Longread: La Silicon Wadi est-elle la terre promise?
‘Start-up Nation’: voilà comment Israël aime qu’on le qualifie. La région de Tel Aviv jusqu’au port d’Haïfa est même appelée la Silicon Wadi: wadi étant le terme hébreux désignant la Valley. Cette comparaison est-elle correcte? Dans le sillage de startups et d’entrepreneurs anversois, Data News a cherché la réponse.
‘Start-up Nation: The Story of Israel’s Economic Miracle’: le bestseller de Dan Senor et Saul Singer n’est pas facile à lire, mais passe pour être en quelque sorte la bible de tout entrepreneur israélien. Il relate la façon dont un petit pays de 7,1 millions d’habitants parvient à générer davantage de startups que le Japon, la Grande-Bretagne, le Canada et la Corée du Sud. En l’espace de 10 ans, 7.000 petites entreprises y ont vu le jour. “Nulle part au monde il n’y a plus de startups par habitant qu’ici en Israël”, déclare le ministre de l’économie Eli Cohen.
En Israël, tout un chacun est un entrepreneur.
“En Israël, tout un chacun est un entrepreneur”, explique Emmanuel Grinspan, un Belge qui, après ses études à la VUB, a rejoint Israël et est devenu aujourd’hui CEO d’E-nnovative Minds, une ‘innovation and business strategy agency’. “Tout un chacun est un entrepreneur, parce qu’il a assimilé les compétences voulues à l’armée”, ajoute Grinspan lors de la réception inaugurale de la mission économique à Tel Aviv que la Stad Antwerpen et Startups.be viennent d’organiser. Ce ne sera pas, et de loin, la dernière fois qu’on entendra cette réflexion au cours de cette mission de quatre jours. “En fait, on peut affirmer que l’armée est ici le principal accélérateur”, estime Frederik Tibau de Startups.be.
L’armée apprend à être innovant, afin d’aller de l’avant et de rechercher des solutions, d’improviser et de déceler des opportunités.
“Moi-même, j’ai effectué mon service militaire obligatoire de trois ans dans l’artillerie, mais ces dernières années, il y a également au sein des forces de défense israéliennes des départements qui font appel à des compétences économiques et numériques. Il n’est donc pas toujours question d’héroïsme”, déclare en riant Yossi Yudkovich, un porte-parole d’Haifa Economic Corporation: une organisation qui entend stimuler le développement économique dans le port d’Haïfa. “L’armée apprend aussi à être innovant, afin d’aller de l’avant et de rechercher des solutions, d’improviser et de déceler des opportunités. Toutes des propriétés qu’un entrepreneur doit avoir”, selon Yudkovich. Et ce qui explique peut être encore un peu mieux ce succès: “Nous, Israéliens, voulons non seulement développer de bons produits afin d’améliorer le monde, mais à coup sûr aussi afin d’être plus forts économiquement parlant. Tachless.” (un terme argotique israélien que l’on pourrait dans ce contexte traduire au mieux par: ‘franchement’, ndlr).
Pourquoi une mission anversoise?
C’est la première fois que la ville d’Anvers organise une mission économique en Israël. “Pourquoi? Parce que nous voulons inciter nos startups à s’internationaliser et à attirer sur elles l’attention d’entreprises et d’investisseurs israéliens. Mais aussi pour montrer qu’Anvers peut être aussi une bonne base de départ pour toute entreprises intéressée”, affirme la cheffe de la délégation et échevine anversoise de l’économie Caroline Bastiaens. Haïfa est par ailleurs depuis les années 60 déjà une ville soeur d’Anvers: des liens qui ont été l’année dernière encore renouvelés par Bart De Wever.
L’accent de la mission reposait, et ce n’est pas un hasard, sur les piliers de l’ample projet numérique d’Anvers: l’innovation numérique conduisant à une smart city, aux cleantech (technologies respectueuses de l’environnement) et à la numérisation des soins de santé. Une visite à la Clinique Rambam s’inscrivait dans cette partie de la mission. Les trois étages en sous-sol du parking de cet hôpital fortifié innovant – n’oublions pas qu’Israël n’entretient pas de trop bonnes relations avec quelques-uns de ses voisins directs! – peuvent être transformés en 72 heures en une clinique à part entière. Cela n’exige certes pas trop d’IT, mais cela symbolise bien la recherche permanente de solutions novatrices.
