Annelien Smets
‘Google ne spécifie plus seulement comment nous devons nous déplacer, mais aussi où nous devons aller’
Il y a exactement dix ans, Google commença à personnaliser les résultats de recherche. Aujourd’hui, cette personnalisation trouve toujours plus sa voie vers l’espace public, ce qui, selon Annelien Smets, risque de générer des effets indésirables. “En ne montrant pas des informations à un groupe spécifique, on risque de brider l’accessibilité de l’espace public”, prévient-elle.
Il y a exactement une décennie, le géant internet Google se mettait à personnaliser les résultats de recherche. Sur base notamment des données de localisation et des récentes commandes de recherche, Google affiche les résultats les plus pertinents pour vous, même si vous n’êtes pas connecté. Pour Google, cela a été clairement une bonne initiative, puisqu’elle est encore et toujours l’inamovible numéro un du marché avec un produit gratuit. Mais comme à présent, nous ne recherchons plus seulement des sites web, nous devons nous poser la question suivante: cette personnalisation est-elle encore une bonne chose pour nous?
La personnalisation est par essence une réponse à l’offre pléthorique qui se trouve en ligne. Au moyen d’algorithmes, les plates-formes en ligne tentent précisément de nous proposer ce qui est intéressant pour nous, afin de créer ainsi une offre individuelle unique. Les boutiques web, médias sociaux et services de diffusion populaires comme Spotify ou Netflix sont tous pilotés en arrière-plan par un ou plusieurs algorithme(s) en vue d’adapter le contenu à nos desiderata
Pour Google aussi, la personnalisation est un facteur important pour le succès de son moteur de recherche: saisir le terme ‘Milan’ fournira pour un grand voyageur d’autres résultats que pour un fan de foot. Le mécanisme sous-jacent aux algorithmes est en soi un système acceptable, mais ses effets prennent des proportions indésirables en raison de la domination des applications, dans lesquelles ils sont utilisés.
Les intérêts commerciaux favorisent la popularité
Pour prévoir la pertinence d’un élément, l’algorithme recherche des modèles dans les données qu’il possède. Ce sont des modèles de votre propre comportement et/ou de similitudes entre vous et d’autres utilisateurs. Ce faisant, vous voyez par exemple apparaître des recommandations de produits qui sont si souvent achetés par d’autres utilisateurs qu’il aurait aussi sa place dans votre caddie en ligne. Ces recommandations servent évidemment à faire vendre. Voilà pourquoi nous voyons surtout s’afficher des articles populaires: si beaucoup de gens cliquent sur le nouveau livre d’Amélie Nothomb, il y a de fortes chances que vous le recherchiez aussi. Les éléments moins populaires se situent par conséquent en bas de la liste, voire sur une autre page. Or, admettons-le, consultons-nous souvent cette dernière?
Nous cliquons massivement sur les éléments populaires et donnons ainsi à l’algorithme un signal de confirmation. Ce faisant, les modèles existants sont renforcés, et l’algorithme est encore plus sûr de son fait. En achetant en masse dans un magasin bien connu de tous, nous sommes soumis à la même logique de personnalisation et les victimes de nos comportements de confirmation mutuels.
Comme nos achats ou notre comportement télévisuel appartien(nen)t à la sphère privée, l’effet de la personnalisation est cependant plutôt latent. Une question qui se pose différemment dans l’espace public.
‘Google ne spécifie plus seulement comment nous devons nous déplacer, mais aussi où nous devons aller’
Google en tant que guide
Nos villes se voient de plus en plus recouvertes d’une couche numérique. Cela donne à des applications telles Google Maps et Waze (elle aussi de Google du reste) la force de co-déterminer quelles parties d’une ville nous allons voir apparaître. C’est ainsi que Google annonçait le mois passé encore que Google Maps n’est pas uniquement utilisée pour des itinéraires, mais aussi toujours plus souvent pour des idées de sortie.
Google n’influence donc plus seulement la manière dont nous nous déplaçons, mais aussi où nous allons. Il en va d’ailleurs de même pour les médias sociaux, tels Instagram ou Pinterest. D’une enquête, il ressort en effet que nous utilisons toujours plus ces canaux pour planifier notre prochaine sortie. Cette influence des entreprises technologiques fait surgir la question de savoir si on pourrait transposer comme si de rien n’était la même logique de personnalisation dans l’espace public.
Les algorithmes d’Instagram et de Google notamment contribuent aussi sans aucun doute aux images bien connues d’une masse de touristes faisant la file pour effectuer une photo typique sur la montagne norvégienne Kjeragbolten ou du tapis mauve de jacinthes dans le bois de Hal. Même si ces exemples semblent à première vue très embarrassants pour les touristes en question, la situation dans des villes comme Bruges ou Amsterdam démontre que l’impact du tourisme de masse dépasse les bornes.
Autre personnalisation?
La personnalisation semble provisoirement ne pas tenir sa promesse de l’expérience individuelle. Reste à savoir si une personnalisation plus poussée est bien toujours la solution. La personnalisation dans le contexte public peut également générer des effets indésirables qui contredisent son caractère ouvert et divers. En ne montrant pas des informations à un groupe spécifique, on risque de brider l’accessibilité de l’espace public.
Nous devons rechercher une vision comportementale commune à propos du classement des informations numériques sur notre espace public. En outre, la question se pose de savoir à qui nous allons confier la détermination de ce genre de logique. Allons-nous faire aveuglément confiance aux modèles dans les données? Et qu’en est-il du rôle des autorités? Comment éviter d’en arriver à des scénarios comme en Chine?
Aujourd’hui, Facebook doit prendre ses responsabilités, après que la plate-forme a été abusée pour propager des fausses nouvelles. Ce n’est qu’après que des problèmes aient surgi que notre attention s’est focalisée sur le rôle que les algorithmes y ont joué et que l’on a évoqué la responsabilité sociale de Facebook. Dans le cas de Google, la question se pose à présent impérativement de savoir dans quelle mesure nous trouvons socialement justifiée l’influence des algorithmes sur notre espace public. Il serait judicieux de ne pas attendre un équivalent ‘fake news’, avant de formuler une réponse.
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