La manne céleste des eSports
Ce qui n’était voici 10 ans encore qu’un épiphénomène pour fanas s’est mué en un segment à part entière du marché du jeu vidéo. Ou comment le jeu compétitif, aussi appelé eSports, parvient à générer un chiffre d’affaires de quelque 300 millions € par an.
Lorsque nous avons lancé StarCraft, nous n’avions pas la moindre idée que cela deviendrait un sport compétitif, explique Tim Ismay de Blizzard Entertainment. Reste que ce jeu imaginé par Ismay, désormais design director de l’éditeur de jeux américains, a été largement acclamé par les joueurs dès après son lancement en 1998 qui l’ont utilisé – malgré le stade précoce dans lequel se trouvait à l’époque le marché du multi-jeu en ligne – pour jouer l’un contre l’autre via l’Internet à haut débit ou une connexion LAN locale. Puis en 2002, ces matches informels qui se déroulaient dans le cadre d’un jeu de stratégie rythmé par les clics de souris rapides autour d’une guerre extraterrestre se sont transformés en une compétition professionnelle à part entière, le tout associé à une coupe du monde.
Cette pratique reçut ensuite un nom informel, puis officiel : eSports. Et avant même que son successeur StarCraft II ne soit commercialisé en 2009, les finales de ce nouveau ‘sport’ s’étaient déjà muées en événements de masse, tandis qu’en Corée du Sud, des stations de TV avaient vu le jour, exclusivement dédiées à ces compétitions. “La croissance d’eSports a modifié complètement l’ADN de StarCraft II, estime Ismay. Notre jeu est devenu une plate-forme.”
Millions
Au fil des années, StarCraft II a subi la concurrence d’autres jeux à tel point qu’il ne s’agit désormais plus du jeu eSports le plus populaire, dépassé par League of Legends, un jeu en ligne du studio américain Riot Games dans lequel se mesurent des équipes de 5 joueurs. La variété des jeux vidéo utilisés dans les compétitions eSports s’est ainsi considérablement étendue, incluant notamment DotA 2 et CounterStrike pour devenir de la Global Offensive. Les événements se font toujours plus importants et le public intéressé ne cesse de croître, tandis que les investissements dans le secteur en pleine explosion des eSports ont considérablement augmenté. A tel point que ce marché représente désormais de l’ordre de 300 millions € par an, estime le bureau néerlandais d’études de marché Newzoo qui prévoit que ce segment atteindra 1 milliard € d’ici 3 ans.
Les recettes proviennent notamment de sociétés comme Samsung, Coca-Cola et Red Bull qui sponsorisent financièrement les compétitions eSports de par le monde. C’est ainsi que les championnats du monde de certains jeux, comme League of Legends, sont dotées d’un premier prix pouvant atteindre 1 million $. De même, on trouve des équipes eSports performantes dont les membres en ont fait un emploi à temps plein rémunérateur – jusqu’à ce que leurs réflexes ne soient plus suffisamment bons pour tenir tête à la concurrence et qu’ils soient obligés – typiquement vers l’âge de 25 ans – de renoncer à ce loisir lucratif.
Spectateurs
Parmi les autres sources de revenus des eSports, il faut notamment citer la vente d’accessoires comme des souris d’ordinateur ou des claviers ‘compétitifs’ (sachant que les eSports se jouent toujours essentiellement sur PC) et de billets d’entrée pour des événements internationaux. C’est ainsi qu’en 2015, quelque 112 championnats se sont déroulés devant des salles combles, générant de l’ordre de 19 millions € de recettes.
Le succès des jeux compétitifs s’explique en premier lieu par la croissance explosive du public. C’est ainsi qu’en 2014, on recensait un peu moins de 200 millions d’adeptes eSports, estime encore Newzoo, qui avance le chiffre de 226 millions pour 2015. Et d’ici la fin de cette année, le bureau d’études de marché évoque le chiffre de 256 millions de participants, tout en estimant que l’on en comptera 345 millions en 2019. “LeseSports nous ont appris qu’un deuxième type de public pouvait voir le jour pour les jeux vidéo, celui des spectateurs, précise Peter Warman, CEO de Newzoo. De très nombreux spectateurs de compétitions mondiales ne jouent même pas au jeu dans lequel ils voient s’affronter des joueurs. Du coup, le potentiel est énorme. Le public qui regarde les jeux pourrait être multiplié par dix par rapport au public qui joue effectivement.”
Professionnalisation
Etre spectateur d’un sport est relativement ennuyeux. Mais cette jeune industrie donne à ce spectateur une nouvelle dimension en réinventant le métier de sportscaster : de très nombreux joueurs de jeux compétitifs de la première heure qui ne peuvent plus participer aux compétitions proprement dites se sont mis à traduire les événements des matches pour les spectateurs, tout comme le fait un commentateur sportif en football. Et l’évolution ne se limite pas aux seules commentateurs des événements proprement dits puisque l’on a vu apparaître une multitude de canaux en ligne qui diffusent les compétitions eSports sur l’Internet, qu’il s’agisse du service YouTube de Google ou du canal de vidéo Web spécialisé Twitch d’Amazon. “De nouvelles opportunités professionnelles voient le jour pour ceux qui veulent diffuser du contenu, précise encore Warman. Il s’agit là du chaînon suivant, celui des broadcasters.”
