“A-t-on déjà insisté sur l’importance du stress chez l’entrepreneur?”
“Un jour, l’on est porté aux nues et le lendemain, l’on appelle sa maman en pleurs.” Xavier Damman et Jeremy Le Van donnent leur vision de l’entreprenariat et de la vie aux Etats-Unis. “Votre équipe est encore plus importante que votre idée.”
Jeudi matin, les entrepreneurs belges Xavier Damman et Jeremy Le Van étaient invités chez Belcham à New York, où ils ont pu narrer leur histoire à une délégation de 60 Belges en visite dans la Big Apple. L’entrepreneur en série Michiel Akkermans (notamment ex-Clear2Pay) était le modérateur du débat et posait les questions.
Xavier Damman est connu comme étant le cerveau de Storify, une plate-forme permettant de mettre en ligne des histoires sur base de messages, photos, vidéos, textes et médias sociaux. Ce jeune Nivellois, qui a gagné la Silicon Valley pour y tenter sa chance, a vendu sa start-up en 2013 à son homologue américaine LiveFyre.
Damman s’occupe aujourd’hui d’OpenCollective, une plate-forme ‘fintech’ permettant de collecter de l’argent de manière transparente, sans devoir créer une personne juridique. Qui dit fintech, dit évidemment aussi New York, ce qui explique que Damman a quitté San Francisco, il y a quelques semaines, pour s’établir à présent avec sa famille dans la Silicon Alley.
Pour sa part, Jeremy Le Van est le co-fondateur de Sunrise, une appli agenda innovante qui a été vendue en 2015 à Microsoft pour 100 millions de dollars. Le Van a travaillé un petit temps comme designer pour Foursquare à New York, mais décida très vite de créer une petite entreprise avec son partenaire Pierre Valade.
Avant que Sunrise ne soit absorbée par Microsoft, la petite entreprise avait pu récolter plusieurs millions auprès de quelques business angels et de capital-risqueurs bien connus. En 2015, la petite entreprise fut élue ‘Start-up de l’année’ par Data News.
Ci-dessous, vous trouverez un bref compte-rendu de la session chez Belcham.
Quel est le principal facteur menant au succès ou à une cession d’activité?
Jeremy Le Van: “Arriver avec la bonne idée au bon moment, avoir une bonne équipe et de bons investisseurs. Qu’il faille surtout avoir de la chance, je n’y crois pas. La chance, cela se provoque.”
Xavier Damman: “Je crois moi aussi que la chance peut être en partie provoquée. Plus on travaille, plus on progresse. Entreprendre, c’est aussi rencontrer les personnes adéquates. Cela demande des efforts, c’est certain. La seule façon de prendre une vague, c’est d’être dans l’eau, comme on dit ici.
Que représente un exit pour vous?
Xavier Damman: “Vendre son entreprise, c’est une expérience agréable, et dans les médias, un exit est de toute façon présentée comme l’objectif final, mais à mon avis, l’on crée une trop grande vogue autour du fait de quitter la scène. Il convient de se focaliser sur la création de quelque chose de sensé.”
Jeremy Le Van: “C’est bien de faire un exit. Les grandes entreprises ont besoin des start-ups pour leur technologie intéressante, et les start-ups aiment être absorbées par des acteurs plus importants. Il faut aussi tenir à l’oeil ce que font les acteurs en vue, tels Microsoft et Google, car eux aussi peuvent parfois enchaîner très vite. Dropbox éprouve ainsi des difficultés parce que Microsoft et Google se focalisent si intensément sur sa gamme ‘cloud’.”
“C’est évidemment fantastique de voir sa start-up devenir une grande entreprise, en ce compris une entrée à la Bourse, mais la vente a aussi ses avantages. Sunrise est maintenant intégrée à Outlook, ce qui fait que nous avons plus d’impact que nous n’aurions jamais pu imaginer et ce, à l’échelle mondiale.”
“D’autre part, je reconnais qu’il n’est pas facile de devoir se séparer de son enfant. Vous y pensez, y repensez et y repensez encore avant de vous décider.
Xavier Damman: “En tant qu’entrepreneur, il est malaisé d’aboutir dans une grande société. Subitement, vous devez travailler pour un patron, ce qui demande quand même un autre état d’esprit. Je ne me voyais pas le faire et ai donc rapidement entamé un nouveau projet.”
Jeremy Le Van: “J’ai eu la chance que chez Microsoft, je travaille sous les ordres de quelqu’un qui a lui-même eu une start-up. Il me comprend donc parfaitement. Mais je n’exclus pas non plus de redémarrer relativement rapidement quelque chose de nouveau.”
Comment considérez-vous le fait de recueillir de l’argent auprès de capital-risqueurs? Et comment jugez-vous la présence d’investisseurs dans votre conseil d’administration?
Xavier Damman: “Il y a de bons et de mauvais capital-risqueurs. J’ai des sentiments un peu partagés. Avec Storify, j’ai renoncé aux business angels et j’ai immédiatement recherché du capital-risque. Au cours des 18 mois passés à peaufiner notre produit, nous n’avons jamais vu un cent. Mais subitement, cela commence à marcher et alors, tout le monde fait la file. Au bout d’un mois, nous avions 2 millions sur notre compte.”