En mars, Rambam a inauguré l’incubateur médical MedTech, conjointement avec Medtronic qui dispose déjà de centres R&D dans le pays, avec IBM et avec des capital-risqueurs, dont Pitango: une société d’investissement de Chemi Peres, fils de Shimon Peres. Les startups peuvent y bénéficier d’un support pendant deux ans, après quoi elles doivent rechercher elles-mêmes d’autres investissements. “Notre but est de fournir en l’espace de 8 ans 40 top-entreprises innovantes”, prétend Nadav Ben Haim, CEO de MedTech, qui dispose dans ce but d’un fonds de 40 millions d’euros.
Esprit de clocher
MedTech fait quelque peu penser à l’incubateur ehealth BlueHealth Antwerp. Mais son directeur Tom Braekeleirs y voit quand même des différences. “A Anvers, nous nous concentrons nettement plus sur le volet purement numérique, alors qu’ici en Israël, l’accent est davantage mis sur les tests médicaux. Nous fonctionnons par exemple plus sur base du traitement des données médicales, ce qui est quand même une autre approche”, affirme Braekeleirs.
C’est peut-être un cliché, mais nous avons encore l’esprit de clocher qui agit comme un obstacle.
“J’ai appris ici que nous pouvons être fiers de ce que nous faisons en Belgique et que nous pouvons soutenir la comparaison avec l’étranger en matière de soins de santé. Mais nous devons oser encore plus. C’est peut-être un cliché, mais nous avons encore l’esprit de clocher qui agit comme un obstacle”, poursuit Braekeleirs.
Similitudes avec la Silicon Valley
Toutes les grandes entreprises technologiques américaines – Facebook, Google, Microsoft, Apple, IBM,… – sont présentes sur quelques kilomètres carrés en Israël. Nombre d’entre elles y disposent en outre aussi de grands centres R&D. La ressemblance extérieure de tout ce décor avec l’exemple de la Silicon Valley californienne est frappante.
L’université Technion constitue l’axe central de la Silicon Wadi. “Ce que Berkeley ou Stanford représentent pour l’écosystème créé autour de San Francisco, Technion l’assume pour cette région”, affirme le professeur Boaz Golany dans une petite salle aménagée pour recevoir les visiteurs de Technion. Chez Technion, l’accent est mis sur l’innovation technologique. La technologie quantique y est par exemple l’un des principaux fers de lance, en plus de l’expertise en matière de fusion de l’ingénierie et de la médecine.
Israël a du reste, après les Etats-Unis et la Chine, le plus grand nombre d’entreprises cotées au Nasdaq. “Plus que toutes les entreprises d’Europe Occidentale réunies”, ajoute-t-il fièrement. “Dix des entreprises cotées au Nasdaq ont démarré ici sur le campus”, souligne Boaz Golany comme pour faire une fois encore comprendre l’importance de l’université dans l’écosystème global.
Six des starters belges participant à la mission (Hilbert Paradox, T-Mining, Rombit, Forganiser, MySmartBottle et Hoplr) ont osé à Herzliya – le quartier financier de Tel Aviv – tenter de convaincre en cinq minutes deux capital-risqueurs israéliens réputés Viola et 83North. Avec des pitches (présentations) comme cela s’appelle dans le jargon des startups. Et cela a marché. Deux d’entre elles ont pu compter sur l’intérêt de Viola: un groupe d’investissement gérant un fonds de 2,5 milliards de dollars en tout. Hilbert Paradox pourra revenir pour une réunion plus étoffée, et il est possible que T-Mining bénéficie elle aussi cette opportunité. Une agréable surprise pour Marcel de Vries, directeur général d’Hilbert Paradox. “Notre startup analyse les données d’appareils médicaux et les visualise, afin d’aider les médecins à poser un diagnostic à la fois plus rapide et meilleur”, explique de Vries. Il a rejoint l’équipe des quatre fondateurs, dont le cardiologue Stefan Verheye. “Nous lancerons bientôt une nouvelle plate-forme ciblant la cardiologie et les affections cardiovasculaires: ce n’est pas là par hasard notre focus provisoire. Mais l’objectif est certainement de ne pas se limiter à cela”, dit encore de Vries.
Jan Bormans de Startups.be, qui a établi les contacts initiaux, est ravi des résultats de la session de pitching. “Il ne faut pas perdre de vue que des capital-risqueurs comme ceux-ci sont particulièrement critiques. Je trouve que nos starters belges s’en sont bien tirés”, déclare Bormans qui leur a fourni ensuite encore pas mal de feedback utile. “En général, nous sommes beaucoup trop modestes, et cela se ressent dans notre langage. Nous devons en sortir”, affirme Bormans. Encore cet esprit de clocher donc.
Débuter par l’exit
Nombre de startups technologiques en Israël sont revendues avant même qu’elles ne deviennent des acteurs internationaux. Personne en Israël ne trouve cela scandaleux, bien au contraire: la stratégie de l’exit est élaborée dès le tout début.
