Benoît Hucq: “L’administration prend le plan numérique très au sérieux”
Voici quelques semaines, l’administration wallonne approuvait son fameux Plan Numérique. Benoît Hucq et l’Agence du Numérique ont joué un rôle clé dans l’élaboration de ce plan.” On ne peut pas reprocher au politique de prendre des mesures susceptibles d’améliorer le climat numérique”, clame-t-il.
Sans doute avez-vous remarqué que depuis l’arrivée au pouvoir de la nouvelle équipe gouvernementale en 2014, l’Agence wallonne des Télécommunications (AWT) a été remplacée par l’Agence du Numérique (ADN), une nouvelle structure destinée à promouvoir l’entreprenariat, à accompagner la transition numérique en Région wallonne et à stimuler la croissance et l’innovation.
L’équipe de l’AWT est restée largement en place, mais l’ancien directeur de l’AWT Luc Simons a été remplacé par Benoît Hucq, l’ancien patron des Océ Software Labs, un spécialiste de la gestion documentaire issu du giron de Siemens repris en 2009 par Canon.
Hucq est resté un certain temps loin des projecteurs, mais entend désormais expliquer haut et fort ce qui a changé. “Avec Jean-Claude Marcourt (PS), nous avons pour la première fois un ministre de l’everything digital, explique-t-il d’emblée. Et dans le Plan Marshal 4.0, un volet est désormais consacré au numérique, auquel sera dédié une enveloppe de 500 millions € répartis sur 4 ans.”
Manifestement, les choses sont claires : Marcourt et son équipe entendent faire de la Wallonie une région aux avant-postes de la révolution numérique. Et la stratégie mise en place pour ce faire repose largement sur les épaules de l’Agence du Numérique. “Durant le premier semestre de 2015, nous avons crowdsourcé des idées, poursuit Hucq. Nous avons réalisé des sessions de brainstorming regroupant quelque 200 personnes autour du numérique pour retenir au final 5 thèmes majeurs : l’économie numérique, la transformation numérique, les services publics, l’enseignement et la formation, et les villes et régions.”
“Autour de ces 5 thèmes, nous avons formulé 50 mesures concrètes qui constituent désormais l’épine dorsale du Plan Numérique. C’est assez unique que cette initiative ne se soit pas limité à de belles paroles et que le gouvernement se soit vraiment mis au travail sur base de ces propositions et ait dégagé un budget, après quoi des points d’action ont été définis. Tout le mérite en revient à Marcourt.”
Quel est le rôle de l’Agence du Numérique dans la poursuite de l’exécution du Plan Numérique ?
BENOIT HUCQ : Nous avons un double rôle. D’une part, nous vérifions que les actions du plan sont bien suivis au niveau des cabinets des différents ministres et des autres parties concernées. D’autre part, nous sommes nous-mêmes responsables de certaines actions. C’est ainsi que d’ici quelques semaines, nous lancerons un outil de gestion de projet qui permettra d’assurer le suivi de l’ensemble des initiatives du Plan Numérique. De même, nous préparons un outil de diagnostic permettant d’attribuer à nos entreprises un score de digital readiness sur base de plusieurs paramètres.
C’est assez unique que cette initiative ne se soit pas limité à de belles paroles
Par ailleurs, une équipe d’une quinzaine de personnes doit élaborer et gérer la plateforme Digital Wallonia ainsi qu’initier différentes initiatives sur des thèmes comme les données ouvertes. En outre, un Digital Wallonia Hub verra le jour ; il s’agit d’un centre de recherches à la iMinds qui sera chargé de lancer des projets de recherche en partenariat avec l’industrie. L’ADN sera l’épine dorsale opérationnelle de ce hub. Enfin, l’Agence du Numérique lancera plusieurs actions de sensibilisation autour de la numérisation de notre économie. Comment rendre nos entreprises plus compétitives ? Comment se préparer à la vague numérique qui va déferler ?
Aujourd’hui, l’ICT et le numérique ne représentent que 1,4% seulement de l’économie wallonne. Il y donc encore pas mal de travail pour faire de la Wallonie un leader du numérique.
HUCQ : C’est exact, mais la bonne nouvelle est que désormais, d’importants moyens sont dégagés pour améliorer ce résultat. Nous devrions pouvoir atteindre la moyenne belge de 3,2%. En Flandre, l’ICT pèse désormais 2,6% de l’économie, mais c’est surtout Bruxelles qui se comporte relativement bien avec plus de 7%. Pour moi, le plus important est que Marcourt ait initié un processus et que les choses soient véritablement en train d’évoluer. C’est moins évident qu’il y paraît, car les politiciens décident beaucoup alors que le développement économique d’une région ne se fait pas par décret. Un exemple ? Prenez la construction, un secteur particulièrement important en Wallonie. Ce n’est que depuis que nous avons réuni les acteurs du secteur pour leur présenter des applis qui pourraient leur être utiles qu’ils ont pris vraiment conscience que leur secteur se numérisait à grands pas. En décembre, nous avons inauguré une plateforme hébergeant toutes les informations possibles et imaginables ainsi que de nombreuses applications numériques pour le secteur de la construction. Nous ne nous limitons donc pas à une stratégie sur papier, nous essayons vraiment de sensibiliser le marché et d’initier des actions.