“Certes, les capital-risqueurs connaissent la musique, alors que vous, en tant qu’entrepreneur, vous devez encore apprendre à connaître les ficelles du métier. Il existe une certaine asymétrie dans la connaissance des start-ups, et mieux vaut en tenir compte. L’on est certes bien aidé par d’autres entrepreneurs. Dans la Silicon Valley surtout, le principe du pay it forward est une valeur en or.”
“J’ai cependant l’impression que les capital-risqueurs de la Valley ne tentent pas de vous leurrer, mais veillent à leur réputation. Vous pouvez parfois créer une très bonne relation avec eux, ce qui est quand même important, puisque finalement, it’s all about relationships.”
Jeremy Le Van: “Attention aux capital-risqueurs trop enthousiastes, qui essaient souvent de savoir certaines choses qu’ils transmettent à leur boss. Ne vous dévoilez donc pas trop vite. L’on observe aussi régulièrement que des capital-risqueurs débordent d’enthousiasme et que la valeur qu’ils attribuent à une entreprise, est trop élevée. Ce n’est bon pour personne.”
“Avec Sunrise, nous avons travaillé d’abord avec des business angels. Nous avons ainsi appris énormément de choses, ne serait-ce que par le fait qu’ainsi, vous rassemblez d’autres entrepreneurs autour de vous. Les meilleurs capital-risqueurs sont aussi ceux qui ont été eux-mêmes entrepreneurs autrefois.”
Vous avez habité tous deux à San Francisco et à New York. Quelles sont les grandes différences?
Xavier Damman: “La plus grande différence, c’est la météo (rire). A San Francisco, tout le monde se lève à 10 heures et l’ambiance est davantage bon enfant, alors qu’à New York, c’est constamment la course contre la montre.”
Jeremy Le Van: “Après un petit temps, j’avais fait le tour de San Francisco. C’est une ville formidable, mais la focalisation sur la technologie y est quand même étouffante. L’on y vit vraiment dans une bulle: tout tourne autour de la technologie, qui occupe tout un chacun. A New York, nous sommes des ‘underdogs’, ce que j’apprécie. Ici, nous devons encore démontrer que nous pouvons faire mieux que dans la Silicon Valley.”
“New York est aussi plus diversifiée que San Francisco. Elle concentre nettement plus d’industries différentes, comme la mode, l’alimentation, la publicité,… Grâce à cette diversité, NY est en train de connaître aussi un véritable boom sur le plan technologique.”
Xavier Damman: “San Francisco est comparable à un vaste campus universitaire. Et comme chaque étudiant le sait, il vient un moment où il faut quitter ce campus et regagner la vraie vie. Je peux vous assurer que tel est le cas à New York. Les différences entre New York et la Belgique sont aussi moindres que celles entre San Francisco et notre pays. La Valley est un monde complètement différent.”
Quel est le côté le plus agréable dans l’entreprenariat, et quel est l’aspect le plus difficile?
Xavier Damman: “Les entrepreneurs travaillent autour de leur passion, ce qui est formidable, you really feel alive. Le fait aussi que l’on voit un impact réel et que l’on puisse progresser rapidement, c’est stimulant. L’inconvénient, c’est qu’il y a des hauts et des bas. Un jour, vous êtes porté aux nues, et le lendemain, vous appelez votre mère en pleurs. L’on est aussi soumis à un stress constant. L’on en paie à coup sûr le prix.”
Jeremy Le Van: “Je travaille actuellement pour Microsoft et quand je compare cette situation avec la gestion de mon entreprise propre, c’est quand même tout à fait différent. J’éprouve plus de frustration chez Microsoft, parce que j’ai quelque part perdu une partie de ma liberté de pouvoir faire ce que j’ai envie de faire ou ce que j’estime bien. Entreprendre, c’est donc pour moi surtout un synonyme de liberté.”
“D’un autre côté, l’on insiste peut-être encore trop peu sur l’importance du stress chez l’entrepreneur. Tout le monde est-il bien conscient du prix à payer? Lancer une start-up, c’est agréable, mais cela exige surtout énormément de travail, sans compter la très forte pression. En outre, il faut continuellement tenir compte de tout. Rien que la façon dont vous traitez votre personnel, peut être déterminante.”
Recruter les personnes adéquates, c’est crucial. A quoi faut-il faire attention?
Xavier Damman: “C’est cela le plus compliqué, surtout si l’on déménage aux Etats-Unis car à moins que vous n’emmeniez avec vous une équipe de Belgique, vous ne connaissez personne. Il en résulte que vous devez souvent licencier du monde, ce qui est très dur. Vous ne mangez ni ne dormez pendant une semaine, lorsque vous devez vous séparer de quelqu’un. La gestion du personnel, c’est le plus difficile.”
Jeremy Le Van: “Chaque pion a son importance dans une petite équipe, tout le monde doit être productif. Si tel n’est pas le cas, il y a comme un problème. Consacrez donc suffisamment de temps dans l’engagement de votre personnel et recherchez un bon ‘co-founder’. Cela ne se fait pas en une semaine. A good team will survive a bad product idea, but a good product idea will never survive a bad team.”
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