La chaîne de blocs est-elle une technologie libérale ?

Maurits Vande Reyde © BELGA

Récemment, l’ ex-président des Jeunes libéraux flamands, Maurits Vande Reyde, déclarait que la chaîne de blocs serait le thème politique majeur de 2018. L’idée sous-jacente – remplacer des intermédiaires comme les pouvoirs publics – séduit en effet certains milieux libéraux et radicaux libertaires. Mais si la chaîne de blocs les attire, ce n’est pas forcément pour autant que la technologie renferme une dimension idéologique.

La chaîne de blocs est un thème en vogue, également en politique. Pour preuve, les Jong VLD ont récemment émis plusieurs propositions concernant la blockchain, depuis le remplacement de la Sabam à la mise en place de services publics plus efficaces. Interrogé sur les motivations de cette prise de position, leur ancien président Maurits Vande Reyde a expliqué que ” nos libertés restent limitées sans raison de différentes manières, alors que la chaîne de blocs pourrait finalement nous donner davantage d’implication dans les décisions. ”

Une technologie n’est jamais idéologique. C’est son usage qui peut être marqué d’un sceau libéral.

Très rapidement d’ailleurs, la chaîne de blocs a été associée aux groupes libéraux et radicaux libertaires, surtout aux Etats-Unis. A présent que la technologie s’impose toujours davantage, la question est de savoir si la blockchain peut être dissociée de ses racines idéologiques. Le fait que cette chaîne de blocs soit à ce point populaire dans les milieux libéraux n’implique toutefois pas forcément un lien privilégié.

Supprimer les intermédiaires

La chaîne de blocs est une technologie qui permet l’enregistrement de transactions de manière décentralisée, comme un grand livre comptable public. Dès lors, elle permet de remplacer une base de données centrale, comme une banque ou un organisme public. Avec des conséquences radicales puisque l’intermédiaire devient superflu et peut donc être éliminé. Une première application de blockchain est le bitcoin, cette monnaie virtuelle qui fonctionne sans autorité ou banque centrale. Mais dans l’absolu, cette technologie permettra de supprimer toutes sortes de services publics.

Cypherpunks

Le bitcoin a vu le jour dans la liste de mailing cypherpunks où l’on retrouvait toutes sortes de grands noms des mondes universitaire et économique dans les années 90 et 2000. Leur cause commune : une méfiance à l’égard de l’Etat et des grandes entreprises ainsi que la volonté de protéger la vie privée grâce à la cryptographie. Des groupes ultra-libéraux, également appelés libertaires, leur ont rapidement emboîté le pas. Leur aversion à l’égard de toute intervention publique s’inscrivait pleinement dans cette technologie.

Matthew Corano, expert en communication auprès du projet de blockchain Swarm City, considère la chaîne de blocs comme idéologique par essence. ” Un grand livre public libère le pouvoir. Si chacun peut voir la chaîne de blocs et interagir avec elle, personne n’est au-dessus de personne. J’y vois plutôt une technologie permettant de promouvoir les idées de liberté personnelle, ce qui est fondamentalement anti-centralisation. ”

Corano se considère comme anarcho-capitaliste ou volontariste, une philosophie populaire dans la chaîne de blocs. ” Un volontariste estime que seules les actions volontaires sont moralement correctes et donc les actions non volontaires comme immorales. Personne ne devrait se voir imposer quelque chose. ”

Concrètement, les volontaristes estiment immorales les interventions de l’Etat, comme le paiement d’impôts et militent pour un monde dirigé par le marché. L’une de leurs propositions les plus excentriques est le remplacement des corps de police par des entreprises de sécurité privées.

La forme la plus pure de liberté

Les Jeunes VLD se montrent eux plus modérés. ” Nous ne sommes pas des anarchistes. Pas question de rayer les pouvoirs publics. La chaîne de blocs ne peut pas remplacer une autorité publique, estime son ex-président Vande Reyde. La blockchain doit simplement permettre aux administrations publiques de se mettre au service des citoyens. ”

Vande Reyde n’en élude pas moins les implications libérales de la blockchain. ” Dans le libéralisme, la liberté de décision est centrale. C’est ce que nous appelons la liberté positive, mais celle-ci s’appuie sur un environnement qui le permet, ce que l’on appelle la liberté négative. La blockchain représente cette liberté négative dans sa forme la plus pure. ”

L’une des propositions formulées consiste à remplacer la Sabam par une chaîne de blocs. Selon les Jeunes VLD, les musiciens seraient ainsi moins dépendants d’un monopole central (liberté négative), ce qui créerait un cadre favorable à davantage de contrôle personnel sur leur musique (liberté positive).

