La fracture numérique entre l’homme et la femme croît encore en Afrique: ‘Chez beaucoup de filles, on fait craindre la technologie’
Dans de nombreux pays africains, les femmes se heurtent à des barrières de genres, qui compliquent leur accès à internet, comme il ressort d’une enquête effectuée par ICT Research Africa. C’est surtout au Mozambique et au Rwanda que la fracture numérique est importante.
“Elargissez votre horizon!”, peut-on lire sur les posters apposés sur les murs de la classe d’informatique du concentrateur d’innovations Ideario. Un slogan particulièrement explicite pour les jeunes femmes de Maputo, la capitale du Mozambique. Elles peuvent dans cette classe combler leurs lacunes numériques et apprendre à utiliser internet. Trois fois par an, Ideario propose un cours de trois mois à soixante jeunes femmes. Celles-ci sont sélectionnées parmi cinq cents candidates du quartier pauvre de Chamanculo. Fascinées et avides d’apprendre, les jeunes filles fixent avec des yeux écarquillés les écrans des ordinateurs portables mis à leur disposition.
Peur de l’ordinateur
“Beaucoup de filles craignent d’utiliser un ordinateur. Neuf filles sur dix n’en possèdent pas à la maison”, déclare Jessica Manhiça, la directrice d’exploitation du centre de formation. “Vaincre leur peur, c’est pour elles une manière d’oser envisager des projets d’avenir. Chez beaucoup de filles, on fait craindre la technologie: elles ont peur de commettre des erreurs ou de se faire passer pour quelqu’un d’autre, de non-conventionnel, voire de masculin.”
C’est ce qui transparaît aussi de l’histoire de Marcia Julio Vilanculos (25 ans). “Je craignais d’effacer par mégarde des documents d’autres personnes”, avoue-t-elle. “A l’école, je demandais toujours à quelqu’un d’autre de taper mes textes manuscrits.”
Beaucoup de parents déconseillent à leur fille de suivre des cours d’informatique, parce qu’ils craignent qu’elle devienne indépendante, se marie tardivement ou néglige ses relations en se focalisant sur son emploi.
Le cours aide des filles comme Marcia à accroître leur confiance en elles et à démystifier le fait que la technologie numérique ne soit réservée qu’aux garçons.
Manhiça: “Beaucoup de parents déconseillent à leur fille de suivre des cours d’informatique, parce qu’ils craignent qu’elle devienne indépendante, se marie tardivement ou néglige ses relations en se focalisant sur son emploi. Les jeunes femmes adoptent cette attitude négative vis-à-vis de la technologie moderne à cause de leurs parents.”
Internet reflète les rapports de force
Il n’est dès lors guère surprenant que seuls trois pour cent des fonctions dans le secteur technologique en plein boum au Mozambique soient occupés par des femmes. Voilà ce qui ressort d’une étude effectuée par Muva Tech, une organisation partenaire d’Ideario. Avec son programme de développement, cette organisation entend inciter les jeunes femmes des villes à devenir plus indépendantes économiquement.
Sur les 28 millions de citoyens du Mozambique, seuls 10 pour cent utilisent internet. Et parmi eux, il n’y a que deux femmes sur dix, selon la récente enquête After Access d’ICT Research Africa. Sur les sept pays africains examinés, seul le Rwanda se classe encore plus bas quant à l’utilisation d’internet et affiche une fracture numérique encore plus grande entre les sexes.
“Notre enquête montre clairement que les barrières à l’utilisation d’internet sont liées au genre”, explique Chenai Chair d’ICT Research Africa. “Ce sont surtout les femmes à faible revenu qui éprouvent des difficultés à accéder à internet. Nos résultats reflètent le rapport de force entre les sexes dans la vie quotidienne des sept pays examinés.”
Même le Kenya, qui est pourtant en avance sur le plan des innovations numériques et où la fracture entre les genres est en général réduite, semble être aux prises avec une énorme disparité sur le plan numérique dans les quartiers urbains pauvres. Selon un audit réalisé en 2015 par la World Wide Web Foundation (WWWF) dans les quartiers arriérés de Nairobi, 57 pour cent des hommes surfent sur internet, contre à peine 20 pour cent de femmes.
