Le brexit va-t-il briser le nuage?

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C’est bientôt que la Chambre des communes britannique va se prononcer sur le tout dernier accord brexit de Theresa May. La décision finale est incertaine, et ce manque de clarté chronique a aussi des conséquences pour l’IT.

Le Grande-Bretagne se trouve dans une impasse. Après deux années d’âpres négociations, l’accord présenté par la première ministre Theresa May, qui doit être voté sous peu par la Chambre des communes, semble impopulaire. On voit entre-temps percer une polarisation interne entre les pro- et les anti-brexit et ce, avant la date-butoir de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE fixée à mars 2019.

Ce flou récurrent autour du brexit exerce un impact sur l’économie. En sortant de l’Union européenne, les entreprises britanniques pourraient perdre leur accès aux marchés européens, sans compter l’incertitude qui règnerait au niveau de la réglementation, une fois la disparition des règles européennes. Cela se ressent aussi en Belgique. Un récent rapport de Deloitte a déterminé ainsi que 9 pour cent de nos exportations prennent le chemin de la Grande-Bretagne et qu’un brexit dur pourrait toucher fortement nos entreprises.

Les centres de données ressentent eux aussi cette instabilité. La Grande-Bretagne est un marché important pour les centres de données, et l’incertitude générée par le brexit peut les impacter négativement. D’autre part, cela peut signifier aussi que davantage d’investissements prendront le chemin du continent européen.

“La Grande-Bretagne dispose de pas mal de centres de données, plus de 400 pour être précis. On peut en être jaloux, car en Belgique, nous n’en possédons que sept”, explique Peter Witsenburg, consultant et fondateur de Belgium Cloud, une communauté pour entreprises ‘cloud’ qui fait partie de Beltug. “A court terme, un brexit, peu importe sa forme, ne signifiera pas grand-chose pour le secteur. On ne peut en effet pas déplacer dans l’immédiat 400 centres de données. Mais à cause du brexit, la Grande-Bretagne deviendra sous peu un pays non-européen pour la réglementation européenne, et cela aura un gros impact sur les fournisseurs britanniques et leurs clients.”

Si vous êtes un service en ligne et que vous voulez le vendre dans l’Union européenne, votre entreprise souhaitera être installée dans les pays du ‘single market’ européen.

Une rupture dans la réglementation impactera fortement le secteur, explique aussi Stijn Grove de la Dutch Datacenter Association: ” Si vous êtes un service en ligne et que vous voulez le vendre dans l’Union européenne, votre entreprise souhaitera être installée dans les pays du ‘single market’ européen. Si votre centre de données se trouve en Grande-Bretagne, vous devrez réfléchir à la manière de le faire fonctionner en Europe. Vous constaterez souvent qu’il s’avèrera plus pratique pour vous de vous trouver sur le marché européen.”

GDPR et Tomorrowland

Le facteur le plus important, et de loin, ici s’appelle le GDPR ou Règlement Général sur la Protection des Données, qui est entrée en vigueur plus tôt cette année dans l’Union européenne. Ce règlement limite l’exportation des données personnelles en dehors de l’Union européenne.

“Si vous vous trouvez en dehors de l’Europe et que vous traitez les données personnelles d’un Européen, vous devez respecter le GDPR”, explique Witsenburg. “De plus, ce règlement complique le stockage des données personnelles en dehors des frontières européennes. On voit donc à présent toujours plus d’entreprises qui décident de les stocker simplement à l’intérieur des frontières européennes. Et sur ce plan, le brexit ne fera aucun bien à la Grande-Bretagne.”

Les conséquences sont déjà présentes, selon Witsenburg: “Toutes les données de l’entreprise à l’initiative de Tomorrowland sont par exemple aujourd’hui hébergées au Royaume-Uni. Toutes ces données personnelles y sont stockées. L’entreprise doit désormais réfléchir à ramener ces données entre les frontières de l’UE, sinon il sera plus malaisé de satisfaire au GDPR.”

Instabilité

Une autre objection, c’est que la réglementation européenne règle à présent encore les flux de donnés entre la Grande-Bretagne et des pays tiers. Une fois qu’elle ne s’appliquera plus, cela pourra entraîner de longues négociations avec des pays tiers en vue de sécuriser les flux de données. Mais cela ira aussi plus loin qu’une réglementation sur les données. L’insécurité politique détériore en effet le climat d’investissement, alors que la valeur décroissante de la livre complique le commerce international.

De plus, le secteur se fait du souci à propos de l’attirance du talent. C’est ainsi que Stijn Grove fait référence à un rapport de la Dutch Datacenter Association, qui met en garde contre une rhétorique anti-migration et contre les conséquences de la fermeture des frontières sur le fait d’attirer du talent IT.

