Danielle Jacobs
“Les rapports de force vont fortement évoluer sur le marché de la communication”
Les rapports de force vont fortement évoluer sur le marché de la communication, estime Danielle Jacobs, la directrice de Beltug, l’association des utilisateurs ICT professionnels.
Dans une économie où l’agilité règne en maître, les entreprises misent largement sur les techniques de collaboration étroite, non seulement entre collègues, mais aussi entre collaborateurs d’entreprises différentes et ce, tant en Belgique qu’avec l’étranger. Les plateformes de (télé)communication constituent la base de cette nouvelle collaboration. Désormais d’ailleurs, de nombreuses sociétés sont passées aux communications unifiées qui combinent différentes formes de communication, comme le chat, la téléphonie, la visioconférence, etc.
Vingt ans après la libéralisation du marché des télécoms, la part de marché de Proximus sur le segment professionnel reste très élevée. Les derniers chiffres font par ailleurs état du peu d’envie de changer d’opérateur. Reste que les télécoms ne se limitent plus, et depuis longtemps, à la connectivité et à la téléphonie, tandis que le marché évolue rapidement. D’où la nécessité de disposer d’un éventail suffisant de possibilités de choix dans tous les domaines.
Pour les communications unifiées et la visioconférence, trois quarts des entreprises se limitent à 2 acteurs, Microsoft et Cisco. L’intégration des communications unifiées à la téléphonie publique crée une complexité supplémentaire. Parmi les entreprises belges, la moitié environ envisage de changer de central téléphonique dans les 2 prochaines années. Il est clair que toutes ne vont pas opter pour un nouveau central et se tourner vers des services vocaux dans le cloud. Le 30 novembre, Microsoft annonçait l’intégration de services de téléphonie publique dans Office 365 aux Etats-Unis. L’Europe suivra. Mais d’autres acteurs inconnus et les anciens fournisseurs de centraux téléphoniques lancent des services intéressants de téléphonie dans le cloud.
Les télécoms ne se limitent plus à la connectivité et à la téléphonie, tandis que le marché évolue rapidement.
Cette situation est typique du marché, avec de grands acteurs internationaux qui lancent leur offre, en général avec des partenaires locaux. Ils bénéficient d’un effet d’échelle, ce qui leur permet de se forger une expertise pointue, par ex. en matière de sécurité. Mais par ailleurs, on retrouve de plus petites sociétés, davantage flexibles, qui proposent des produits de niche intéressants. Toutes sortes de partenariats sont noués. Les rapports de force vont fortement évoluer sur le marché.
Mais d’autres éléments de l’infrastructure IT migrent également vers le cloud. Reste que ce marché n’est pas encore mature. Les entreprises se débattent avec des SLA de bout en bout, dans lesquels le fournisseur cloud, les performances réseau, l’application, etc. jouent tous un rôle. En outre, l’évolution des prix est incertaine. Les tests comparatifs en matière de prix et de qualité ne sont pas encore suffisamment disponibles.
Par ailleurs, un tiers des organisations se lance dans l’IoT, le nombre d’applications explose et le potentiel est gigantesque. Dans ce cas cependant, il est important de pouvoir changer d’opérateur sans devoir remplacer l’ensemble des cartes SIM de chaque appareil. Une entreprise n’est plus en mesure de centraliser ses conteneurs, camions, etc. Il est donc impensable qu’elle soit liée à long terme à un seul opérateur. Il est dès lors intéressant d’apprendre de la GSMAssociation qu’un standard d’e-SIM devrait voir le jour d’ici la mi-2016.
Reste que de nouveaux défis se posent. Ainsi, de nouveaux réseaux sont construits à vitesse grand V pour l’IoT. Va-t-on connaître à nouveau des problèmes d’interopérabilité et d’itinérance ? Quid des performances des réseaux, sachant que la fiabilité constitue une exigence absolue pour l’IoT ? Quels sont les avantages et les inconvénients des nouveaux réseaux, quelle en sera la tarification ? Sans évoquer ici les questions d’éthique (une auto sans chauffeur choisira-t-elle d’éviter le gamin qui traverse la route sans regarder ou préférera-t-elle sauver la vie de son passager ?), de responsabilité, etc.
Va-t-on connaître à nouveau des problèmes d’interopérabilité et d’itinérance?
Pas moins de 70% des entreprises interrogées planchent activement sur la gestion des coûts d’itinérance. Cela montre à quel point elles sont contre-productives. Le 26 novembre, l’UE a décidé de supprimer le roaming en Europe à la mi-2017. Cela dit, des exceptions ou des retards pourraient encore voir le jour. De même, une autre anomalie disparaît progressivement, à savoir qu’un SMS ou un appel international est plus cher que le tarif maximum d’itinérance de l’Europe. Hors Europe, les coûts d’itinérance n’ont en général pas diminué, même si des offres toujours plus intéressantes voient le jour pour les gros utilisateurs internationaux. Mais le chemin est encore long.
Les entreprises actives à l’échelle internationale souhaitent pouvoir déployer leurs applications de façon la plus uniforme possible dans les différents pays et non pays par pays. Mais il faut toujours bricoler, car le marché du mobile est largement orienté par pays, avec des différences de prix, de service, etc. Trop d’entreprises doivent se contenter d’un contrat cadre pour leurs services mobiles internationaux, avec une annexe pour chaque pays. Ce qui induit une fragmentation des énergies et des ressources. Et la situation vaut non seulement pour les grandes organisations, mais aussi pour les startups qui désirent percer à l’échelle internationale.
Entre-temps, les décideurs ICT sont toujours plus confrontés à des problèmes juridiques. Chaque jour voit surgir de nouvelles questions en matière de vie privée, par ex. l’accès réclamé par des applis à vos contacts, même ceux de l’entreprise. La gestion des données est cruciale : qui a accès à quelles données et à partir de quel(s) appareil(s) ? Qu’en est-il des responsabilités de l’entreprise et de son partenaire ICT, par ex. en cas de fuite de données ? De nouvelles règles sont fixés à l’échelle de l’Europe dans le cadre du futur Règlement Général sur la Protection des Données, mais celles-ci n’entreront sans doute en vigueur que d’ici 2018. Entre-temps, le cadre législatif reste flou.
De très nombreux défis donc, même si celui qui adopte une bonne stratégie peut incontestablement faire de la technologie de la communication un catalyseur important.
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