Les magasins d’applications sont-ils condamnés à disparaître?

Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

La nouvelle selon laquelle Apple a ouvert un App Store pour les ordinateurs Macintosh, alimente pour la énième fois la volée de spéculations sur l’avenir du paysage logiciel.

La nouvelle selon laquelle Apple a ouvert un App Store pour les ordinateurs Macintosh, alimente pour la énième fois la volée de spéculations sur l’avenir du paysage logiciel. Allons-nous évoluer vers un marché, où toutes les applications seront commercialisées par des magasins de software en ligne? Les vendeurs de logiciels traditionnels vont-ils devenir des oiseaux pour le chat? Et qui va encore s’y retrouver dans la profusion des app stores et autres markets?

Le grand succès des ‘magasins virtuels pour mini-programmes’ avait d’ailleurs précédemment déjà conduit, avec le lancement du Chrome Web Store, à une boutique pour ‘l’ordinateur normal’. Rares sont ceux qui doutent encore que Microsoft ne sautera pas bientôt aussi dans ce train avec un marché d’applications pour Windows.

Pour vous donner un ordre de grandeur: rien qu’aux Etats-Unis, les utilisateurs du système d’exploitation Android auront bientôt le choix entre trois grands magasins d’applications, à savoir l’Android Market ‘officiel’, le nouveau magasin d’Amazon.com et le VCast app store de Verizon. AT&T, Sprint, Motorola et Best Buy entre autres ont déjà lancé une initiative propre ou en ont à tout le moins une en préparation. Et c’est sans parler des ‘app stores indépendants, tels Appbrain et SlideMe, qui proposent eux aussi des programmes Android.

En Europe, les choses sont aujourd’hui en train de bouger. L’opérateur mobile français Orange possède depuis assez longtemps déjà son propre App Shop, Samsung récolte pas mal de succès avec Samsung Apps, et il y a aussi l’Ovi Store de Nokia, l’Application Manager de Vodafone, alors que Belgacom propose elle aussi à ses clients plus de 75.000 applications via le magasin Android Getjar.

La question, délicate s’il en est, est de savoir combien de boutiques d’applications le marché sera à même d’absorber. Et combien d’entre elles subsisteront en fin de compte. La réponse pourrait très bien être ‘pas une seule’. Un avis audacieux? Peut-être. Mais il n’empêche que l’opportunité existe bel et bien que les utilisateurs finaux aillent d’ici cinq ans chercher leurs apps tout simplement chez les développeurs. Ou dans les entreprises où travaillent ces développeurs.

Quelques explications. A quoi servait initialement un magasin d’applications? Prenons l’exemple évident de l’App Store pour iOS.

– D’abord, il fallait créer un nouveau marché. Avant l’App Store, il n’était pas question d’apps. En d’autres mots, il n’y avait pas non plus de demande de ce genre de petits programmes. Plus la demande a crû, plus il y a eu de développeurs et meilleures ont été les apps. Et plus on a vendu d’iPhone aux consommateurs, plus la demande a grandi.

– L’App Store s’est avéré pratique pour séparer le bon grain de l’ivraie. Sur un marché comptant des dizaines de milliers de développeurs de niche et peu d’acteurs connus, il était intéressant qu’un organe de coordination contrôle la qualité et la sécurité (même si l’on peut discuter sur la qualité).

– Le feedback était et est toujours important lui aussi. Les apps qui font l’objet d’une évaluation positive, se vendent mieux, point final. Les critiques en ligne sont quasiment aussi précieuses pour les acheteurs potentiels que les recommandations personnelles.

– Et enfin, l’App Store a facilité le processus de paiement. Les consommateurs en ligne n’aiment pas confier les données de leur carte de crédit à des vendeurs inconnus. A l’inverse, les vendeurs rejettent comme la peste les mécanismes de paiement qui fonctionnent mal et qui ne sont pas fiables. C’est bien pratique donc que le magasin en question puisse lui-même s’occuper de ces choses.