Et les choses se compliquent encore. Même la construction de nouveaux centres de données connait des problèmes. “Actuellement, on voit de très nombreuses entreprises britanniques qui érigent des centres de données en Europe”, explique Stijn Grove. “Mais comme elles n’ont aucune certitude sur la libre circulation des biens et des personnes, il s’avère très compliqué de démarrer des projets de construction avec des sous-traitants britanniques. Car cela peut entraîner un risque.”

Déplacement d’investissements

Les entreprises qui sont établies en Grande-Bretagne, auront donc tendance à déplacer certaines opérations sur le continent. Le brexit pourra ainsi mettre en branle un déplacement d’investissements. Et des pays comme l’Irlande consentent déjà beaucoup d’efforts pour attirer des entreprises ‘cloud’.

Des acteurs en vue comme l’américaine Equinix ont déjà adapté leurs stratégies d’investissement. C’est qu’Equinix a construit début de cette année encore un centre de données supplémentaire à Francfort pour mieux desservir les entreprises financières qui se retirent toujours plus de Londres. “Ce qu’on va voir, c’est que des acteurs anglais vont ériger aussi des centres de données dans des pays européens, pour continuer de desservir leurs clients à partir de là”, explique Witsenburg.

Le mieux est tout simplement de ne pas avoir le brexit comme secteur

Mais on peut douter que la Belgique exploite à fond ce déménagement. “Des acteurs en vue envisagent à présent de construire des centres de données sur le continent européen, mais malheureusement pas chez nous en Belgique”, précise Witsenburg. “Car la Belgique connaît un climat relativement défavorable pour les centres de données. Notre alimentation électrique n’est par exemple pas idéale: on vient encore de parler de blackout chez nous, ce qui est funeste pour un centre de données. En outre, le prix de l’électricité est élevé ici par rapport à celui des pays voisins: il est en Belgique plus du double de celui appliqué en France par exemple. En outre, notre connectivité n’est pas la plus économique, et notre climat fiscal est défavorable pour consentir de grands investissements.”

Par contre, les Pays-Bas pourraient tirer profit du brexit. Stijn Grove apporte cependant ici quelques nuances. “Le mieux est tout simplement de ne pas avoir le brexit comme secteur. La Grande-Bretagne est l’un de nos principaux partenaires commerciaux, et on ne peut que regretter ce qui se passe. Nous expliquons évidemment ce que nous avons à offrir aux Pays-Bas et nous avons par exemple, en tant que secteur, rédigé un rapport. Mais en fin de compte, le résultat est assez limité. Les acteurs en vue dans le monde des centres de données savent déjà où ils veulent aller, s’ils investissent en Europe.”

Trop tôt

Néanmoins, on ne peut sous-estimer l’impact du brexit. Le secteur a à plusieurs reprises déjà exprimé sa préoccupation en Grande-Bretagne, mais à court terme, il est malaisé de déplacer d’importants investissements. De plus, le brexit doit encore entrer en vigueur, et il existe en Grande-Bretagne un très grand marché intérieur. Mi-2017, la néerlandaise Interxion annonçait encore un investissement de 30 millions de livres dans un nouveau centre de données à Londres.

“C’est probablement trop tôt pour envisager tous les effets”, explique Peter Judge, rédacteur au magazine britannique Datacenter Dynamics. “Mais le consensus actuel, c’est que le brexit ne pourra pas causer de trop importants dommages, parce que le secteur croît si vite au Royaume-Uni.”

Incertitude

Provisoirement, c’est l’incertitude qui prime. “Personne ne sait à quoi s’attendre”, prétend Peter Witsenburg. “Le nuage public sera, selon moi, le grand gagnant. Or nous n’avons que quelques acteurs du genre en Belgique. Je pense que les fournisseurs de services dans le nuage locaux seront toujours davantage concurrencés par les acteurs en vue qui arriveront sur le continent européen.”

“Provisoirement, tout le monde est encore dans l’attente”, précise Stijn Grove. “Nombreux sont ceux qui expliquent qu’ils ne sprinteront qu’à la vue de la ligne d’arrivée. Mais mars se rapproche toujours plus. Et il se peut même que cela soit un brexit dur. Il faut donc s’y préparer. Je vois surtout apparaître des parallèles avec l’introduction du GDPR. A l’époque, de nombreuses entreprises se sont également réveillées beaucoup trop tard. Je pense donc que d’ici le mois de mars, il peut se passer encore énormément de choses.”

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