Explosion de données dans les jeux vidéo
Les concepteurs de jeux vidéo exploitent trop peu les données générées par leurs joueurs, estiment les experts en analyse de données. A tel point même que les sociétés qui exploitent précisément les données de millions d’utilisateurs peuvent jeter les bases d’une future rupture dans leur secteur.
Depuis que les jeux vidéo fonctionnent en ligne – sur PC vers la fin des années 1990, sur console depuis la première décennie du siècle nouveau -, les concepteurs et distributeurs de jeux basent toujours plus leurs décisions sur les données que les joueurs ont commencé à leur transmettre. A l’heure du tout-en-ligne, les jeux vidéo apparaissent, comme le confirmera tout éditeur de jeu en ligne, comme un ‘numbers game’ : les millions de joueurs actifs dans un jeu en ligne génèrent un volume incroyable de données, lesquelles permettent ensuite de tirer des règles générales.
Les concepteurs de jeux vidéo doivent utiliser plus intelligemment les données collectées.
Désormais, ces données sont exploitées dans 3 domaines. D’abord, elles sont utilisées pour améliorer le design du jeu : les concepteurs d’un jeu en ligne ont accès à des éléments extrêmement basiques comme le nombre de joueurs qui se regroupent à un endroit particulier. Quand tel est le cas, ils peuvent s’apercevoir d’un éventuel problème : y a-t-il par exemple trop peu de quêtes ou de défis ? Ensuite, toutes ces données permettent de mieux analyser les ventes. Et enfin, les joueurs d’un jeu en ligne génèrent des informations susceptibles d’être utilisées à des fins de marketing, surtout lorsqu’il s’agit de réaliser une connexion avec un public de millennials traditionnellement difficile à atteindre – mais particulièrement friand de jeux.
Encore aucune idée
Si les informations susceptibles d’être récoltées sont multiples, il reste un potentiel inexploité gigantesque face aux volumes astronomiques de données générées par les joueurs de jeux vidéo, estime Paul Brook, big data analytics team lead pour la zone EMEA du spécialiste américain du datamining Dell EMC. ” Les jeux vidéo sont, de par leur nature même, un produit numérique. Il est dès lors évident qu’ils génèrent énormément de données, confirme-t-il. Et comme ils sont presque tous connectés à l’internet, les données générées peuvent être collectées. Le service de streaming de films Netflix doit son succès au fait qu’il enregistre le moindre comportement de ses utilisateurs. Y compris combien de fois un spectateur a mis un épisode d’une série TV sur pause, car ce comportement en dit long : que le spectateur a bel et bien visionné cet épisode par exemple, car les pauses indiquent en général un coup de téléphone ou un passage aux toilettes. Et bien, dans le cas des jeux, cette proximité de l’information est en général plus grand d’un facteur 2 ou 3. Un joueur dans un jeu de construction urbaine peut par exemple reniveller plusieurs fois son terrain ou un joueur dans un tir peut préférer une arme particulière. En soi, ces fragments de données n’ont guère de valeur. Mais lorsqu’il est possible de les associer à d’autres éléments, de nouvelles choses peuvent être découvertes à propos du public en question. ”
La connaissance plus pointue de ces trillions de données de joueurs peut même créer un effet de rupture sur un marché du jeu vidéo estimé à quelque 100 milliards ? par an, affirme encore Brook. Certes, celui-ci ne sait pas encore quelle forme prendra cette rupture, mais il est convaincu que celle-ci sera liée à l’expérience ressentie par le joueur. ” Les concepteurs de jeux vidéo doivent utiliser plus intelligemment les données collectées pour leur permettre de limiter les risques liés à leur activité, analyse Brook. Les entreprises qui exploiteront correctement ces données à l’avenir peuvent être à l’origine d’une rupture majeure du secteur. Elles vont être confrontées au phénomène Uber : tout comme ce service de taxis en ligne est parvenu à créer un nouveau flux de revenus en éliminant les coûts traditionnels des compagnies de taxis grâce à la corrélation entre des données apparemment sans lien entre elles. Cette évolution touchera aussi le secteur des jeux. ”
Fini de jouer à pile ou face
Sans doute ce bouleversement lié aux big data dans le secteur du jeu sera-t-il induit par la recherche de nouveaux joueurs et la fidélisation du public existant, considère King Digital Entertainment. Ce concepteur suédois de jeux en ligne aimables tels que Candy Crush Saga, contrôlé depuis l’an dernier par le groupe américain de jeux Activision Blizzard, a mis en place depuis des années un département de data mining capable d’analyser le moindre comportement des 350 millions de joueurs de ses nombreux jeux en ligne pour améliorer ainsi l’expérience de jeu de ses clients. Un exemple ? ” Le niveau 65 de Candy Crush Saga est clairement une étape difficile à franchir, explique Phil Howard, directeur de l’équipe de scientifiques en données au siège central de King, présent récemment à la conférence Digital Gaming Revolution à Anvers. Certains joueurs passent plusieurs semaines à franchir ce cap. Dès lors, la question s’est posée de savoir s’il ne serait pas possible de faciliter ce passage. Lorsque nous avons finalement décidé d’abaisser quelque peu le seuil d’accès, nous avons procédé à un test de 3 mois auprès d’un groupe d’utilisateurs pour lequel nous avions conservé sans qu’ils le sachent la version la plus difficile d’accès, tandis qu’un autre groupe bénéficiait d’une version plus facile. Lors de l’analyse précise des données, il est possible de prendre des décisions en connaissance de cause sans devoir jouer à pile ou face. Ces informations que nous récoltons auprès des utilisateurs peuvent ensuite être exploitées pour lancer de nouvelles fonctions ou créer de nouveaux jeux. ”
Fans et utilisateurs
Grâce à l’analyse des données des utilisateurs, les concepteurs de jeux peuvent également vérifier la manière dont un joueur expérimente un jeu. ” Nous pouvons dégager des constantes que nous n’aurions pas pu observer autrement. Par exemple que des joueurs non entraînés ont en moyenne 3 % de chances à chaque niveau de Candy Crush Saga de passer au niveau suivant, ajoute Howard. Il s’agit là de constats qui vont très loin dans l’analyse des données. Dans le même temps, nous observons que notre public est très diversifié. Voilà qui pourrait nous permettre d’attirer de nouveaux joueurs. ”
Un autre élément important qui ressort de l’analyse des données des jeux en ligne est l’engagement du joueur, insiste Brook. En effet, les concepteurs de jeux peuvent savoir lors du traitement des données qui est un véritable fan ou pas. ” C’est extrêmement important : durant plusieurs décennies, l’industrie de la musique ne s’est pas penchée sur la question de savoir si le client était fan ou pas, aussi longtemps qu’il achetait des disques. Mais avec la rupture numérique intervenue voici quelques années, cet élément revêt une importance majeure dans la mesure où les fans peuvent, via les services en ligne du style SoundCloud ou les médias sociaux tels que Facebook, faire la renommée d’un artiste sans que celui-ci ait vendu le moindre disque. Or les concepteurs de jeux en ligne ne seront jamais confrontés à ce type de problème puisqu’en analysant correctement les données générées par leur produit, ils pourront mesurer pour chaque jour individuellement si celui-ci est un simple joueur, un fan ou un super-fan. Et ces deux dernières catégories sont particulièrement précieuses puisque c’est elles qui émettent les commentaires sur un jeu – et éventuellement les modifications à apporter. ”
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