En visite chezun fabricant belge de satellites

© ESA
Pieterjan Van Leemputten

Le zoning industriel de Kruibeke abrite les bâtiments de Redwire. Ce qui se présente au premier regard comme une PME classique abrite la construction de satellites de l’ESA pour des missions spatiales uniques.

Cet article a été publié dans le magazine Data News au début de l’année. Suite au lancement de Proba-3, nous le publions à nouveau.

Celui qui suit un peu le domaine spatial en Belgique connaîtra sans doute Redwire sous un autre nom. En effet, l’entreprise Verhaert Space a démarré ses activités en 1988 avant d’être rachetée en 2005 par la société britannique de défense QinetiQ. Et en 2022, celle-ci revendait l’entreprise belge au spécialiste américain de l’aéronautique Redwire, qui a également des activités dans le spatial.

Redwire travaille en Belgique sur différents projets, largement pour le compte de l’Agence Spatiale Européenne (ESA), mais aussi pour d’autres acteurs comme l’Union européenne. Pour preuve, nous sommes accueillis dans le hall d’entrée par une réplique d’un International Berthing and Docking Mechanism ou IBDM. Ce qui apparaît à première vue comme un anneau industriel relativement banal cache en réalité un mécanisme d’accostage et d’arrimage à faible impact. Autrefois, il arrivait en effet que deux vaisseaux se heurtent à l’arrimage, alors que l’IBDM permet désormais de réaliser l’opération en douceur et donc en toute sécurité.

Un satellite pour bloquer le soleil, avec derrière lui le satellite qui prendra les images. (c) PVL

Mais sur Terre et dans l’espace, Redwire est surtout connue pour ses satellites Proba, dont le premier a été lancé en 2001 déjà. Puis en 2009, suivait le Proba-2 qui précédera le Proba-V en 2013. Ce V ne signifie pas ‘5’, mais Vegetation. En effet, le satellite photographie la Terre pour étudier l’évolution des plantes. Il s’agit là d’un projet auquel participe VITO notamment. Ce satellite a donc été lancé en 2013 et fonctionne toujours dix ans plus tard, même si la mission a été arrêtée en 2021 étant donné que le satellite (sans motorisation) tourne surtout dans la partie nocturne de la Terre. Cela étant, Redwire n’exclut pas de remettre en service ces équipements d’ici quelques années, à condition évidemment qu’ils soient toujours opérationnels.

« Même à une distance de 144  m, le risque de collision est trop important. »

Désormais, Redwire développe le Proba-3, un projet lancé voici plus de dix ans déjà, mais qui prend maintenant une forme très concrète puisque si tout va bien, ce satellite sera lancé d’ici septembre 2024 au départ d’Inde avec une caractéristique très spécifique : il s’agit en fait d’un double satellite qui, pour la première fois, volera en formation pour photographier les explosions solaires.


Marie Beeckman, Satelite Operations Test Engineer et team lead chez Redwire : « Notre objectif est d’analyser la couronne solaire. Et pour y parvenir, un premier satellite retiendra la lumière du soleil afin que le second satellite puisse analyser les explosions de la couronne solaire. »

L’un des deux satellites, bien avant qu’ils ne soient terminés. (c) PVL.

Derrière cette explication simplifiée, se cache une préparation minutieuse et des technologies de pointe. « Les deux satellites tourneront à ce moment-là à 144 m de distance entre eux, mais avec une précision de quelques millimètres. » Proba-3 embarquera pour ce faire notamment un GPS et un traqueur d’étoiles pour déterminer le plus exactement possible la position de chaque satellite.

Par ailleurs, le satellite photographieur disposera aussi d’une caméra de navigation à base visuelle (à points lumineux pour reconnaître l’autre satellite) et d’un laser qui doit permettre de calculer la position de l’autre moitié de Proba-3.

Cela dit, les satellites ne tournent pas en cercle autour de la Terre. En effet, même à une distance de 144 m, le risque de collision est trop important. « La distance par rapport à la Terre varie entre 600 et 60.000 km, poursuit Marie Beeckman. Plus le satellite se rapproche de la Terre, plus la force d’attraction et la vitesse augmentent. C’est pourquoi ils se déplacent en respectant une distance plus importante afin d’éviter ces problèmes. Lorsqu’ils s’écartent à nouveau, la vitesse se réduit et ils peuvent voler plus près l’un de l’autre et photographier ainsi le soleil. »

(c) PVL

3D Bio-System

Mais les satellites ne sont pas la seule activité de Redwire. Voici quelques mois en effet, l’entreprise a annoncé avoir gagné un contrat pour le développement d’une imprimante bio, baptisée 3D BioSystem, qui sera embarquée d’ici quelques années à bord de l’ISS. Celle-ci sera en mesure d’imprimer des matières biologiques qui seront utilisées à titre d’expérience d’impression bio 3D dans l’espace. Pour la fabrication de cette imprimante, Redwire collabore avec trois partenaires en sous-traitance : deux belges, Lambda-X et la VUB, et la hongroise Remred, spécialisée en électronique et en logiciels.

