‘Les magasins traditionnels ne disparaîtront jamais’
La transformation numérique n’épargne pas le secteur de la distribution. Le fameux adage ‘s’adapter ou disparaître’ exige de nouveaux modèles organisationnels, des propositions de valeur originales et une redéfinition des structures de distribution
L’e-commerce est incontestablement l’un des piliers majeurs de la transformation numérique. Selon les chiffres de BeCommerce, l’association belge des commerçants en ligne, le secteur belge de l’e-commerce a représenté en 2015 un chiffre d’affaires total de 8,2 milliards €. ” Je pense que nous pouvons encore rattraper une partie de notre retard, estime Elke Laeremans, CDO Torfs, spécialiste de la vente de chaussures. Chez Torfs, nous avons résolument choisi de ne pas installer un centre de distribution à l’étranger. Nous voulons vraiment créer un sentiment d’appartenance afin de donner à l’e-commerce ses lettres de noblesse dans notre pays. L’économie locale ne pourra que s’en porter mieux. “
Colruyt Group confirme la percée de l’e-commerce, même si l’entreprise reste vague quant au rapport entre ventes en ligne et hors ligne dans ses magasins. ” Le marché de l’on-line est à ce point en mutation que nous pouvons difficilement donner une image précise de l’ordre de grandeur des ventes en ligne, affirme Bart Van Roost, responsable de l’équipe Cockpit & Analytics de Colruyt Group. Par contre, ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que les magasins traditionnels connaissent une croissance stable, alors que le recours à Collect & Go est en forte progression. “
8,2 milliards € – Chiffre d’affaires total de l’e-commerce belge en 2015
Pour sa part, la chaîne de mode ZEB, qui fait d’ailleurs partie à 50% du Colruyt Group, n’est pas avare de prises de position fortes lorsqu’il est question d’e-commerce et de numérisation. Plus tôt dans l’année, l’entreprise avait annoncé pouvoir réaliser de belles ventes avec un magasin en ligne, mais que générer des bénéfice relevait pratiquement de l’utopie. Il n’empêche que des adaptations organisationnelles se révèlent nécessaires. ” De nouvelles évolutions ultra-rapides ont fait en sorte que nous sommes devenus une société de marketing et d’informatique, considère Luc Van Mol, CEO de ZEB. Le numérique est ancré dans chaque élément de notre société, mais chacun n’en a pas encore pris la pleine conscience. “
Expérience totale
Si l’e-commerce a fait de sérieux progrès, aucune des 3 entreprises ci-dessus ne croit que cette évolution va faire disparaître les magasins traditionnels. Même s’il faudra, au-delà de l’inévitable numérisation, adopter une approche omnichannel. Une stratégie considérée comme parfaitement normale par Colruyt qui propose depuis début octobre le WiFi dans pratiquement tous ses magasins, tout en ayant lancé une appli d’achat. ” Dans le magasin, le client s’attend à certaines facilités qui s’inscrivent dans ses exigences de base, explique Van Roost. Tout comme le chauffage et l’éclairage, le WiFI fait partie de ces exigences. Il faut savoir qu’avec cette hyperconnectivité, le consommateur exerce un certain pouvoir sur le commerçant. Lorsqu’il prend un paquet de biscuits dans un rayon, il peut directement vérifier sur son smartphone si ce produit est moins cher ailleurs. “
” Il ne faut pas être obnubilé par le volet numérique, prétend de son côté Laeremans. L’aspect en ligne n’est que l’un des maillons de la chaîne. Celui qui considère son magasin traditionnel comme un concurrent de son offre en ligne commet une grave erreur. ” D’ailleurs, il ne s’agit pas pour elle de paroles en l’air. En effet, tous les magasins Torfs sont équipés de grands écrans où les clients peuvent choisir entre l’offre en ligne et hors ligne. Le paiement se fait en magasin et les chaussures sont livrées le lendemain à domicile par bpost. ” Pour nous, l’omnichannel va très loin, confirme Laeremans. Depuis juin, nous nous efforçons de rendre le customer journey le plus cohérent possible. C’est ainsi que nous avons lancé un programme de fidélisation de notre clientèle où l’ensemble des activités de nos clients sont enregistrées sous forme numérique sans que ceux-ci ne doivent avoir une carte de client physique. Nous fonctionnons avec un système de points, ce qui nous permet de mieux connaître nos clients afin de leur proposer des informations pertinentes pour eux. En outre, nous avons développé un CRM sur mesure qui nous permet d’envoyer des mailings segmentés. La pire chose pour nous serait d’envoyer un courriel de première prise de contact à un client qui serait déjà entré dans l’un de nos magasins. ”
La technologie ne remplacera jamais l’humain, mais viendra plutôt en support.
