Kristof Van der Stadt
Vous reste-t-il de l’argent pour une IA de qualité ?
Je suis suffisamment âgé et grisonnant pour me rappeler combien j’étais heureux et fier d’avoir à la maison le tout premier ordinateur personnel. Un PC compatible IBM – comme le précisaient à l’époque les specs : un 386DX-33 pour être précis. C’était un temps où tout le monde devait être un expert en DOS pour doter les fichiers config.sys et autoexec.bat des commandes indispensables pour disposer d’assez de mémoire pour tourner des jeux tout en ayant un son SoundBlaster. Je me souviens aussi très bien qu’à l’époque – nous étions en 1992 –, nous n’étions certes pas les premiers à avoir un PC à la maison, mais certainement pas les derniers, que du contraire. La véritable percée du PC n’est intervenue que plus tard avec le succès de Windows et avec l’amélioration graphique apportée aux logiciels de bureau de Microsoft par rapport aux Lotus 1-2-3 et autres WordPerfect plus robustes. C’est alors que je me suis aperçu pour la première fois qu’il existait un fossé entre ceux qui avaient un PC et ceux qui n’en avaient pas reçu un de leurs parents.
En 1992, il n’était évidemment pas question d’internet dans notre pays : il faudra attendre le milieu des années 90 et les premiers modems commutés. À mes yeux, un second fossé se créait : ceux qui avaient déjà internet et ceux qui ne l’avaient pas. À l’époque, internet était tout bonnement un luxe. Il fallait compter le prix de l’abonnement ADSL, sans parler du coût par seconde de connexion via le modem. C’est malheureusement encore bien présent dans ma mémoire : les factures de téléphone exorbitantes que devaient régler mes parents. Lorsque j’ai commencé à travailler en 1999, les ordinateurs utilisés au bureau n’étaient pas tous, et de loin, équipés d’une connexion internet : difficile d’encore se l’imaginer en cette année 2024.
Et à cette époque, le GSM devait encore être inventé : étiez-vous en première ligne ou de l’autre côté du fossé ? Il en ira par la suite de même avec le premier iPhone et les smartphones. Encore un exemple typique : les premiers réseaux de données mobiles. Certains avaient les moyens d’utiliser des données mobiles partout et d’autres pas. Entre-temps, l’internet ‘à haut débit’ s’est également démocratisé. D’où à nouveau : ceux qui voulaient ou pouvaient se l’offrir. 10.000 francs belges : tel est le montant facturé à l’époque par Telenet Vlaanderen pour faire installer une ligne à haut débit Pandora. Lorsque j’entre chez Data News en septembre 2007, le ‘Digitale Kloof in Vlaanderen’ est l’un des premiers rapports que j’ai analysés : une étude du service d’études du gouvernement flamand de l’époque sur la possession et l’utilisation de l’ICT. Les fossés que j’évoque plus haut ? Ils étaient déjà bien présents à l’époque et étaient directement corrélés aux revenus notamment. Ce rapport a beau avoir pris de l’âge, il ne faudrait pas s’y méprendre : en 2024, le fossé numérique existe toujours bien dans notre pays. Certes, peut-être moins profond. Mais surtout moins visible du grand public. Progressivement aussi moins large, notamment grâce aux efforts de très nombreuses organisations.Entre-temps, l’innovation technologique ne s’arrête pas – et c’est heureux –, mais elle devient toujours moins accessible à un large public. D’où l’apparition selon moi d’un nouveau fossé numérique : entre ceux qui disposent d’outils d’intelligence artificielle performants et ceux qui n’y ont pas accès. Ces derniers mois, je me suis intéressé de plus près aux différences entre les outils d’IA générative ‘gratuits’ et leurs variantes premium payantes. Ainsi, alors que la version gratuite de Google Gemini génère souvent de piètres résultats, voire hallucine, la version Advanced payante est tout bonnement impressionnante. En d’autres termes, je n’utiliserais jamais (professionnellement) Gemini en version gratuite pour son manque de fiabilité, alors que la version payante peut proposer des résultats remarquables.
Suis-je disposé ou en mesure de l’acheter ? Ou vais-je compter sur mon employeur pour l’acquérir ? De telles discussions devront incontestablement venir sur la table – qui sait sous la forme d’un ‘avantage de toute nature’ sur la fiche de paie ? Espérons toutefois que nous prendrons le temps, comme société, de s’arrêter sur les risques d’une IA à deux vitesses. Car pas question d’un nouveau fossé numérique, n’est-ce pas ?
Pas question d’un nouveau fossé numérique, n’est-ce pas ?
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