Start-up
Quels sont désormais les principaux défis de la Wallonie dans le numérique ?
BENOIT HUCQ : J’en identifie quatre. Tout d’abord, nous devons mener une politique cohérente au lieu de nous disperser. Le Plan Numérique est à cet égard un pas dans la bonne direction. Ensuite, nous devons veiller à ce que nos entreprises utilisent davantage les outils numériques pour améliorer leur compétitivité. Pour ce faire, nous devons procéder à une transformation numérique en profondeur. Par ailleurs, nous devons supporter plus explicitement la croissance de nos start-up et nous focaliser pleinement sur l’enseignement et la formation. Enfin, l’utilisation de l’ICT dans l’enseignement doit être stimulée, nos enseignants doivent bénéficier de formations complémentaires, tandis qu’il ne faudrait certainement pas oublier nos fonctionnaires (rire).
Y a-t-il des initiatives concrètes pour soutenir les start-up ?
HUCQ : Certainement, la Wallonie a besoin d’instruments flexibles pour aider ses start-up. D’ici quelques semaines, nous dévoilerons un nouveau fonds d’investissement pour lequel une enveloppe de 50 millions € a été dégagée. Une sortie de GIMV flamande donc, mais centrée sur les start-up actives dans le numérique. Il est important de préciser ici que ce fonds pourra être actionné rapidement et qu’il ne souffrira pas de lenteurs administratives. Nous nous activons maintenant à la mise en place d’un comité de sélection qui sera constitué de personnes qui connaissent parfaitement le petit monde des start-up.
La différence par rapport à des véhicules comme Meusinvest et Nivelinvest? Eh bien, que ce fonds pourra être activé plus rapidement, tandis que les start-up ont souvent besoin de montants plus élevés que ceux que proposés par Meusinvest. En outre, les spécialistes qui opéreront la sélection pourront mieux évaluer la valeur des start-up numériques. Un deuxième élément est que nous pourrons mieux soutenir nos start-up dans leurs ambitions à l’international. C’est ainsi que nous leur offrirons des moyens pour faciliter les contacts avec des partenaires actifs à l’échelle internationale.
De local à régional
Il existe également de nombreuses initiatives locales de soutien à l’écosystème numérique en Wallonie. Comment l’ADN entend-elle coordonner le tout? Ces projets locaux ne s’intéressent-ils pas surtout à leurs propres réalisations et n’ont-ils pas l’impression d’être en concurrence?
HUCQ : La tâche n’est pas simple, d’autant qu’il faut prendre en compte une composante historique et culturelle. Les réflexes locaux existent depuis des centaines d’années, et la même chose est vraie en Flandre, me semble-t-il. Là-bas également, chaque ville veut posséder son propre incubateur et son propre centre de recherche. Je sais bien qu’il s’agit là d’une vision étroite des choses et qu’il faut certainement intensifier les collaborations entre villes et provinces, mais cela prend du temps. Si l’on veut développer une application intéressante de ‘ville intelligente’ pour les citoyens, il faut au minimum veiller à une certaine collaboration entre les différentes métropoles. Il serait absurde que Liège et Charleroi aient chacune un projet identique.
Il faut certainement intensifier les collaborations entre villes et provinces, mais cela prend du temps
La première chose à faire est donc de mettre autour d’une même table des personnes provenant d’écosystèmes différents afin qu’elles apprennent à se connaître et qu’elles puissent voir quelle valeur ajoutée elles peuvent tirer d’une éventuelle collaboration. Certains sont dès le départ plus ouverts que d’autres (rire).
Par ailleurs, nous voulons pousser la marque Digital Wallonia, un peu dans le style de la French Tech, l’idée étant d’accorder du financement à des projets de bonnes pratiques qui répondent à certains paramètres bien définis. En l’occurrence, nous entendons privilégier le régional par rapport au local.
Est-ce bien le rôle des pouvoirs publics que de stimuler l’entreprenariat numérique d’une région ?
HUCQ : Je le répète : l’emploi et le développement économique d’une région ne se font pas par décret, mais l’on ne peut pas reprocher au politique de prendre des mesures pour susciter un climat numérique favorable. L’ambition du Plan Numérique n’est certainement pas de déverser des subsides, que du contraire même : nous allons moderniser les mécanismes d’aides publiques. Nous voulons faire en sorte que les entreprises qui se créent ne soient plus dépendantes de l’aide publique. Cela s’est produit trop souvent par le passé, mais ce n’est pas sain. Dans le futur, les subsides seront davantage fonction des résultats. Avant de continuer à aider des entreprises, elles devront nous démontrer qu’elles sont saines et qu’elles ont déjà atteint des résultats.
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