en 2015, a imaginé par conséquent une structure plane et une façon de travailler permettant la libre circulation de l’information au sein de l’entreprise, mais de manière à ne pas susciter de contestation. “Les personnes forment une équipe. Chaque jour, elles se concertent et tentent d’atteindre certains objectifs. Je m’efforce à ce que cela se fasse dans le cadre de la vision générale et de la mission que s’est fixée l’entreprise, sans trop de micro-managing.” Chaque équipe désigne quelqu’un qui participe à l’alignment meeting. Cette réunion a pour but que tout un chacun sache ce qui se passe dans les autres équipes. Le troisième élément est le fold up. “Chaque vendredi, tout le monde travaillant pour l’entreprise se réunit – quiconque ne peut être présent, le signale par téléphone – pour un rituel fixe: nous passons en revue les chiffres de la semaine écoulée, voyons qui sera en congé la semaine suivante et quels nouveaux collègues vont démarrer. Une fois par mois, il y a une réunion fold-up internationale. Je me charge des principales annonces, et deux personnes peuvent procéder à une présentation d’un sujet qu’ils choisissent elles-mêmes”, ajoute De Wit, qui a vu son entreprise être désignée start-up de l’année lors du Tech Startup Day de Startups.be.
Teamleader entend à présent devenir le plus rapidement possible une marque européenne. Elle est actuellement active en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne, mais elle cible désormais la France et l’Espagne. Pour impliquer ses collaborateurs dans la stratégie de l’entreprise, Teamleader a identifié l’année dernière 23 questions cruciales pour progresser en 2016. Chaque collaborateur pouvait faire partie des équipes qui débattaient de ces questions. “Les réponses sont incroyablement rafraîchissantes. Ce genre d’approche crée non seulement une implication, mais génère aussi de la vitesse, parce qu’on peut soumettre de nombreuses questions stratégiques à son entreprise.”
Si on lui demande de citer un exemple, Jeroen De Wit explique que les rentrées moyennes par client sont un indicateur important pour une entreprise qui propose du software sous forme d’un service. “Pour nous, il est important que la valeur moyenne d’un client reste constante ou croisse, mais surtout ne régresse pas sur une base annuelle. L’une des 23 questions portait sur la façon dont Teamleader comptait s’y prendre. L’équipe qui traita cette question, a découvert que la connaissance des produits chez Teamleader n’est pas l’apanage à cent pour cent de tous les collaborateurs. Les nouveaux venus par exemple ont besoin d’une période d’acclimatation, ce qui fait qu’ils ne connaissent pas encore certains modules.” L’équipe a élaboré un plan en vue d’améliorer la connaissance des produits chez les nouveaux venus et a imaginé un processus pour contrôler régulièrement si cette connaissance reste bien à niveau.
3. Confronter les décisions aux valeurs de l’entreprise
Lorsque Bubble Post s’est étendue à d’autres villes et pays, elle a engagé des managers régionaux. “Dans les entreprises de messagerie traditionnelles, ceux-ci font rapport au siège central”, se souvient Benjamin Rieder. Très vite, le CEO a observé que cette nouvelle ‘couche’ de management n’était absolument pas à sa place chez Bubble Post, parce que la start-up avait adopté une structure non-hiérarchique. Les managers régionaux ont été rapidement remerciés. “Ce n’est pas parce que cela se passe ainsi partout que tel doit être le cas chez nous aussi. La culture d’entreprise change, mais il y a un certain nombre de valeurs qui doivent rester les mêmes. C’est sur base de ces valeurs que l’entreprise a du reste été fondée.”
Benjamin Rieder n’est en outre pas persuadé que les managers régionaux traditionnels auraient généré de meilleurs résultats: “En soi, une couche intermédiaire constitue une manière peu efficiente de collaborer. A présent, nous restons en contact d’une manière très directe, et le niveau décisionnel se trouve chez les gens le plus proches d’une tâche définie. La connaissance locale est essentielle. Nous sommes spécialisés dans le transport urbain. Or chaque ville est différente.” Il en résulte que le siège central gantois prend peu de décisions à propos d’éléments qu’il ne maîtrise que peu à distance. En même temps, les personnes concernées exercent ainsi un impact sur l’entreprise. “Ce qui est typique de notre activité, c’est que les marges sont faibles. Plus on crée de couches intermédiaires, plus vite ces marges sont englouties. Tel n’est pas le cas chez nous. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous disposons d’un solide modèle commercial dans notre secteur.”
4. Investir dans l’homme derrière le collaborateur
Teamleader veille à ce que chaque collaborateur dispose de tous les outils logiciels dont il a besoin. Mais elle ne les impose pas comme dans les entreprises classiques. En outre, elle met à disposition de chaque collaborateur trois montants de mille euros. “Les mille premiers euros se situent au niveau personnel”, explique Jeroen De Wit. “Certains s’achètent un casque, d’autres investissent dans une formation ou une conférence. Les mille euro suivants sont dépenses en équipe. Les membres de celle-ci décident par exemple de se rendre à une conférence ou d’inviter un orateur. Et si nous atteignons en fin de compte nos objectifs avec toute l’entreprise, nous libérons la troisième somme. Cette façon de faire génère une implication, mais aussi une grande transparence, parce que les gens sentent qu’ils reçoivent quelque chose en retour de leurs efforts. Du coup, ils éprouvent une certaine forme de liberté. Et notre organisation reste simple. Qui va donc s’occuper d’une demande de nouveau casque de la part d’un collaborateur?”
Teamleader veut cette année atteindre la centaine de collaborateurs et va déménager ce week-end dans de plus grands bureaux situés Dok Noord, qui devient un concentrateur de starters à Gand. Dans leurs nouveaux locaux, les collaborateurs ne disposeront pas de places fixes. Ils auront le choix entre des bureaux sans ou avec sièges, avec des espaces pour les équipes en charge des projets, qui veulent par exemple collaborer intensivement pendant une petite semaine. “Comme la réunion du vendredi revêt une si grande importance pour notre entreprise, un auditorium a été prévu dans nos nouveaux locaux”, poursuit Jeroen De Wit. “Tout un chacun pourra s’y rendre, et plusieurs caméras donneront aux personnes qui appellent une image optimale de ce qui s’y dit.”
Ce qui est étonnant, c’est que Teamleader contrôle l’équilibre travail-vie privée de son personnel afin d’éviter les burn-outs (surmenages). Les développeurs de logiciels surtout ne peuvent travailler jusqu’aux petites heures. Teamleader a aussi engagé un cuisinier, qui veille à proposer une alimentation saine dans l’entreprise, voire à l’emporter pour toute la famille. “Quiconque travaille en soirée, peut alors se restaurer sainement.”
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