Fail Conference: “L’échec est et reste terrible”
A Silicon Valley, l’échec fait entièrement partie du processus d’apprentissage de l’entrepreneur. Peut-on dès lors en conclure qu’il s’agit d’une culture où l’échec est considéré comme la chose la plus normale au monde?
A Silicon Valley, l’échec fait entièrement partie du processus d’apprentissage de l’entrepreneur. Peut-on dès lors en conclure qu’il s’agit d’une culture où l’échec est considéré comme la chose la plus normale au monde? “Pas vraiment”, estime Filip Maertens, entrepreneur technologique. “Le seul message correct à diffuser, c’est que cela peut arriver, mais qu’il faut tenter de l’éviter coûte que coûte.” Les entrepreneurs peuvent eux aussi tirer des leçons de leurs erreurs. Tel était le slogan principal martelé lors de la Fail Conference organisée à Gand. Car un entrepreneur qui échoue, a eu au moins le mérite de tenter sa chance.
Glorifier, voire porter aux nues l’échec est une habitude qui nous vient des Etats-Unis, plus précisément de Silicon Valley. Selon l’auteur et entrepreneur internet américain David Feinleib, qui a prononcé un discours thématique lors de la Fail Conference, échouer est même une condition sine qua non pour pouvoir connaître le succès au paradis de la technologie.
“Le plus grand risque consiste à ne prendre aucun risque”, a-t-il déclaré. “Et si vous échouez, faites-le rapidement et sans trop de casse financière. Twitter était autrefois une petite entreprise de ‘podcasting’, jusqu’à ce que son fondateur eût l’idée d’en faire une plate-forme de microblogging. Instagram permettait au départ de s’enregistrer, jusqu’à ce que l’on se rende compte que cela n’intéressait personne. Après avoir commis une erreur, l’on change son fusil d’épaule et l’on va de l’avant. Le fait d’avoir alors compris certaines choses nouvelles constitue un atout supplémentaire pour la suite.”
Le publicitaire Guillaume Van der Stighelen va encore plus loin en affirmant qu’il y a un côté ‘fun’ dans l’échec. “Chez nous, personne n’a jamais été licencié parce qu’il avait fait une erreur. Qui plus est, l’erreur est humaine. Créer, c’est essayer. Et lorsqu’on a conscience que l’échec peut aussi être positif, l’on se sent libéré. Ce n’est qu’alors seulement que l’on peut faire de grandes choses.”
Attractel Tout le monde ne partage évidemment pas cette opinion. L’un des récits les plus poignants et intéressants faits lors de la Fail Conference est à mettre à l’actif de l’entrepreneur Filip Maertens, le créateur d’Argus Labs (Jini), qui, il n’y a pas si longtemps encore, était en première ligne lors de la déroute d’Attractel. Maertens s’était en 2007 acheté le droit d’entrer dans l’entreprise télécom pour la voir déposer son bilan deux ans plus tard.
“J’ai un problème avec la vogue qui est à présent créée autour de l’échec”, explique Maertens. “L’on prend l’échec un peu par-dessus la jambe, ce qui est dangereux, car échouer, c’est terrible. Le seul message correct à diffuser, c’est que cela peut arriver, mais qu’il faut tenter de l’éviter coûte que coûte. Falen sucks, surtout parce que cela vous touche personnellement. Vous vous lancez dans quelque chose parce que vous y croyez dur comme fer. Si vous échouez, c’est aussi un échec personnel.”
Le principal problème qui s’est posé à Attractel, n’était pas, selon l’entrepreneur technologique, d’ordre financier (même si les dettes ne manquaient pas), mais bien un conflit entre la direction et le conseil d’administration.
“Une certaine fatigue s’était installée parmi les fondateurs, ce qui m’a fait peur”, ajoute Martens. “Cette fatigue résultait du fait que nous avions un actionnaire majoritaire, dont la position était trop dominante. Il était constamment en train de dicter ses ordres. Ce n’était pas agréable, surtout pas pour les fondateurs. Lorsqu’ils disaient: nous allons prendre cette direction et que l’actionnaire faisait alors savoir qu’il avait choisi une autre trajectoire, il était certain que c’était là la recette idéale d’une catastrophe.”
