Les réseaux quantiques: «Nous ne sommes pas dans la science-fiction»
Ces derniers mois, plusieurs avancées techniques et projets ont concerné la technologie des réseaux quantiques. Nous nous trouvons donc à un moment charnière.
En juin dernier, Proximus dévoilait la première configuration de test d’un réseau quantique en Belgique. Et quelques mois auparavant, un consortium d’universités lançait le BeQCi, un projet d’infrastructure de communication quantique. Entre-temps, le géant technologique Amazon investissait dans les diamants artificiels. En cause, les réseaux quantiques. Mais de quoi s’agit-il et quels sont les débouchés potentiels?
Un quantique n’est pas l’autre
Informatique quantique, réseaux quantique, cryptographie post-quantique, … Ces derniers mois, le terme ‘quantique’ a déferlé sur le monde de l’IT, mais recouvre en fait des technologies et domaines divers et variés. Dans l’environnement IT, il est sans doute d’abord question d’informatique quantique, un environnement où les ordinateurs ne travaillent pas en ‘bits and bytes’, mais en ‘qubits’. Ceux-ci superposent le 0 et le 1 au lieu d’être soit 0, soit 1. Il s’agit d’une technologie relativement nouvelle et qui ouvre de multiples perspectives, même s’il s’agit surtout d’évolutions à long terme.
«L’informatique quantique est actuellement surtout au stade de la recherche», considère Richard Moulds, directeur général Amazon Bracket chez Amazon Web Services (AWS). La plupart des géants technologiques s’intéressent à l’informatique quantique ou proposent de l’informatique quantique ‘As-a-Service’, mais les infrastructures sont pour l’instant loin d’être aussi rapides ou bon marché que les ordinateurs traditionnels. La majorité des entreprises et des organisations qui planchent actuellement sur les ordinateurs quantiques en sont toujours au stade du développement, analyse encore Moulds. «La recherche porte surtout sur l’étude des applications susceptibles d’en tirer profit, tandis que les clients doivent acquérir l’expertise nécessaire pour utiliser cette technologie.» De son côté, AWS s’active à imaginer la manière de construire un tel ordinateur quantique. «C’est pour l’instant l’un des points d’attention majeurs: comment bâtir un meilleur ordinateur.»
‘Nous savons sur le plan technique comment craquer la cryptographie, mais nous ne disposons pas encore du matériel pour y arriver’
Une fois que cet ordinateur sera au point, il s’agira de trouver les domaines où les ordinateurs ‘traditionnels’ sont moins performants. Ce pourrait être le cas notamment dans les recherches sur les protéines qui nécessitent une puissance de calcul énorme (souvenez-vous de Folding@Home), mais aussi du craquage de standards cryptographiques qui sont actuellement utilisés pour crypter toutes les données sensibles sur l’Internet.
Voilà qui nous amène au défi majeur des ordinateurs quantiques: comment sécuriser les données sensibles alors même que les méthodes actuelles de sécurisation ne fonctionneront pas demain? C’est ici que les réseaux quantiques peuvent jouer un rôle, mais aussi la cryptographie ‘post-quantique’ comme nouvelle méthode de cryptage des données.
«La sécurité doit toujours précéder la menace car personne ne veut accuser du retard dans ces domaines, note Richard Moulds. L’algorithme censé permettre à des ordinateurs quantiques de craquer la cryptographie actuelle a été découvert voici plusieurs dizaines d’années déjà, mais il faudra encore quelques années avant qu’un ordinateur quantique soit suffisamment puissant pour y parvenir. En d’autres termes, nous savons sur le plan technique comment craquer la cryptographie, mais nous ne disposons pas encore du matériel pour y arriver.»
