Le gouvernement néerlandais a racheté une entreprise de puces électroniques en vertu d’une loi remontant à la… Guerre froide, rarement appliquée. De son côté, le gouvernement chinois a introduit une interdiction d’exportation. Que se passe-t-il donc chez Nexperia?
Début octobre, le gouvernement néerlandais est intervenu pour destituer le propriétaire de Nexperia, Zhang Xuezhen, comme nous l’avons signalé plus tôt cette semaine. Le gouvernement a invoqué une loi d’urgence datant de 1952, rarement utilisée, visant à garantir l’approvisionnement en biens essentiels aux Pays-Bas.
Le fondeur de puces néerlandais Nexperia devient une entreprise publique
Nexperia?
Nexperia est l’un des plus grands fondeurs mondiaux de composants électroniques. L’entreprise fabrique principalement des diodes et des transistors. D’origine néerlandaise, elle est issue d’une ancienne division du fondeur de puces NXP, lui-même autrefois filiale du célèbre géant technologique néerlandais Philips. Son siège social est toujours situé à Nimègue, mais le fabricant de puces possède des usines à Hambourg, à Manchester, en Malaisie, aux Philippines et à Dongguan, en Chine.
Nexperia emploie quelque 12.500 personnes dans le monde et réalise un chiffre d’affaires annuel de 2 milliards d’euros. En 2019, elle fut rachetée par Wingtech, le groupe du susmentionné Zhang Xuezhen, qui semble aujourd’hui en déclin.
Que s’est-il passé?
Début octobre, des membres du conseil d’administration de Nexperia se sont tournés vers le tribunal de commerce d’Amsterdam. Zhang Xuezhen, le directeur chinois de Nexperia, avait en effet révoqué en septembre les pouvoirs bancaires d’importants managers financiers, dont le directeur financier Stefan Tilger, conformément à une décision judiciaire. Il a alors mandaté des gens inexpérimentés, notamment une personne extérieure à Nexperia, pour gérer les affaires bancaires au nom de l’entreprise.
La Chambre néerlandaise des entreprises a jugé qu’il existait des motifs valables de douter de la bonne conduite de Zhang. Les juges l’ont notamment accusé de conflit d’intérêts. La Chambre des entreprises ordonna alors au fabricant de puces de passer d’importantes commandes auprès d’une entreprise en difficulté dont il était également propriétaire. Nexperia se vit ainsi forcée de commander pour 200 millions de dollars de plaquettes (‘wafers’) à WSS, une société de Wingtech. C’était 120 millions de dollars de plus que ce dont Nexperia estimait avoir besoin. Des messages internes indiquaient qu’une grande partie de ces plaquettes était destinée à la… poubelle.
Interdiction d’exportation
Zhang a réagi avec colère à cette mesure et a promis de solliciter l’aide du gouvernement chinois. Il semble que tel a été le cas. Le gouvernement chinois a entre-temps imposé à Nexperia une interdiction d’exportation hors de Chine.
Depuis le 4 octobre, Nexperia China et ses sous-traitants se voient donc interdire l’exportation de certains composants finis et autres produits semi-finis. Nexperia signale être en pourparlers actifs avec les autorités chinoises pour lever ces restrictions.
Ces négociations seront du reste partiellement menées par Stefan Tilger, l’ex-directeur financier de Nexperia, initialement écarté par Zhang. Tilger occupe désormais le poste de CEO ad intérim du fondeur de puces électroniques. La Chambre de commerce a également nommé Guido Dierick, ancien dirigeant de NXP, au poste d’administrateur non-exécutif de Nexperia.
Connexion chinoise
Outre une possible mauvaise gestion, la géopolitique semble également jouer un rôle dans cette affaire. Zhang lui-même a déjà évoqué dans les médias chinois des préjugés géopolitiques. Selon lui, le gouvernement néerlandais craignait que, sous sa direction, Nexperia ne délocalise prochainement ‘des processus commerciaux, des biens et des connaissances cruciaux’ hors d’Europe. Ce fut d’ailleurs la raison immédiate du recours à la loi d’urgence très inhabituelle. Cependant, des inquiétudes existaient depuis longtemps déjà concernant Wingtech, propriétaire chinois de Nexperia.
Le gouvernement néerlandais subit en effet des pressions, notamment de la part des Etats-Unis, pour que ses entreprises et produits de haute technologie ne tombent pas entre des mains chinoises. Cela est particulièrement vrai pour le fabricant de machines à puces ASML, qui joue un rôle crucial dans le secteur des puces, mais cela pourrait également affecter une entreprise moins spécialisée dans les technologies de pointe comme Nexperia.
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Afin d’éviter tout problème avec les Etats-Unis et l’Europe, Nexperia a en 2023 déposé une demande de reconnaissance en tant qu’entreprise néerlandaise auprès du ministère de l’économie. L’entreprise et le ministère avaient convenu à l’époque que Nexperia disposerait de son propre comité de commissaires pour superviser la protection de sa technologie, de ses données sensibles et de ses processus de production. Finalement, Wingtech et Zhang avaient rejeté la demande.
Les choses se sont encore davantage compliquées, lorsque la société-mère Wingtech fut placée sur une liste noire américaine fin 2024. Les juges affirment en tout cas que Zhang a également agi contre les intérêts de Nexperia à cet égard.
Affaire à suivre sans nul doute.