‘Le streaming est l’avenir du secteur’
Le smartphone a bouleversé fondamentalement notre consommation de médias. Musique, vidéo, jeux : tout est désormais toujours plus accessible via l’Internet mobile. Mais comment les producteurs de contenu de loisirs envisagent-ils cette évolution ?
Certes, la numérisation n’est pas un phénomène nouveau dans le secteur des loisirs. Au début des années 1980, Philips et Sony avaient lancé le CD comme alternative numérique au disque vinyle. Par la suite, des films et jeux allaient apparaître sur support numérique, en remplacement des bandes analogiques. Toutefois, le modèle business restait inchangé, le consommateur achetant le support. L’émergence de l’internet a cependant freiné ce modèle. Subitement, la musique, la vidéo et les jeux sont devenus gratuits via l’Internet – de manière illégale, certes -, avec des chiffres de vente en chute libre.
Un peu plus de 15 ans plus tard, le marché semble à nouveau totalement différent. “Désormais, il est impossible de considérer le secteur des loisirs comme un ensemble cohérent, explique Olivier Maeterlinck de la Belgian Entertainment Association, l’association professionnelle de l’industrie belge de la musique, du film, de la vidéo et des jeux. Le secteur des jeux a toujours été numérique et a intégré dès le départ une composante d’interactivité. Ceci a facilité la transition vers l’Internet. C’est ainsi que les consoles de jeux se sont très rapidement muées en plates-formes de jeux en ligne.” En effet, l’industrie des jeux est vite passée des fameux ‘boxed games’ à des ‘online games’ et a embrayé du même coup vers le mobile. Olivier Maeterlinck : “L’Europe joue d’ailleurs dans ce domaine un rôle de pionnier. Certains des jeux mobiles les plus populaires, dont Angy Birds, Candy Crush Saga et Clash Of Clans, ont été développés et sont édités par des entreprises européennes.”
L’on-line s’impose
Aujourd’hui, l’Internet représente le principal moteur de croissance de l’industrie du jeu. “Il est encore possible d’acheter un jeu en magasin, précise Henk Hoogendoorn de Take Two Interactive, l’entreprise qui a notamment commercialisé le populaire Grand Theft Auto (GTA), mais ensuite, un monde en ligne complet s’ouvre à vous.” La partie en ligne de GTA continue d’ailleurs de croître. Du coup, ce jeu lancé en 2013 figure aujourd’hui encore dans le top des ventes. Henk Hoogendoorn : “Autrefois, on achetait un jeu pour y jouer durant un temps avant de ranger le DVD dans une armoire. Désormais, on voit apparaître moins de jeux sur le marché, mais leur durée de vie est bien plus longue. Ceci grâce à l’internet, aux extensions en ligne et aux possibilités de jouer en ligne via des communautés.”
Le marché du livre se situe lui à l’autre extrémité du spectre. Selon la fédération des libraires flamands boek.be, la vente d’e-books ne représente actuellement pas même 4 % du marché. En d’autres termes, le consommateur reste largement fidèle au support physique. Sur un marché relativement restreint comme celui du livre flamand, la piraterie constitue en outre un défi majeur. Une situation qui contraste fortement avec celle de l’industrie de la musique où l’émergence de petits fichiers numériques comprimés – MP3 en tête – a suscité d’emblée un raz-de-marée. Au lieu de prendre à son compte le phénomène numérique, l’industrie a d’abord tenté de contrer le piratage de musique en ligne. Mais l’arrivée de Napster en 1999 et de l’iPod en 2001 a rebattu les cartes. Et ce n’est qu’en 2004 qu’une alternative commercialement viable est apparue avec le service de téléchargement de musique iTunes d’Apple.
Une offre n’est pas l’autre
Un peu plus de 10 ans plus tard apparaissaient des services de streaming, dont Apple Music, Deezer et Spotify. Le succès de ces services semblait souvent associé aux offres des fournisseurs télécoms sur lesquels ils étaient proposés. Et notamment aux Pays-Bas où Spotify a connu un succès phénoménal. “KPN a lancé un abonnement pour l’Internet mobile incluant Spotify, explique encore Olivier Maeterlinck. D’emblée, la croissance a été énorme.” D’ailleurs, Spotify serait cinq fois plus grand outre-Moerdijk que chez nous. “Et tout est dans tout. Celui qui sort un tube parvient directement via Spotify a générer nettement plus de revenus aux Pays-Bas.”
Chez nous, pas question de parler de percée fulgurante pour le streaming. Fin 2011, Proximus a lancé plusieurs bundles avec accès illimité à Deezer. Mais sans doute cette offre était-elle quelque peu prématurée. Faute de succès, Proximus a mis fin à cette collaboration après 2 ans. Aujourd’hui, certains clients de Base peuvent bénéficier d’une remise relativement minime sur l’abonnement Spotify, sans doute trop réduite pour constituer un véritable incitant. Mais Maeterlinck identifie une autre raison à l’adoption plus lente du streaming en Belgique. “Longtemps, les fournisseurs se sont vus interdire la vente couplée d’appareils et d’abonnements, ce qui a sans doute constitué un frein.”