L’une des locomotives de la croissance future des eSports réside dans le fait que les éditeurs de jeux vidéo traditionnels se sont rendus compte que les jeux compétitifs étaient source de revenus. Ainsi, des concepteurs de jeux comme Activision et Microsoft Xbox ont investi massivement ces 18 derniers mois dans les possibilités eSports de leurs titres Call of Duty et Halo. Selon Warman, ce jeune secteur va continuer à progresser en parallèle durant les prochaines années – davantage de jeux, davantage de compétitions, davantage de canaux – et se professionnaliser, même s’il reste du pain sur la planche en termes de législation et de droits. “Une société qui assure la diffusion d’un événement League of Legends est-elle propriétaire du contenu ou les droits reviennent-ils intégralement à Riot Games ? L’industrie se doit d’apporter une réponse à ce type de question au cours des prochaines années.”
Jeux passifs
Un autre impact potentiel futur des eSports est que l’ADN des nouveaux jeux va s’en trouver modifié : il est probable que même les jeux qui ne sont pas forcément compétitifs vont attirer davantage l’attention des joueurs ‘passifs’ qui désirent surtout regarder d’autres jouer. Des jeux récents tels que Forza Motorsport et Rainbow Six : Siege ont d’ailleurs déjà un mode ‘spectateur’. “Cela permet aux joueurs de s’améliorer très rapidement en regardant les autres, explique Geneviève Forget, community manager de Rainbow Six : Siege pour le studio de développement Ubisoft Montréal. Par ailleurs, il peut simplement être agréable d’évaluer la compétence d’un autre joueur.”
Spionkop lance Fantasy Football en version belge
Le phénomène des Fantasy Sports très populaire outre-Atlantique, où des joueurs constituent globalement une équipe fantaisiste et qui peuvent participer à des jeux de type fantaisiste sur la base de statistiques de joueurs réels, fait son apparition en Belgique grâce à Spionkop. Cette start-up qui bénéficie pour l’instant du support d’accélération de Telenet et d’IdeaLabs entend adapter ce jeu Internet à succès en fonction des joueurs belges.
Constituez votre équipe de rêve de vedettes du football et faites-la participer à des matches basés sur l’actualité sportive et les stats d’équipes et de joueurs : tel est le concept à la fois trivial mais populaire du fantasy football. Et Spionkop, une start-up hébergée par l’incubateur anversois IdeaLabs qui bénéficie désormais d’un support d’accélération dans le cadre du projet Kickstart du groupe télécoms Telenet, envisage de transposer ce concept en Belgique. “On compte 800.000 Belges intéressés par le football, estime Octavian Susnea, cofondatrice de Sneakers Games, la jeune pousse à l’origine de cette initiative. L’expérience américaine des fantasy sports nous enseigne qu’un jeu de fantaisie bien conçu peut attirer jusqu’à 20 % du public cible. Un taux de conversion que nous entendons bien reproduire en Belgique également.”
Aux Etats-Unis, les sports de fantaisie sont à ce point populaires qu’ils attirent chaque semaine 56,8 millions de joueurs aux Etats-Unis et au Canada derrière leur écran et qu’ils génèrent globalement 465 $ par joueur. La Fantasy Sports Trade Association, qui regroupe les acteurs du marché, estime que les revenus du secteur sont de l’ordre de 15 milliards $ par an. Il s’agit donc d’un phénomène de grande ampleur qui a commencé comme une niche de nerds pour s’imposer dans la culture populaire. Pour preuve, la série TV américaine The League (2009-2015) s’est intéressé durant 7 saisons à un groupe de joueurs qui géraient leur propre équipe fantaisiste.
Reste que la Belgique n’est évidemment pas les Etats-Unis. Dès lors, un volet important du travail de Spionkop consiste à ‘belgiciser’ ce phénomène américain. “Il n’existe pas encore de culture des jeux de fantaisie en Belgique, ce qui va nous obliger à faire tout un travail pour convaincre les joueurs, précise encore Susnea. De même, la conception du jeu est différente : contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, il n’y a pas ici de prix en argent et les vainqueurs peuvent au mieux recevoir un maillot de football lors de matches sponsorisés. Nous privilégions surtout les émotions du jeu et ciblons les fanas du foot : ceux qui connaissent l’actualité du sport et savent par exemple quel joueur est blessé seront avantagés. De même, la composante sociale est importante : les joueurs s’affrontent en duel et peuvent partager leurs scores via les réseaux sociaux.
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