Van Mol acquiesce et explique que ZEB a complètement transformé son infrastructure pour offrir une expérience totale réussie. ” Si un client entre dans notre magasin après avoir déjà mis une paire de jeans dans son panier électronique en ligne par exemple, nous en sommes informés, explique-t-il. Par ailleurs, nous avons également installé des écrans interactifs en magasin où les clients peuvent passer commande si leur taille n’est plus de stock dans la boutique. Toutes les données doivent être synchronisées de manière transparente, ce qui le client attend tout simplement. Les clients ne font plus de différence entre online et offline, tant que le service est à la hauteur. ”
Meilleur service
Le service, voilà qui en dit long pour Van Mol et qui constitue sans doute le plus grand commun dénominateur des trois entreprises de distribution. A les en croire, le magasin traditionnel n’est pas prêt de mettre la clé sous le paillasson. ” En revanche, le mouvement inverse s’est déjà vu, note Laeremans. Ainsi, Coolblue a ouvert récemment un nouveau magasin physique où les clients peuvent obtenir des conseils. Preuve qu’il ne fait absolument pas négliger l’aspect humain qui continue à continuer à jouer le rôle principal dans l’aventure numérique. Sachant que les clients exigent un service impeccable, nos collaborateurs représentent la force motrice de la numérisation. Chez Torfs, nous mettons tout en oeuvre pour faire en sorte d’impliquer nos ambassadeurs internes dans les nouvelles technologies. En outre, quelque 30% de nos ventes en ligne émanent de nos magasins physiques et sont encadrées par un collaborateur de vente. Pas mal, n’est-ce pas ? C’est seulement comme cela que le client restera roi. “
” Les clients sont bien sûr au centre de tout et nous mettons tout en oeuvre pour suivre de près les nouvelles tendances de l’online, de même que les technologies et les attentes du marché, confirme Van Roost. C’est ainsi que nous investissons énormément dans nos collaborateurs pour encore mieux servir le client. Récemment, nous avons centralisé tous nos call-centers dans un seul et grand centre d’appels. Nous y collectons chaque jour un éventail de données qui sont ensuite communiquées au département concerné. De telles opérations seront difficiles à automatiser car nos clients attachent beaucoup d’importance au contact humain. ”
” Selon moi, la numérisation est en effet une chance que nous devons saisir pour aider toujours mieux nos clients, croit savoir Van Mol. Elle donne une nouvelle dimension au service à la clientèle et rend le contact plus personnalisé avec le client. Comme nous vérifions avec précision le type d’action qu’entreprend ou non un client, nous apprenons à encore mieux le connaître. “
” Entièrement d’accord, ajoute Laeremans. La création de notre webshop marque le lancement de notre service à la clientèle. Voilà qui prouve à nouveau à mes yeux que la technologie ne remplacera jamais l’humain, mais viendra plutôt en support. “
Concurrence
Si la technologie peut induire de la création d’emploi et générer des avantages intéressants, il ne faudrait pas oublier que la concurrence est particulièrement féroce dans le secteur et que la réactivité est essentielle. Ainsi, SEB et Torfs sentent plus souvent l’impact d’acteurs comme Zalando. ” Je pense pourtant que nous avons un avantage sur des pure players comme Zalando, réfute Van Mol. Un nouveau magasin de ZEB se traduit souvent par un trafic en hausse sur notre site web. “
” Zalando n’est pas en mesure de compenser la force du contact humain, prétend Laeremans. Chez Torfs, nous n’entendons d’ailleurs pas nous associer aux pratiques de Zalando du style ‘commandez 10 paires de chaussures pour en renvoyer 9’. Certes, le retour gratuit est possible, mais il a aussi son revers. Davantage de colis en route signifie aussi plus de coursiers, plus de gaz d’échappement – il ne faudrait pas perdre de vue l’impact sur l’environnement. C’est pourquoi nous préférons chez Torfs une approche aussi proactive que possible en mettant tout en oeuvre pour envoyer au client la paire de chaussure qui lui convient parfaitement. ”
” Nous devons surtout éviter que la peur de la concurrence nous fasse prendre des décisions impulsives qui ne s’inscrivent pas dans notre image de marque, intervient encore Van Roost. Nous ne nous laissons pas trop influencer par des acteurs comme Hellofresh. Il faut bien se rendre compte que chaque service de distribution que nous proposons, qu’il s’agisse d’un enlèvement ou d’une livraison à domicile, se doit d’être rentable et durable à terme. “
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici