Karen Boers
‘Les entrepreneurs belges sont prêts à se battre’
Les start-ups sont ici pour rester, et nous devons donc bien les écouter et les comprendre, afin de les aider à créer des emplois en Europe en vue de faire contrepoids à la suppression de postes de travail dans les secteurs plus traditionnels.
L’entreprenariat technologique est ‘hot’ aujourd’hui, c’est le moins qu’on puisse dire. Il en allait tout autrement jusqu’il y a peu encore. Il n’y a guère, je recevais en effet pas mal de questions de la part d’entrepreneurs débutants en quête de conseils et d’accompagnement et ne trouvant manifestement pas leur voie.
Aujourd’hui, j’entends encore à peine des entrepreneurs ne sachant pas où s’adresser. Au contraire même, le support des start-ups et des starters est devenu si populaire que ces derniers ne distinguent quasiment plus la forêt à travers les arbres. Le nombre de start-ups croît à vue d’oeil depuis 2014 – et la presse a également accueilli l’entreprenariat à bras ouverts et publie quasi quotidiennement des histoires à succès tant ici qu’à l’étranger, ou de nouvelles phases de financement pour l’un ou l’autre de nos ‘héros’ locaux.
Marché mondial
Tout est-il ainsi réglé et notre talent belge dispose-t-il soudainement d’un tremplin vers le marché mondial? C’est aller trop vite ne besogne. Nous ne pouvons perdre de vue que nos start-ups doivent dès le départ entrer en concurrence avec des entreprises similaires dans le monde entier. Il ne s’agit plus d’être le meilleur, mais bien d’être celui qui conquerra le plus rapidement une partie viable du marché. Un bon départ ne suffit donc pas.
Heureusement, l’on voit de plus en plus d’entreprises belges engranger des succès en dehors des frontières nationales et partir avec pas mal d’ambition à la ‘chasse’. La foi dans ses compétences, l’arrivée opportune de talent et de capital, mais aussi l’art de s’adapter rapidement aux nouvelles circonstances et aux nouveaux marchés s’avèrent ici essentiels.
Des entreprises telles Showpad, Sparkcentral, Teamleader, Sentiance, Odoo, Acquia, Realo, Scanadu, Pictawall, Keemotion et bien d’autres possèdent des racines belges, et la plupart sont encore et toujours actives dans notre pays malgré leur succès international. Ces modèles à imiter représentent un nouveau catalyseur dans la ‘vogue des start-ups’ – même si beaucoup de ces entrepreneurs n’en sont pas à leur coup d’essai.
Growth hacking
L’entreprenariat international est tout sauf facile. Le principal problème que ces entreprises rencontrent, c’est de ‘ne pas savoir ce qu’elles ne savent pas’, lorsqu’elles pénètrent sur un nouveau marché. Elles ne connaissent pas la législation et les systèmes fiscaux locaux. Et elles se trouvent souvent aux prises avec des difficultés qui peuvent être assez facilement résolues, mais qui leur valent quand même vite un mois de retard. Parfois, il s’agit du simple fait de ne pas pouvoir ouvrir un compte mail, aussi longtemps qu’elles ne disposent pas d’un compte en banque dans le pays concerné.
Les espaces de coworking et les incubateurs les aident certes à transférer ces informations, alors que les plates-formes en ligne et autres groupes réseautiques locaux peuvent aussi intervenir financièrement. Un peu de ‘growth hacking’ et de recherche ad hoc sont ici capables d’aider pas mal toute équipe entrepreneuriale.
Le pire, c’est que la législation et le lobby des industries traditionnelles n’avantagent pas vraiment les nouveaux modèles commerciaux et les technologies innovantes. L’espace d’expérimentation est plutôt restreint. Tout est-il donc si négatif? Certes non car les entrepreneurs réfléchissent en vue de résoudre les problèmes. C’est inscrit dans leurs gènes. Ils trouvent généralement des façons créatives de franchir les obstacles et cherchent leur propre chemin, en s’aidant mutuellement ou non, ou avec ou sans l’assistance de mentors, business angels et autres investisseurs.
Il y a quelque trois ans, Neelie Kroes, à l’époque encore commissaire européenne en charge de l’Agenda Numérique, avait bien compris que les entrepreneurs imaginent des solutions créatives. Elle demanda conseil à un ‘comité de sages’, qui élabora le fameux European Startup Manifesto. Il s’ensuivit quasi directement une vague de Manifestos nationaux, Startup Manifesto belge en tête. Pas moins de 3.200 compatriotes apposèrent leur signature au bas de ce document (une véritable ruée populaire en comparaison avec les quelque 8.650 témoignages de soutien au niveau européen).
Nos ‘têtes pensantes’ proposèrent toute une série de suggestions destinées à favoriser le climat entrepreneurial. Elles demandèrent – et obtinrent – un tax shelter encourageant l’investissement, un meilleur cadre légal pour l’e-commerce et l’économie partagée, des exemptions fiscales aux premiers stades de développement, une politique d’achats plus active chez les startups de la part des pouvoirs publics et des plus grandes entreprises, plus de focalisation sur les e-compétences et plus d’attention aux modèles à valeur d’exemples. Tout cela a fait directement de la Belgique un leader souhaitant aboutir à une plus grande unité européenne dans le domaine des start-ups. Si l’on peut arriver à une plus grande unité en Belgique, cela devrait pouvoir réussir au niveau européen également, pensait-on à l’époque.
Avec la fondation de l’European Startup Network plus tôt cette année, 20 associations nationales de start-ups se sont associées pour donner suffisamment d’écho à cette voix des et pour les entrepreneurs.
Les start-ups sont ici pour rester
Les start-ups sont ici pour rester, et nous devons donc bien les écouter et les comprendre, afin de les aider à créer des emplois en Europe en vue de faire contrepoids à la suppression de postes de travail dans les secteurs plus traditionnels. Avec l’European ScaleUp Manifesto, la pression exercée sur la Commission européenne et sur les pays membres de l’UE se fait encore plus forte en vue de supprimer la fragmentation sur les marchés européens et de partir au combat en regroupant les forces dans le cadre de la lutte pour les emplois de demain.
Il n’y a malheureusement plus rien à faire pour les emplois perdus: le navire a déjà sombré. Mais si nous n’y prenons garde avec toutes nos règles dans une économie basée sur la peur, il se pourrait que les nouveaux emplois s’en aillent surtout en Chine, en Corée, à Singapour, au Canada et en Israël. Ou, dans le meilleur des cas, dans les pays scandinaves, au Portugal et en Pologne, où le monde politique est prêt à changer complètement son fusil d’épaule.
L’on verrait notre talent prendre bientôt l’avion vers des contrées ‘plus chaudes’ et l’on revivrait un drame social et économique. Time to wake up, and smell the roses! Nous, les entrepreneurs, nous sommes prêts à nous battre car renoncer ne figure pas dans notre dictionnaire.
Karen Boers est co-fondateur & CEO de Startups.be et d’European Startup Network
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