Idélogie sous-jacente ?

La chaîne de blocs est donc populaire dans les milieux libéraux, ce qui n’implique pas forcément qu’elle soit marquée idéologiquement. Vande Reyde ne considère d’ailleurs pas la blockchain comme une technologie libérale. ” A mes yeux, une technologie n’est jamais idéologique. C’est son usage qui peut être marqué d’un sceau libéral. Mais en théorie, un système communiste pourrait être construit avec une chaîne de blocs. ”

Un avis que ne partage pas Mathew Corano qui voit la blockchain comme une technologie politique s’inscrivant dans son idéologie. ” Le volontarisme et la chaîne de blocs s’inscrivent dans un même mouvement. Il y a certes beaucoup de gens qui adorent la technologie sans être volontaristes. Mais si l’on regarde la base morale de la technologie, force est de constater que la blockchain est en fait un pouvoir libéral. ”

David Golumbia, professeur à la Virginia Commonwealth University et auteur de l’ouvrage ‘The Politics of Bitcoin : Software as Right-Wing Extremism’ estime que l’analyse est plus complexe. ” La chaîne de blocs est un système que les universitaires qualifient de socio-technique. En l’occurrence, des convictions et attitudes jouent un rôle structurant fondamental. ”

Sachant que la blockchain est toujours en développement, Golumbia considère que l’idéologie et la philosophie jouent un rôle majeur. Les applications de la chaîne de blocs sont en effet encore en partie spéculatives, ce qui laisse une place importante aux idées. Il se montre toutefois assez critique face à ces idées qu’il assimile à de la dérégulation non contrôlée. Même si ce rôle pourrait se réduire à l’avenir, à mesure que l’utilisation de la technologie devient plus concrète.

Pouvoirs publics et chaîne de blocs

L’une des évolutions les plus difficilement explicables pour les radicaux libertaires est que les pouvoirs publics s’intéressent désormais de plus en plus à la blockchain. Au lieu de se laisser simplement remplacer, ils utilisent la technologie pour améliorer la qualité de leurs services.

C’est ainsi que le bourgmestre d’Anvers, Bart de Wever (N-VA) s’est d’ores et déjà déclaré partisan de la technologie. Dans une interview, il déclarait que ” cette technologie pourrait s’apparenter dans la simplification administrative à l’invention de la roue pour la mobilité. ” D’ailleurs, d’autres organismes comme le VDAB (le Forem flamand) et le VVSG (association des villes et communes de Flandre) ont lancé des projets en blockchain qu’ils considèrent comme positifs. Selon Golumbia, cette tendance est logique. ” Les grandes entreprises et administrations font aujourd’hui une évaluation plus rationnelle de la technologie que les fanas de blockchain. ”

Corano ajoute que ces évolutions ne sont pas en opposition avec le potentiel décentralisé de la technologie. En effet, les organisations devront adapter leurs structures à cette nouvelle technologie et les pouvoirs publics embrayeront sur cette tendance. ” Le marché est toujours plus rapide et plus efficace. Les pouvoirs publics utiliseront la chaîne de blocs, mais je ne pense pas qu’ils puissent concurrencer les options du marché. ”

Pour sa part, Vande Reyde rétorque que le politique doit s’intéresser davantage à la technologie. ” Il n’est écrit nulle part que la chaîne de blocs sera au service de la liberté individuelle, raison de plus pour le politique de s’y intéresser. Le risque pour les pouvoirs publics est d’être en retard, comme on le voit pour chaque évolution numérique. “

Les partis politiques belges ne sont pas tous aussi intéressés par la blockchain, un thème qui ne figure dans aucun programme de parti. Pourtant, de nombreux parlementaires belges semblent concernés, comme le prouvent les questions déjà posées au Parlement tant flamand que bruxellois, à la Chambre des Représentants et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur l’utilisation de la blockchain dans les administrations. Seul le Parlement wallon et le Parlement de la Communauté germanophone n’ont posé aucune question sur cette technologie. Parmi les parlementaires qui se sont penchés sur la question, citons Koen van den Heuvel (CD&V), Jean-Marc Nollet (Ecolo), Marnic de Meulemeester (Open-VLD) et Bert Maertens (N-VA).

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