Compte tenu de ces connaissances, la grande question est désormais de savoir comment stocker et envoyer aujourd’hui des données qui ne pourront pas être décryptées d’ici quelques années. À cette échéance, la plupart des solutions de sécurité utiliseront une combinaison de clés privées et publiques qui seront toutes nécessaires pour lire les données. Ces clés seront (même si c’est un peu réducteur) générées en multipliant entre eux deux nombres premiers. L’idée sous-jacente est qu’il est (relativement) facile de multiplier ces nombres, ou de trouver l’un des deux si l’on connaît l’autre. Mais trouver les deux nombres premiers d’un nombre gigantesque est une autre affaire. «La cryptographie actuelle est basée sur le principe qu’il est extrêmement difficile de trouver un facteur premier d’un très grand nombre. La plupart des cryptographies utilisent une variante de ce principe. Or l’informatique quantique est en mesure de trouver très efficacement un tel facteur premier, ce qui rend l’algorithme de cryptage inefficace», explique Kristiaan De Greve, directeur de programme informatique quantique chez imec et professeur à la faculté des sciences de l’ingénieur à la KU Leuven.
Il est donc impératif de découvrir très rapidement un algorithme ‘quantum safe’ ou ‘post quantum’ qui permettra de sécuriser les données sensibles. Le NIST, l’organisme américain de standardisation, a dès lors approuvé des standards provisoires pour des algorithmes ‘quantum safe’. Reste qu’il faudra plusieurs années avant de tester un tel standard et de l’intégrer dans la sécurité. C’est pourquoi de nombreuses organisations expérimentent désormais déjà des réseaux quantiques susceptibles d’offrir une technique supplémentaire de sécurité lors du transfert de données.
Préparation
Promixus et BeQCi, un consortium d’universités belges, ainsi que Belnet sont parmi les organisations qui travaillent sur les réseaux quantiques en guise de préparation à l’informatique quantique et qui pourraient apporter une avancée majeure dans le domaine de la sécurité. «Nous envisageons surtout du potentiel pour des clients du secteur public, du bancaire, de la défense et de la santé. Nous pouvons leur garantir une connectivité encore plus sécurisée», affirmait Catherine De Saedeleer, head of Fixed Connectivity et Smart Networks chez Proximus lors de la présentation de leur première connexion quantique hybride. Dans une telle connexion hybride, le contenu proprement dit (une vidéo par exemple) est transmis par une liaison à fibre optique classique, tandis que les clés de cryptage sont acheminées par un canal quantique spécifique. Ce canal supplémentaire utilise une ‘quantum key distribution’ (QKD), une propriété physique des photons, pour sécuriser le réseau. Un photon est une particule subatomique qui change lorsqu’on l’analyse. Cette spécificité présente certains avantages lors d’une connexion sécurisée puisqu’il est possible de construire un système où il est possible de savoir si la liaison a été ‘interceptée.
‘Il n’est pas très intéressant d’utiliser un ordinateur quantique comme un ordinateur classique’
Dans la configuration de test de Proximus, les photons sont utilisés pour générer des clés cryptographiques. Si la base sur laquelle ces clés sont conçues n’est pas similaire sur l’émetteur et sur le récepteur, cela signifie que la liaison a été interceptée et que les clés ne sont pas sécurisées. De nouvelles clés doivent donc être générées.
Autres réseaux quantiques
Cela étant, QKD n’est que l’une des technologies possibles dans les réseaux quantiques. Pourtant, un réseau quantique alternatif cohérent, que nous qualifierons pour la facilité ‘liaisons quantiques’, ne devrait apparaître que dans un avenir nettement plus éloigné que les systèmes actuels. «Si l’on envisage l’émergence d’ordinateurs quantiques et la nécessité de les interconnecter au sein d’un grand ordinateur quantique distribué, il faudra disposer d’un réseau quantique, fait observer Kristiaan De Greve. Il s’agira de liaisons quantiques entre ces différents systèmes, et celles-ci n’existent pas encore.»
L’idée sous-jacente des liaisons quantiques est que les particules qu’il achemine ne perdent pas leur ’état d’intrication’. Il s’agit là à nouveau d’une propriété unique des particules subatomiques. À nouveau très schématiquement, il est possible de relier entre elles deux particules, via l’intrication quantique, de telle sorte qu’elles conservent leurs propriétés indépendamment de la distance qui les sépare. En théorie, elles peuvent être à des années-lumière l’une de l’autre tout en dépendant l’une de l’autre.