La Belgique est un pays de téléchargeurs, semble-t-il. Pour preuve, iTunes a été d’emblée un succès chez nous. Le marché belge du téléchargement est aujourd’hui encore plus important que le marché néerlandais. Le streaming progresse chez nous surtout de manière organique. Olivier Maeterlinck : “Cela signifie que le consommateur belge est prêt à payer pour le streaming. Dans les pays où un service de téléchargement est associé à un abonnement téléphonique, cette prise de conscience – à savoir payer pour de la musique – est nettement moins présente.” Voilà qui dénote le potentiel du marché belge du streaming. Aujourd’hui, il se compose de 200.000 à 300.000 utilisateurs payants. Or selon Olivier Maeterlinck, ce chiffre devrait atteindre à terme 1 million ou plus. “Il s’agit d’un marché en croissance dont le potentiel a été largement inexploité à ce jour.”
Miser sur le talent local
Le contenu local constitue sans doute le levier pour accélérer la croissance dans le secteur. “Il ne faut pas forcément voir émerger un service de streaming belge, précise Michel Van Buyten de la firme de musique Sony Music Benelux. Mais Spotify, Deezer ou Apple Music pourraient avoir un plus grand impact s’ils développaient des activités locales, avec une équipe locale, un marketing local autour de leur service et des artistes locaux.” Certes, Apple Music dispose d’une page belge dans son offre, mais pas d’équipe spécifiquement belge. Chez Spotify – où tout tourne autour de playlists – le consommateur cherchera en vain une playlist avec des artistes belges. Reste que dans le domaine des jeux, les fournisseurs recherchent davantage d’engagement avec le consommateur local. “On le voit notamment dans les actions menées par Ketnet au niveau des jeux, précise Henk Hoogendoorn. Ou encore aux jeux de communautés comme 9Lives.be, détenu par Telenet.”
Dans le domaine de la vidéo également, les fournisseurs ont saisi la balle au bond. Alors que Proximus a décidé d’intégrer Netflix dans son offre, Telenet a suivi sa propre voie via Play et Play More, avec notamment un accès exclusif à des séries de HBO. Toutefois, le secteur belge entend accroître la part d’intervention locale. Au niveau de la radio et de la TV, il existe depuis un certain temps déjà un quota de contenu local dans l’offre ainsi que d’investissements dans la production locale. “La question est de savoir si l’on peut aussi appliquer ce principe aux acteurs en ligne”, s’interroge Olivier Maeterlinck. Il s’agit là pourtant d’une piste intéressante. “Cela obligerait des services comme Netflix et Spotify à prévoir dans leur offre certains quotas de contenu belge. Une partie du chiffre d’affaires belge de ces sociétés serait alors réinjectée dans des productions belges, ce qui n’est pas le cas actuellement.” Ce modèle doperait incontestablement la croissance du secteur en Belgique. “Aux Pays-Bas, le marché de la musique a augmenté de 13 % l’an dernier, presque exclusivement grâce à l’augmentation du streaming, note encore Michel Van Buyten. C’est également possible chez nous. C’est là que se situe l’avenir de l’industrie de la musique.”
Ne pas confondre streaming et streaming
Tous les services de streaming ne se fondent pas sur le même modèle financier. Sur Spotify, chaque fois qu’un utilisateur écoute une musique, l’artiste reçoit une indemnisation. Davantage d’utilisateurs payants et de streams se traduisent automatiquement par des revenus en hausse. Chez Netflix, le modèle est différent. Le producteur d’un film ou d’une série reçoit une indemnisation forfaitaire, et gagne donc autant, qu’il s’agisse d’un hit ou d’un flop. En outre, le producteur ne sait pas comment son film est accueilli. Netflix ne partage en effet pas ses statistiques d’audience. “Les indemnisations pour le streaming de musique sont apparues suite à des négociations entre le secteur de la musique et les services de streaming, précise Michel Van Buyten. Des accords ont été pris concernant la répartition des recettes entre les services de streaming et les divers ayants droit. Plus le streaming a du succès, plus les ayants droit empochent des revenus. C’est un modèle correct.” Une plate-forme comme YouTube, qui propose également beaucoup de musiques et de vidéos musicales, rémunère les artistes proportionnellement nettement moins bien. L’an dernier d’ailleurs, des milliers d’artistes internationaux – dont Paul McCartney, ABBA et Coldplay – ont adressé à ce sujet une requête au président de la Commission européenne Juncker en lui demandant de rectifier cette ‘injustice économique’.
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