Les femmes se taisent, quand les hommes parlent
Dans les quartiers pauvres de Kampala, la capitale de l’Ouganda, on enregistre des chiffres similaires: 61 pour cent des hommes et seulement 21 pour cent de femmes ont accès à internet. Alors que 44 pour cent des hommes utilisent régulièrement un ordinateur, tel n’est le cas que pour 18 pour cent des femmes.
Les femmes qui surfent sur le net, font régulièrement l’objet d’intimidations. En Ouganda, 45 pour cent des internautes féminines reçoivent des menaces en ligne. Et au Kenya, c’est une femme sur cinq. Les stéréotypes liés au sexe et l’abus de la force dans la vie quotidienne se reflètent en ligne.
Susan Atim, de Women of Uganda Network: “Dans beaucoup de cultures en Ouganda, la règle est que les femmes ne peuvent se mêler aux conversations des hommes. Cela s’applique aussi aux entretiens en ligne sur les médias sociaux.”
Solutions simples et rapides
L’enquête de la WWWF expose les causes de cette fracture numérique entre les genres. Les femmes accusent du retard en raison des coûts élevés, du manque de savoir-faire, du peu de contenus pertinents pour les femmes sur internet et des barrières imposées aux femmes pour s’exprimer librement en ligne et ce, tant en public qu’en privé.
Les inégalités fondamentales entre les sexes, les races, les niveaux de revenu et les zones d’habitat existent aussi dans le monde numérique. Ce sont surtout les régions campagnardes pauvres qui sont fortement arriérées sur le plan de la transformation technologique. Sans formation numérique, les femmes ne pourront jamais profiter des avantages que ce changement apporte, comme l’accès à des emplois bien rémunérés, à des sources d’information et à un standard de vie plus élevé.
Des solutions simples existent pourtant, selon la WWWF: réduire nettement les coûts de l’utilisation d’internet, prévoir à l’école des cours d’informatique et élargir l’accès à internet pour tous.
Il faut montrer des histoires de vie différentes, afin de faire prendre conscience aux filles des nouvelles possibilités pour elles.
Tarisai Nyamweda de Gender Links, une association d’intérêts régionale, cite aussi le manque de modèles à suivre dans le secteur technologique pour les écolières. “Le nombre de professeures dans les études secondaires varie de deux sur dix au Mozambique et au Malawi à un peu plus de la moitié en Afrique du Sud. Nous devons présenter d’autres exemples et montrer des histoires de vie différentes, afin de faire prendre conscience aux filles des nouvelles possibilités pour elles.”
A propos des tâches familiales
Par ailleurs, les organisations proposant des cours numériques et des leçons d’informatique pourraient mieux tenir compte des tâches ménagères des femmes. L’élève Marcia Vilancula devait ainsi se lever chaque jour à cinq heures du matin, aller chercher de l’eau et préparer le petit déjeuner de son mari et de ses deux enfants, avant de pouvoir se rendre au cours d’informatique. Elle devait aussi emmener son aîné à l’école à 7 heures et venir au cours avec le plus jeune.
Lors de la pause de midi, elle devait aller rechercher son ainé à l’école et confier ses deux enfants à une tante, avant de pouvoir continuer de suivre ses cours à Ideario. “J’étais très fatiguée, et j’avais les pieds qui me faisaient mal à force de courir dans tous les sens”, se souvient Marcia Vilancula. Mais ses efforts ont été couronnés de succès, puisqu’aujourd’hui, elle travaille chez Tekla, une plate-forme d’emplois en ligne.
Dans quasiment toutes les professions, la connaissance de la technologie de l’information et de la communication est aujourd’hui un must, peut-on lire dans un courrier stratégique de l’Organisation pour la Collaboration et le Développement Economique (OCDE). Le Forum Economique Mondial prévoit pour sa part que 90 pour cent des nouveaux emplois exigeront des compétences numériques suite à cette nouvelle révolution industrielle. L’Afrique n’a donc pas de temps à perdre, afin de combler la fracture numérique entre les genres. (IPS)
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