“J’ai assisté à plusieurs reprises à la remise à sa place de notre CTO par l’actionnaire principal, alors que nous étions en réunion avec des investisseurs. Cela ne se fait pas, cela va beaucoup trop loin. Il est évident que l’investisseur se dit alors: ‘il y a de la bisbrouille au sein de la direction de l’entreprise. Nous allons attendre’.”
Après la faillite d’Attractel, Maertens s’est acheté un costume sur mesure et une nouvelle BMW. “Cela faisait partie de mon processus… thérapeutique”, affirme-t-il. “L’on ne veut plus être associé à l’échec. L’on ne le nie pas, l’on en parle, l’on en tire des leçons, mais l’on ne veut pas continuer à en porter les stigmates. Si l’on veut se remettre rapidement en selle, il faut soigner son apparence. Pour soi-même, afin de ne pas sombrer, mais aussi pour le monde extérieur. If you fake it, you make it.”
Mentalité “Dans ce contexte, nous vivons dans pays spécial, vous savez”, poursuit Maertens. “Mon père possède un bureau comptable, et j’ai donc vu pas mal de clients tomber en faillite. J’ai aussi vu à plusieurs reprises dans quelle situation des personnes sont tombées. Cela allait jusqu’à la confiscation de leur maison. Croyez-moi, cela n’a rien de glamour. Ce qui choquait encore plus, c’était la mentalité belge. Quand cela va bien, la première réaction est souvent la suivante: ‘il se drogue ou quoi ou c’est un criminel’. Il ne vient jamais à l’esprit d’autrui que vous travaillez peut-être dur. Cette jalousie instinctive, cela me pèse. Et puis quand subitement, tout va mal, vous entendez des ‘oh, le pauvre!’. Quelle hypocrisie! Petit pays, petit esprit, petit zizi. Voilà qui explique la BMW (rire).”
Selon Maertens, Silicon Valley nous apprend surtout de ne pas avoir peur et de prendre l’initiative: “Beaucoup de nos entrepreneurs locaux n’osent pas prendre de grandes décisions et encore moins faire un tour d’horizon des problèmes qui se posent. Attractel occupait 60 personnes à un moment donné. 15 pour cent d’entre elles au maximum avait fait leur la mentalité de la startup et bossaient à fond. Aujourd’hui, je sais que nous aurions dû licencier beaucoup plus rapidement une partie du personnel. Les gens qui ne savent quoi faire de leurs dix doigts, coûtent énormément d’argent. Lorsque quelque chose ne va pas quelque part, il faut oser y mettre fin immédiatement. Hire fast, fire fast.”
“Il ne faut pas non plus craindre de dire: je vais créer une entreprise avec laquelle je vais déstabiliser le marché. En tant que Belge, l’on est beaucoup trop modeste. Et les gens qui ont le courage de le clamer haut et fort, ceux-là ils déménagent souvent à Silicon Valley (rire). Nous pouvons aussi apprendre beaucoup des investisseurs américains. A Silicon Valley, il y a un écosystème fermé. Si une petite entreprise y fait faillite, l’argent retourne vers cet écosystème. Chez nous, l’on en est encore très, très éloigné.”
Avec sa nouvelle petite entreprise Argus Labs, Martens recherche aussi du capital, et l’intérêt en provenance des Etats-Unis est plus grand qu’au départ de la Belgique. “Il est donc possible que nous suivions la même trajectoire que Xavier Damman, Davy Kestens et Frédéric della Faille. L’intérêt américain est déjà très concret. Cela ne signifie toutefois pas que nous allons quitter définitivement la Belgique, mais tout indique que nous devrons renforcer bientôt notre présence aux Etats-Unis.”
Encourageant Voilà qui démontre donc bien qu’il y a une vie après l’échec. “Il est réconfortant de constater que la confiance n’est pas tout à fait partie. Vous apprenez évidemment à connaître de nouvelles personnes, à qui vous racontez votre histoire, mais lorsque vous obtenez subitement de nouveau du soutien, même de la part de capital-risqueurs, c’est très encourageant. Non pas que l’on veuille être consolé, mais l’on a ainsi la motivation que l’on n’a plus eue lorsque tout allait mal. La confiance en soi est alors boostée, ce qui est une bonne chose.”
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