– En 2016, 104 exits technologiques ont été enregistrés en Israël, ce qui représente un montant total de 10 milliards de dollars, soit 12 pour cent de plus qu’en 2015. (IVC-Meitar High-Tech Report 2016).
– Des 104 exits, il y eut 93 rachats pour un montant de 8,8 milliards de dollars. L’accord le plus important fut la vente de l’entreprise de jeux Playtika au groupe de jeux en ligne chinois Giant Interactive pour 4,4 milliards de dollars.
– Le nombre exit moyen est de 46,3 millions de dollars.
Viola et 83North sont installés à Herzliya, où l’on trouve dans à peine 4 tours de bureaux plus de 60 pour cent de tout le capital risque d’Israël. Quasiment tous les grands fonds technologiques au monde possèdent à tout le moins aussi un bureau à Tel Aviv – surtout les américains. Tout entrepreneur au départ de Tel Aviv ou quiconque réussit à se distinguer dans la quand même petite Silicon Wadi n’échappe donc pas à l’oeil vigilant de quasiment tous les capital-risqueurs importants présents sur place.
Ce n’est pas dénué d’importance dans la mesure où la plupart des startups technologiques israéliennes sont revendues relativement vite. A un acteur américain par exemple, comme ce fut le cas récemment encore de Mobileye qui est passée entre les mains d’Intel pour plus de 15 milliards de dollars. Ou de l’application de navigation mieux connue Waze rachetée par Google. Et ce n’est pas un hasard si ces deux entreprises disposent d’un lien automobile: Israël est sur le plan mondial devenu l’un des acteurs les plus puissants de l’industrie automobile, même si le pays ne construit pas de voitures. Tous les grands constructeurs automobiles y sont représentés.
Nous examinons en permanence ce que nous pouvons faire et pensons continuellement à la prochaine étape.
“Israël est au coeur du secteur technologique. Des centaines de multinationales sont déjà actives au départ de notre pays, et l’on voit de plus en plus d’entreprises qui veulent s’installer ici. Nous sommes très forts surtout en matière de cyber-sécurité”, prétend le ministre de l’économie Eli Cohen. Et l’importance de l’armée n’y est assurément pas étrangère. En 2016, les startups en sécurité ont conjointement recueilli 700 millions de dollars. Actuellement, le pays compte quelque 450 startups en cyber-sécurité.
Mais qu’est-ce que des starters belges peuvent-ils apprendre exactement d’Israël? “Nous n’acceptons pas de réponse négative. Nous examinons en permanence ce que nous pouvons faire et pensons continuellement à la prochaine étape”, intervient Cohen. Le manque de matières premières fait en sorte qu’entreprendre est devenu ici quasiment une obligation. “Nous devons affronter une forte pénurie d’eau. Mais aujourd’hui, la région agricole la plus florissante est celle qui est située dans le désert. Voilà un exemple de la façon dont nous parvenons toujours à transformer un inconvénient en un avantage”, conclut le ministre Cohen.
Mais Yossi Vardi, l’un des tout premiers entrepreneurs technologiques en Israël, souhaite mettre le succès technologique en perspective: “Aujourd’hui, les avantages de l’ensemble de l’industrie high-tech ne touchent que 10 pour cent de notre population, ce qui fait que l’écart des revenus croît. Notre gouvernement souhaite par conséquent que d’ici dix ans, 30 pour cent de la population travaillent dans le high-tech.”. Le fait que des startups étrangères viennent en visite, est une bonne chose pour Vardi: “Vos startups peuvent s’inspirer de notre façon de travailler. Mais à l’inverse, nos startups recherchent également des débouchés en Europe car notre marché local est trop exigu.”
Eléments dont il convient de tenir compte
Israël a des frontières avec le Liban, la Syrie, la Jordanie, l’Egypte et les Territoires palestiniens qu’il occupe et contrôle militairement depuis 1967: un environnement explosif donc, ce qui a aussi des effets sur la sécurité dans l’aéroport de Tel Aviv. L’arrivée à Ben Gurion Airport ne pose pas un gros problème en général, mais quiconque souhaite quitter le pays, se doit d’être présent 3 heures à l’avance. Les bagages à main sont contrôlés de fond en comble, et des files d’attente de 2 heures ne sont pas une exception, comme nous l’avons expérimenté nous-mêmes: il s’agit donc d’en tenir compte, si vous envisagez de faire des affaires avec Israël. Cet article n’a du reste pas été rédigé dans l’avion de retour car votre serviteur a vu son ordinateur portable confisqué pour des raisons peu claires (“security reasons, sir“), et n’a pu le récupérer que parmi les bagages à Zaventem. Cela aussi, c’est Israël.
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