Les bois et les parcs ont-ils besoin de l’IA ?
Lorsque l’on évoque la robotisation et l’automatisation, on songe par priorité aux entreprises, aux villes et avec un peu d’imagination à un appareil capable de plier le linge. Mais la nature pourrait-elle aussi tirer profit des robots ?
S’il ne tenait qu’à Husqvarna Group, fabricant de robots tondeuses notamment, l’automatisation et l’IA pourraient aider à améliorer sensiblement la gestion de la nature. En allant même plus loin que ce que l’on pourrait penser.
« On fait face à une pénurie d’ouvriers et le problème ne disparaîtra pas de sitôt », estime Yvette Henshall-Bell, présidente Forest & Garden Europe chez Husqvarna, face au public de l’événement Living City organisé par le groupe en Suède. Que ce soit pour les services d’urbanisme, les terrains de sport, les entreprises de services facilitaires, il faut disposer de personnes capables de manier un taille-haie, une tondeuse ou un souffleur de feuilles pour tout nettoyer. Or ce personnel n’est pas toujours facile à recruter.
Si une partie du travail peut être automatisé, les jardiniers pourront disposer de davantage de temps pour affiner leur planning et leurs travaux de maintenance. Telle est du moins l’idée de base. Entre-temps, Husqvarna fabrique depuis plus de 20 ans déjà des robots tondeuses. Ceux-ci étaient destinés au départ au marché grand public, mais ces dernières années, l’entreprise a présenté des modèles destinés aux clients professionnels, que ce soit par exemple pour les terrains de golf ou de football. C’est ainsi que l’entreprise est particulièrement fière de son partenariat avec Liverpool Football Club, qui utilise ses robots tondeuses pour entretenir (une partie de) ses terrains.
Cela étant, des entreprises qui ne sont pas forcément concernées par la qualité de leurs pelouses peuvent bénéficier de l’automatisation de leurs travaux verts, estime Erik Grinneby de l’entreprise Riksbyggen. « Nous avons en fait envisagé l’automatisation plutôt sous l’angle de l’écologie, explique-t-il. Nous ne voulions pas d’une tondeuse autoportée utilisant du combustible fossile. »
Riksbyggen est l’un des plus importants gestionnaires de bâtiments et de terrains en Suède. L’entreprise compte quelque 100.000 locataires dans des maisons et des appartements dont elle assure la gestion. « Et ceux-ci préféreraient ne pas être réveillés le matin par le bruit d’une grosse tondeuse, souligne encore Grinneby. Les tondeuses robots ont en tout cas l’avantage d’être nettement moins bruyants. » Riskbyggen a déployé quelque 500 robots tondeuses sur l’ensemble de la Suède et mise pleinement sur l’automatisation. C’est ainsi que l’entreprise recourt également à des drones pour les opérations de maintenance de ses bâtiments. « Nos ouvriers craignaient certes de perdre leur emploi, poursuit Grinneby. Mais de nouveaux types de fonctions ont vu le jour. Par exemple faire d’autres tâches d’entretien des espaces verts. C’est ainsi que l’un de nos collaborateurs gère désormais l’ensemble du parc de robots tondeuses et de drones. Et il s’agit d’un emploi à temps plein. »
Rendre la tondeuse intelligente
Si Husqvarna ambitionne évidemment d’automatiser vos services de jardinage, vous ne serez pas étonné d’apprendre qu’en 2024, l’IA constitue à cet égard un élément de premier plan. Ainsi, les modèles actuels de robots tondeuses fonctionnent sur la base d’une combinaison de radar et de système de démarcation pour délimiter l’espace de tonte. Mais imaginez que ce robot soit suffisamment intelligent pour détecter qu’il risque de couper les narcisses en fleur. Quoi qu’il en soit, l’entreprise a présente au cours de cette conférence trois modèles de robots tondeuses ‘IA ready’. En d’autres termes, ces modèles pourraient surtout accueillir dans le futur de nouvelles fonctions dès que celles-ci seront disponibles. Ces appareils sont, pour les connaisseurs, l’Automower 580L EPOS (surtout destiné aux terrains de golf), le 580 EPOS (pour les terrains de sport) et le 560 EPOS (en ‘facility management’).
