Kristof Van der Stadt
Du coq à l’arme
Savez-vous encore ce dont vous avez parlé voici par exemple deux ans avec la personne que vous avez rencontrée lors de la réception annuelle d’une association d’utilisateurs ? Ou de quoi vous discutiez en passant du coq à l’âne avec cette dame assise à côté de vous à une table richement décorée lors d’une soirée de gala de prestige, à l’invitation ou non de Data News. Ou quel était ce sujet si important qui cristallisait l’attention lors de l’une des nombreuses conférences de presse organisées l’année suivante. Pour ma part, impossible de répondre avec certitude, mais je suis persuadé qu’ils étaient à mille lieues de ce dont moi, vous et elle ont parlé ces dernières semaines. Auriez-vous un jour imaginé voici deux ans que tout tournerait aujourd’hui autour des guerres (commerciales), des taxes, des budgets de la défense, d’un nouvel ordre mondial ainsi que de la place tenue par notre pays, mais surtout l’Europe, dans cette nouvelle économie mondiale ? Et de l’impact potentiel de ces mouvements géopolitiques sur le biotope ICT ?
Ces dernières semaines et ces derniers mois, l’Europe a été fortement secouée et ces tremblements se ressentent jusque dans nos entreprises et leurs départements ICT. Dans un premier réflexe de crainte, de nombreux budgets ont été gelés, un mouvement qui s’était déjà fait sentir dans le sillage de la crise du Covid, de la hausse du prix de l’énergie, du climat économique morose et de l’incertitude liée aux guerres en Ukraine et à Gaza. Un réflexe certes compréhensible, mais est-il vraiment rationnel ? L’impact de l’IA est en effet gigantesque et ouvre des opportunités : votre entreprise peut-elle dès lors se permettre de ne pas s’y engager en raison d’un gel des budgets ? Le moment n’est-il précisément pas venu de se positionner face à l’avenir ?
Or c’est exactement là que le bât blesse. Comment définir les priorités de demain tout en posant les bons choix technologiques dans un monde où la certitude n’a plus cours. La diplomatie a été crucifiée en direct à la télévision – vous savez bien sûr de quoi je parle – tandis que les lois non écrites sur le commerce sont d’ores et déjà bafouées. La seule certitude est qu’il n’y a plus de certitude. Or l’IA est dans l’œil du cyclone géopolitique. Tout tourne autour des données. Où faut-il ou doit-on encore les stocker et les traiter ? Est-il encore raisonnable d’opter pour un fournisseur américain ? Mais faut-il alors mettre tous ses œufs dans le même panier chinois ? Car les rares alternatives européennes ne sont-elles pas encore et toujours peu pertinentes – entendez moins matures ?
La discussion sur la souveraineté s’impose aussi dans la technologie.
Cela étant, les esprits européens sont en train de mûrir. Un concept comme la souveraineté n’est plus un mot vide de sens, tandis que la discussion gagne également le domaine technologique. Qu’il s’agisse de cloud, d’applis, d’appareils, de médias sociaux ou encore de logiciels, d’infrastructure et de puces : quelle est mon indépendance en tant qu’entreprise belge face aux géants étrangers qui peuvent à tout moment fermer le fameux robinet ou, pire encore, l’accès à vos données ? Sans parler des droits de douane et autres taxes qui pourraient être décidées du jour au lendemain. Aussi étrange que cela puisse paraître, il me semble que ce sujet de conversation restera un certain temps encore d’actualité.

Lors de la récente réception de Beltug, Paul Timmers, professeur à la KU Leuven, a présenté un transparent particulièrement intéressant et d’ailleurs photographié par au moins la moitié de la salle. Intitulé ‘Who controls the digital stack ?’, ce slide montrait que dans tous les segments – données et IA, logiciels, cloud, IoT & app, appareils, réseaux, puces et matières premières/énergie/eau – le drapeau américain était omniprésent comme ‘key country’. Exception faite des puces, il en allait de même pour la Chine. Dans ce segment, Taîwan et la Corée font la course en tête, même s’il s’agissait aussi de l’un des rares domaines où l’Europe avait sa place – grâce à la néerlandaise ASML. Et dans les réseaux, le Vieux Continent est certes présent – merci à Ericsson –, tandis que l’on retrouve encore le drapeau de l’Allemagne dans les logiciels (SAP bien sûr) et l’IoT (Bosch et Siemens). Reste que plus de 80% de l’ensemble des technologies numériques en Europe semblent importées. Surpris ? Certainement pas ! Risqué ? Peut-être. Curieux de voir si et comment nous pourrons faire diminuer ce pourcentage.
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