Limitations Dans un écosystème fermé comme celui d’Apple, le concept de l’App Store pouvait donc être assurément sensé. Jobs et consorts tiennent les rênes solidement en main et n’autorisent que les apps qui sont sûres, offrent une certaine expérience d’utilisation et présentent une finition léchée. En échange, l’entreprise empoche 30 pour cent des rentrées des développeurs.

Honnêtement parlant, l’on ne peut pas opposer grand-chose à cela. Il est en effet normal que l’entreprise qui a créé le marché, reçoive un dédommagement en contrepartie. Et n’oublions pas que le smartphone tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’aurait en réalité jamais existé sans Steve Jobs et ses acolytes.

D’un autre côté, l’indemnité de 30 pour cent, le contrôle rigoureux sur ce qui est permis et interdit, ainsi que le ridicule puritanisme américain constituent au sein de l’écosystème iOS des limitations que seul un monopoliste peut se permettre, et qui sont en fait intenables à plus long terme.

En outre, les apps sont des marchandises numériques qui rechercheront quoi qu’il en soit le trajet le plus rapide et le plus aisé vers l’utilisateur final. Il y a donc de fortes chances pour que la plupart des développeurs choisissent à terme les écosystèmes ouverts.

Lorsque l’iPhone était le seul smartphone véritablement digne de ce nom, Apple se trouvait dans la position de luxe du ‘monopoliste naturel’, et l’entreprise n’avait de compte à rendre à personne. Mais à présent qu’avec Android et Phone 7, de nouveaux écosystèmes ont vu le jour, qui sont comparables avec celui de l’iOS, la situation a complètement changé.

Pour les écosystèmes ‘ouverts’ comme Android, où l’on peut installer des apps de n’importe qui et de n’importe où, le magasin d’applications est dénué de toute logique. Les développeurs veulent en effet commercialiser ces apps via les canaux qui leur rapportent le plus. Avec la conséquence logique cette fois qu’aujourd’hui, des centaines de jeunes entreprises sont créées qui proposent des alternatives au modèle du magasin d’applications.

‘Des guides d’applications’ tels Flurry ou les français Appsfire et Appspace s’améliorent sans cesse et reprendront assurément vite la fonction de feedback de l’App Store. D’autres, comme BilltoMobile, PayNearMe, Bling et aussi PingPing de Belgacom, offrent aux consommateurs et aux développeurs des alternatives de paiement intéressantes et fiables.

Plus il y aura d’entreprises qui innoveront en matière de modes de paiement, feedback et contrôle de qualité, plus il y aura de développeurs qui souhaiteront s’associer à ces nouveaux venus. A présent qu’il est de plus en plus clair que l’Android ‘ouvert’ sera le grand vainqueur parmi les systèmes d’exploitation mobiles, cette évolution va encore s’accélérer. Et comme les développeurs accueillent par définition avec enthousiasme les plates-formes ouvertes, de nouveaux écosystèmes naîtront encore. Comme autour de la future plate-forme ‘Open Web App’ de Mozilla par exemple.

Tout comme l’App Store d’Apple a mis à nu les ‘walled gardens’ fermés et lents des opérateurs, les ‘magasins d’applications ouverts’ mettront sous pression au bout d’un certain temps les initiatives fermées, pour les rendre finalement inintéressantes. Et au cas où le marché ne le ferait pas de lui-même, il y a encore et toujours le commissaire européen en charge de la concurrence.

Car au fond, quelle est la différence entre la position actuelle d’Apple, avec son iPhone et son App Store, et celle de Microsoft avec son Windows et son Internet Explorer, il n’y a guère? Dans ce sens, il est un fait que Microsoft a condamné Phone 7 pour en faire peut-être la chronique d’une mort annoncée.

Tout ce qui précède nous amène à conclure qu’aucun véritable rôle n’est encore dévolu aux magasins d’applications sur le marché ouvert des petits programmes numériques. Ni aux boutiques pour appareils mobiles, ni aux magasins qui desservent les ordinateurs traditionnels. C’est assurément aussi pourquoi Google n’investit pas dans le feedback et le contrôle de qualité pour Android Market (à la totale consternation de nombreux développeurs Android).

Dans un monde numérique, il est simplement trop facile d’éviter les tiers et de se rendre directement à la source.

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