Ces appareils travaillent de manière autonome et utilisaient jusqu’ici un radar pour éviter les obstacles. Mais à partir de l’année prochaine, il sera possible d’acheter un modèle de caméra et de rendre ainsi l’appareil ‘intelligent’. En effet, Husqvarna développe depuis quelques années déjà sa propre IA basé sur un algorithme existant qui est entraîné au départ des données internes à l’entreprise, soit plusieurs centaines de milliers d’images prises par des robots tondeuses que l’entreprise fait fonctionner spécifiquement dans ce but.
« Nous avons toutefois annoté ces images et les utilisant pour alimenter l’IA. Ce faisant, le système apprend à reconnaître différents objets, précise Patrik Jëgenstedt, directeur Advanced Development and Product du labo d’IA de Husqvarna. L’objectif premier est bien sûr d’éviter que l’appareil ne heurte un objet ou dépasse les limites fixées. C’est pourquoi nous avons intégré une caméra. Par ailleurs, nous avons procédé à des tests de différentes méthodologies relatives à la vue diurne et nocturne ainsi que des technologies comme le radar, mais compte tenu de l’augmentation importante de la puissance de calcul ces dernières années, les possibilités offertes par l’IA et une simple caméra se sont nettement élargies. »
Les objets susceptibles d’être détectés par une tondeuse sont notamment une couverture de pique-nique ou un jouet d’enfant abandonné. Mais il peut aussi s’agir d’une branche tombée ou d’une mare profonde. « Dans le futur, nous entendons également exploiter l’IA pour aider à définir les contours d’un parterre, poursuit encore Jëgenstedt. Pour l’instant, nous utilisons un système de positionnement avec un concentrateur destiné à orienter le robot tondeuse. En fonction de la distance par rapport au concentrateur, il est désormais possible de définir où un robot tondeuse peut travailler ou pas. Ainsi, si vous avez un parterre de fleurs, vous ne voudriez pas qu’il soit détruit. À l’avenir, la caméra pourra être utile et le robot tondeuse détectera qu’il ne s’agit pas d’herbe.« C’est un parterre et il faut l’éviter. » Dès lors, la mise en route d’une telle installation devrait se révéler nettement plus simple pour l’utilisateur. »
« L’automatisation crée un nouveau type d’emploi. »
Rêver d’un avenir en IA
Si l’IA et une caméra ne sont pas encore embarquées dans les appareils actuels, Husqvarna ne résiste pas pour autant à l’idée de rêver à des fonctions supplémentaires et des possibilités d’analyse. « Si nous imaginons de nouveaux services dans lesquels l’IA peut jouer un rôle, on songe notamment à des fonctions comme la prévention des accidents ou encore la planification de sites pour améliorer la sécurité et l’efficience. C’est ainsi qu’il serait possible d’équiper le robot de capteurs pour anticiper certains problèmes », ajoute Gent Simmons, vice-président de la Global Customer Solution Unit Pro.
L’idée sous-jacente de toutes ces initiatives est qu’un tel robot puisse fonctionner toute une journée dans un jardin ou un parc et qu’il puisse être multitâche.« Notre vision d’avenir est de développer des robots qui puissent non seulement tondre la pelouse, mais aussi s’adapter à d’autres fonctions, précise Jëgenstedt à ce sujet. Tout en effectuant le travail de tonte, ils pourraient surveiller le parc et identifier par exemple des dégâts et des plantes invasives comme la renouée du Japon. Et si une mare se forme, ils pourraient signaler un problème de drainage. Dans un autre scénario possible, le robot pourrait être équipé de modules différents afin d’exécuter d’autres tâches, comme scier des branches ou nettoyer une zone. »
Pour les fanas de technologie, un autre scénario d’avenir pourrait même être envisagé sous la forme de la visualisation d’un parc ou d’un terrain entier. Un ‘jumeau numérique’ vert qui, sur la base de capteurs, indique au gestionnaire du parc le moment où il faut tondre ou arroser en fonction des circonstances, comme un été particulièrement sec. De la maintenance prédictive pour un terrain de golf ou un parc public en quelque sorte. « Le grand changement interviendra lorsque l’on passera d’une gestion commandée par un calendrier à une gestion dictée par les données fournies à propos du parc », dixit encore Jëgenstedt.
