Bruno Segers
‘Crowdfucking: Vive la superficialité des investisseurs’
La rapidité et la superficialité sont les mots clés d’aujourd’hui. Bruno Segers le constate auprès des investisseurs : ‘Ne les laissons pas envahir les nombreux dossiers de financement participatif actuels’.
Herbert Marshall McLuhan est un philosophe et scientifique canadien qui s’est rendu immortel par sa phrase célèbre “The Medium is the message.” Il estimait en effet que les médias étaient le prolongement de l’esprit humain et influençaient d’une certaine manière à la fois l’individu et la société. Il divisait les outils de communication en ‘hot’ (à haute intensité, comme la radio et le cinéma) et ‘cool’ (faible intensité, comme le téléphone et la télévision). McLuhan considérait donc que le support de communication exerce une influence déterminante sur la signification d’un message. Aujourd’hui, personne ne remet en cause cette opinion : pour comprendre le monde actuel, il faut maîtriser les médias. Et désormais aussi Wikipedia, en somme l’Encyclopedia Britanica ou le Larousse de l’Internet.
‘Crowdfucking: Vive la superficialité des investisseurs’
Reste que peu de gens savent que McLuhan a parlé en 1959 déjà du ‘village global’, bien avant que l’on ne prenne vraiment conscience de l’avènement de l’Internet et du web mondial. Notre homme aurait certainement eu son avis sur les médias sociaux actuels. Les aurait-il classés face à la dualité hot/cool ou aurait-il imaginé une 3e catégorie ? Je penche plutôt pour cette seconde solution. A côté de ‘hot’ et ‘cool’, McLuhan aurait sans doute – par analogie avec le fast food – parlé de ‘fast media’. Car il s’agit désormais moins de médias sociaux que de médias rapides. Car la vitesse et la superficialité sont devenus déterminants dans la société actuelle.
La chinisation d’Eandis
Dans Data News du 18 mars dernier, je faisais de ‘chinisation’ un candidat au ‘Terme ICT de l’Année’, mais je ne suis pas parvenu à trouver qui a été le premier voici quelques semaines à twitter à propos d’Eandis et des Chinois. Subitement, on a vu déferler des opinions sur le pourquoi et le comment du réseau électrique en Flandre. Bref, tout le monde s’est senti concerné par le fil électrique à la maison et l’ampoule qui éclaire son bureau. Du coup, certains se sont pris pour une lumière et ont estimé être en droit d’émettre une opinion plus ou moins “éclairée” sur la pertinence ou non d’un investissement chinois dans le réseau flamand. Je n’ai nullement la prétention de me prononcer sur le fond de l’affaire, mais l’analogie avec la paille et la poudre me vient à l’esprit. A l’avenir, il est probable que les Chinois détiennent 14 % du réseau électrique et qu’ils s’assurent de toucher chaque année 14 % des bénéfices à distribuer. Faut-il encore rappeler ici que les digipolistes américains (cf. Data News du 15 avril 2016) exploitent depuis des années pratiquement gratuitement les réseaux de téléphonie, les réseaux câblés et les réseaux sans fil exploités par nos opérateurs télécoms et qu’ils transfèrent chaque jour des millions de revenus publicitaires pratiquement sans impôts de notre économie locale vers des paradis fiscaux ? Tout profit pour leurs actionnaires, tandis que la société belge se contente de regarder et de s’appauvrir. Quand ce débat viendra-t-il enfin sur la place publique en toute connaissance de cause plutôt que d’assister à ces discussions stériles autour d’Eandis ?
Se méfier de la rapidité et de la superficialité
De même, ne nous laissons pas envahir par la vitesse et la superficialité dans les nombreux dossiers de financement participatif actuels. Il y a des sommes considérables sur les carnets d’épargne, alors que ceux-ci ne rapportent pratiquement plus rien. Mais que se passe-t-il lorsque banquiers et entrepreneurs se rencontrent par présentations PowerPoint interposées ? Les projets business sont aujourd’hui présentés dans des PowerPoint et suivis dans des tableurs. C’est donc un défi majeur pour les investisseurs potentiels d’investir de la bonne manière dans les bonnes initiatives. Je conseille dès lors à tout crowdfunder de s’inspirer d’abord de Warren Buffett et d’autres investisseurs à succès plutôt que de prendre une décision émotionnelle sur base d’une présentation sexy et de quelques transparents chiffrés. Lernout & Hauspie fut voici quelques années du crowdfunding avant la lettre, mais le dossier judiciaire n’est pas bouclé. Certains investisseurs de la première heure dans L&H se sentent floués – à juste titre ou à tort – et parlent désormais de crowdfucking. Ce qui nous vaut ce nominé au titre de #TermeICTdelannee pour ce mois-ci : crowdfucking. Vive la vitesse et la superficialité !
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