Dans l’informatique quantique, il est possible de modifier l’état d’un seul qubit et de voir cette modification se répercuter automatiquement sur les qubits reliés, ou encore de visualiser l’information concernant plusieurs qubits en n’en observant qu’un seul qubit. Ces spécificités offrent un avantage potentiel pour la vitesse et la puissance de traitement des processeurs, mais présentent l’inconvénient majeur que cet état est extrêmement fragile. C’est ici que les diamants artificiels interviennent.
Diamants et réseaux: quel rapport?
Supposons que, d’ici une dizaine d’années, vous envisagiez de construire un réseau quantique avec des liaisons quantiques. «Les réseaux quantiques s’appuient sur des photons qui sont acheminés sur une liaison à fibre optique. Le défi consiste à les utiliser comme moyen de communication, tout en conservant leur état d’intrication, explique Richard Moulds d’AWS. Or il existe une distance limite avec la fibre optique, en général de l’ordre d’une centaine de kilomètres.»
«Les photons se perdent alors, ajoute Kristiaan De Greve d’imec. Si vous établissez une liaison directe sur plusieurs milliers de kilomètres, le risque existe qu’une particule n’arrive pas.» Pour de longues distances, une autre solution doit donc être envisagée. «Pour envoyer une photo sur un tel réseau, il est plus facile de la convertir en bits classiques, mais vous perdez alors l’état quantique spécifique», observe encore Moulds. Pour conserver cet état, il faut prévoir des stations intermédiaires ou des répéteurs. «Or les diamants sont pour l’instant l’option la plus vraisemblable, croit savoir De Greve. Si on les intègre dans un relais, ils vont fonctionner comme une sorte de petite mémoire quantique cohérente.» «Ce faisant, vous pouvez construire un petit ordinateur quantique avec un seul qubit», ajoute Moulds.
S’ils sont à leurs balbutiements, les ordinateurs quantiques commencent peu à peu à voir le jour. C’est le cas chez AWS qui propose un service d’informatique quantique géré dans le cloud sous le nom Amazon Braket. «L’un des avantages de ce service est de permettre à nos clients d’accéder à différentes machines, précise Moulds. Toutes ces machines intègrent leurs propres technologies, proposent plusieurs niveaux de précision et d’évolutivité, et sont donc prévues pour différentes applications. Il est important pour les clients de comprendre les possibilités, les voies d’évolution et la manière d’anticiper les cas d’usage.»
Mais soyons clairs: ces cas d’usage ne portent pas sur le logiciel comptable. «L’informatique traditionnelle restera utile pour les applications universelles, insiste De Greve. Les ordinateurs quantiques sont des super-ordinateurs qui sont surtout performants dans l’émulation de certains systèmes complexes. Il n’est pas très intéressant d’utiliser un ordinateur quantique comme un ordinateur classique. Vous risquez de construire un système très complexe pour résoudre un problème assez simple. Un ordinateur quantique pourra certes apporter la solution, mais pas de la manière la plus efficace possible.»
Et Richard Moulds d’approuver: «L’informatique quantique s’imposera dans un monde hybride. Pas question d’utiliser un ordinateur quantique pour un tableur ou des vidéos. Il servira à des programmes mathématiques pour des niches très spécifiques et pour accélérer une partie des processus actuels, mais on continuera à l’avenir à combiner les GPU et les CPU traditionnels.»
Reste qu’ils existent, avec toutes les conséquences qui en découlent. Et les entreprises ont compris l’utilité de tels réseaux quantiques. «Nous savons désormais qu’il n’est plus question de science-fiction, conclut De Greve. Il est à présent temps de s’y intéresser. Du coup, l’informatique quantique deviendra une menace réelle bien plus réelle d’ici 10 à 15 ans. La standardisation NIST et l’intérêt grandissant manifesté pour les réseaux quantiques sont autant de facteurs positifs. L’idée fait son chemin. C’est une réalité.»
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