Certes, force est de reconnaître que l’IA fait encore surtout partie du futur. Les modules de caméra capables par exemple de détecter une balle de football ou un hérisson égaré pourraient être proposés l’an prochain sur les robots tondeuses professionnels. Pour l’instant, ceux-ci se concentrent surtout sur les obstacles et la manière d’empêcher le robot de quitter une zone déterminée.
L’analyse de données de l’entreprise proposée au client sous forme d’appli se limite pour l’instant à un ‘gear identifier’ notamment. En l’occurrence, l’utilisateur peut orienter son téléphone sur la chaîne ou le boîtier de la tronçonneuse, après quoi l’IA permettra de l’identifier. Il sera alors possible d’avoir davantage d’informations sur le kit nécessaire pour ce type de chaîne ou de boîtier. Interrogée sur ses projets en matière de services SaaS notamment, pour la mise au point de jumeaux numériques de jardins, Husqvarna se refuse pour l’instant à répondre positivement. « Nous sommes essentiellement un fabricant de machines de jardin, pas un éditeur de logiciels. » Comme quoi l’IA servira surtout à améliorer les équipements maison.
Quid si une ville veut en savoir davantage sur la santé de ses arbres ?
« Husqvarna attache énormément d’importante à la biodiversité », souligne Yvette Henshall-Bell avec beaucoup de conviction. L’un des projets intéressants présentés par Husqvarna lors de la conférence porte sur sa collaboration avec la start-up suédoise Arboair, spécialisée en analyse d’arbres. S’appuyant notamment sur des photos aériennes, l’entreprise peut fournir des informations précises sur chaque arbre dans une ville ou une région déterminée. « Cela doit permettre aux ouvriers municipaux et aux arboristes de savoir quand et où ils doivent procéder à des entretiens », explique Jacob Hjalmarsson, COO d’Arboair. Husqvarna a d’ores et déjà lancé un premier projet avec la start-up, baptisé Hugsi.green, qui permet aux villes d’avoir une idée plus précise de leurs zones vertes et éventuellement de préciser où des arbres doivent éventuellement être plantés. Et désormais, un nouveau projet – Hugo – doit voir le jour avec ces deux partenaires.
Désormais, chacun sait l’importance du vert dans une ville et de l’impact des arbres sur le refroidissement de l’air ambiant ainsi que sur la qualité de vie des citoyens. Encore faut-il que ces arbres soient en bonne santé. « De nombreuses organisations se vantent de planter des arbres, mais cela ne suffit pas, fait remarquer Douglas Wells, un arboriste qui collabore notamment avec Husqvarna. Vous pouvez planter un million d’arbres, mais si personne n’en assure l’entretien et ne gère les plantations, les arbres n’atteindront jamais leur plein essor et ne pourront jamais offrir tous leurs avantages. C’est ainsi qu’un érable qui dépérit sur un parking bétonné ne pourra jamais s’épanouir totalement et n’aura dès lors pas l’occasion de refroidir et de purifier suffisamment l’air. En outre, il importe d’assurer un maximum de diversification dans les espèces d’arbres afin d’éviter qu’un seul champignon ou une coccinelle ne puisse détruire d’un coup l’ensemble d’une futaie.
L’analyse de données jusqu’au niveau des arbres eux-mêmes peut apporter une réponse. Ainsi, il sera possible de savoir quels arbres sont sains, ceux qui doivent être taillés et où une maladie doit être endiguée pour éviter qu’elle ne se propage. Et ce sont surtout les villes et les régions où les budgets des services d’entretien des espaces verts sont le plus sous pression qu’une telle solution serait intéressante. « Nous avons besoin d’énormément d’informations pour travailler efficacement, estime Hjalmarsson. L’IA nous permet de traiter plus facilement toutes ces informations. Les villes comptent en général de très nombreux arbres et il faut beaucoup de temps pour les analyser sur base individuelle. Avec l’IA, il est possible de faire les choses en grand. »
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