« L’ESA attend de ce projet qu’il puisse être décliné de différentes manières, donc non seulement pour l’impression d’échantillons, mais aussi pour l’incubation. Il s’agit là d’expériences qui durent de quelques heures à quelques semaines, et qui impliquent aussi des mesures et des analyses. C’est ainsi qu’il faut également prévoir un microscope intégré dans l’équipement », précise Alice Pellegrino de Redwire.

Mener à bien un tel projet dans l’espace implique de prendre en compte l’absence de gravité et de savoir quelle pression exercer ainsi que d’étudier la résistance ou la flexibilité de l’imprimé bio. Même si Pellegrino insiste sur le fait qu’il s’agit d’une expérience. « Nous voulons surtout savoir comment les matières réagissent dans l’espace. »

De même, la simplicité joue un rôle de premier plan. « Tout doit être simple, car plus on complexifie, plus les astronautes ont besoin de temps pour intégrer l’équipement dans leur environnement, sachant que le temps des membres de l’équipage a un coût. » Cela dit, envoyer le 3D-BioSystem complètement assemblé n’est pas davantage une option. « Pour l’heure, nous ne savons pas encore exactement sous quelle forme l’imprimante sera livrée, sachant que les instruments sont rarement envoyés dans l’espace totalement assemblés. L’imprimante sera sans doute presque totalement assemblée par les astronautes à l’endroit défini par l’ESA dans la station spatiale. »

Culture d’algues pour l’oxygène

Les bâtiments de Redwire renferment également un labo où Dries Demey, Senior Project Manager, travaille sur les cyanobactéries, aussi appelées algues bleues, des organismes qui existent depuis plus de 3 milliards d’années et qui fixent l’oxygène sur Terre.

Actuellement, Redwire étudie la possibilité d’utiliser ces algues pour produire de l’oxygène de manière biologique. « Il s’agit d’un organisme très résistant, raison pour laquelle nous examinons la manière de l’employer également dans l’espace. L’avantage en l’occurrence est que de la biomasse est produite qui est riche en acides aminés que l’on retrouve également dans la viande. Cela ouvre d’intéressantes perspectives dans le cas de voyages interstellaires de longue durée où il est impossible d’emmener une vache ou un cochon puisque les acides aminés peuvent être un substitut aux protéines. »

Ce qui ressemble à un pot rempli d’eau sale permet grâce à des algues de produire de l’oxygène. (c) PVL

L’avantage des algues est leur développement très rapide. « Une cellule d’algue double de taille en un jour environ, ce qui permet d’en cultiver beaucoup dans un bref laps de temps. Et en laboratoire, nous pouvons encore optimiser la culture en modifiant l’intensité lumineuse pour pouvoir adapter la croissance, et donc la production d’oxygène, en fonction de la demande. »

Cela étant, les recherches sur les algues ne se limitent pas aux futurs voyages dans l’espace (ou séjours sur d’autres planètes). « L’ESA et les autorités de financement attachent aussi beaucoup d’importance aux projets de spin-offs. Dans notre cas, il s’agit d’un investissement au niveau spatial, mais qui peut également se révéler intéressant sur Terre. Un tel bioréacteur [où les algues sont transformées en oxygène, NDLR] pourrait très bien fonctionner dans un espace clos, par exemple dans une salle de conférence ou de réunion où il n’est pas possible de planter un arbre. »

Bien qu’il s’agisse en l’occurrence d’oxygène, Demey insiste sur d’autres applications possibles des algues. Ainsi, le biociment, à savoir des blocs de ciment d’algues, pourrait parfaitement être utilisé dans l’espace. Si un jour l’homme construit sur la Lune ou sur Mars, il ne pourra pas tout emporter avec lui et il pourrait s’agir là d’une alternative biologique. Aujourd’hui déjà, plusieurs entreprises se spécialisent dans ce domaine. »

De même, les algues pourraient servir dans l’approvisionnement en eau dans l’espace. « Produire de l’eau se fait par le traitement de l’urine d’où l’eau est extraite. Les déchets renferment beaucoup d’azote qui peut être traité par les algues et servir ensuite de source d’alimentation. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire