Créateurs indépendants de jeux: mini-jeux, maxi-business!
Voici une dizaine d’années, des éditeurs indépendants de jeux ont commencé à s’opposer aux ambitions démesurées de leur secteur et en sont revenus à des productions plus petites et commercialisées par leurs propres soins via une distribution numérique. Mais le succès fut tel qu’ils ont – à nouveau – décidé de se professionnaliser et de travailler à plus grande échelle.
L’histoire s’est répétée à plusieurs reprises ces 10 dernières années dans le secteur des jeux vidéo : des éditeurs indépendants de jeux qui en avaient assez des grands éditeurs du style Electronic Arts, Activision ou Ubisoft, et ont décidé de bricoler leur propre jeu pour constater à leur grande surprise qu’ils parvenaient ainsi à gagner pas mal d’argent. Peu après la percée du circuit indie (pour ‘independent’, comme ce fut le cas dans le secteur du film et de la musique), les premiers multimillionnaires indie ont commencé à faire fortune. Des jeux comme Braid (2008), Super Meat Boy (2010) et Minecraft (2011) ont fait de leurs créateurs des personnalités établies. Et ce, pour la simple et bonne raison que, tout comme leurs prédécesseurs des années 1980, ils avaient osé se lancer à nouveau (et avaient par ailleurs trouvé le climat propice) sur le coin d’une table et avaient commercialisé leurs jeux directement vers le consommateur final via de nouveaux canaux de distribution numériques.
Entre-temps toutefois, ce petit segment du secteur du jeu vidéo s’est également professionnalisé en profondeur : des entreprises comme l’américain Devolver Digital, la française Focus Interactive ou la néerlandaise Gambitious proposent un support qualitatif en termes de marketing et de distribution, et investissent une partie non-négligeable de leurs revenus – tout comme Electronic Arts ou Activision le font pour les titres phares – dans des productions et dans des budgets en croissance constante.
Budgets en hausse
Les premiers titres indie coûtaient encore des dizaines de millions d’euros en production, essentiellement au niveau des coûts générés par les développeurs eux-mêmes pour payer par exemple des graphistes ou des musiciens. S’ils faisaient en général eux-mêmes le travail de développement et de conception, ils sous-traitaient d’autres éléments. Mais ce modèle s’est désormais totalement modifié, 10 ans à peine après l’émergence du mouvement indie. Les jeux indie sont devenus un succès : les téléchargements sur les magasins de jeux vidéo en ligne tels que Steam, Xbox Live et PlayStation Store, lesquels sont essentiellement supportés par des titres indépendants, génèrent chaque année quelque 10,5 milliards € de chiffre d’affaires, soit près de la moitié des ventes des grands éditeurs de jeux du canal de la distribution.
Et cet élément impacte également les exigences de qualité fixées désormais aussi aux jeux indie. Ainsi, le nombre de développeurs qui travaillent sur un jeu indépendant peut à nouveau dépasser plusieurs dizaines, tandis que les budgets de certains jeux se comptent en centaines de milliers d’euros. En dépit du succès de campagnes Kickstarter et du fait que certains développeurs veuillent toujours travailler eux-mêmes via un prêt bancaire, ces budgets sont à nouveau toujours plus absorbés par des acteurs externes, qui s’occupent à nouveau de marketing et de développement commercial. Les petites marques comme Devolver Digital, Focus Home Interactive, BigBen Interactive et Gambitious, ont vu le jour ces dernières années ou ont étendu leurs activités de base pour aider les studios indie à commercialiser leurs produits. Entre-temps, ils ont édité des titres à succès tels que Hotline Miami, Not a Hero et Hard West.
“C’est une bonne chose que de voir apparaître des acteurs qui encadrent les studios, explique Paul Hanraets, cofondateur de la maison d’édition américano-néerlandaise Gambitious. De nombreux fabricants de jeux le demandent d’ailleurs afin de se concentrer sur le développement et s’occuper le moins possible du marketing. Par ailleurs, il y a aujourd’hui beaucoup de titres indie sur le marché comparé à voici 5 ans par exemple, d’où la nécessité de se mettre en avant. Cela dit, la créativité demeure importante dans le secteur du jeu : tant que la prochaine réunion de marketing n’imposera pas ce que doit devenir le prochain jeu, le secteur restera très sain, à mon avis.”
Les grands
L’évolution la plus récente est que les indies sont désormais récupérés par de grands groupes vidéo, après avoir rencontré un succès précoce. Du coup, ceux-ci peuvent générer des revenus supplémentaires pour compenser leur absence de créativité : celui qui a peu à peu construit ces 2 dernières décennies dans un cycle anti-risque des sequels et de nouvelles éditions de titres vidéo existants peut à nouveau disposer de méga-budgets de dizaines de millions d’euros.
Tout a commencé avec les propriétaires de consoles Sony et Microsoft qui ont permis, dans leur magasin de téléchargements des consoles PlayStatation 4 et Xbox One, de rendre les titres indie un peu plus accessibles. L’américaine Electronic Arts a par ailleurs lancé récemment la sous-marque EA Originals, sous laquelle elle compte commercialiser à l’avenir des jeux créés par des indépendants. Son pendant Activision a, pour la même raison, redynamisé la marque Sierra, laquelle a connu pas mal de succès dans les années 1980 et 1990 et a été reprise dans le cadre d’une fusion, et a d’ailleurs entre-temps lancé quelques petits succès comme Geometry Wars 3. De son côté, Square Enix a dévoilé voici quelques mois son Square Enix Originals, un programme indie dans lequel l’éditeur nippon propose des services à la carte, comme un contrôle de qualité, du marketing et du financement jusqu’à même 300.000 $ par projet. “Dans certains cas, il s’agit même de licences sur de la propriété intellectuelle dormante, explique Phil Elliot, chef de projet chez Square Enix Originals. Cela a même déjà permis de mettre la main sur un développeur indie qui avait une bonne idée pour notre série Fear Effect qui dormait dans un tiroir depuis 15 ans déjà.
Un certain nombre de fabricants indépendants de jeux ne s’inquiète guère de ces ‘manoeuvres’ des grands éditeurs de jeux, alors que d’autres s’en félicitent précisément. L’indépendance est une bonne chose, mais encore faut-il vivre. “J’ai lancé mon jeu d’abord sur la plate-forme Sony car c’était la seule société qui voulait me verser un acompte sur mes coûts, ce qui m’a permis de finaliser le développement, confie Thomas Happ, qui a construit son jeu indie Axiom Verge tout seul, y compris la musique et le graphisme. De très nombreux indies essaient de vivre le plus chichement possible pour terminer leur jeu. Mais j’avais un emploi fixe dans le développement de grands jeux célèbres et je devais pouvoir conserver mon train de vie actuel durant un an au moins alors que je terminais mon jeu.”
Le secteur africain de l’indie puise dans ses traditions ancestrales
Les jeux vidéo développés par les studios indépendants en Afrique sont souvent articulés autour de thèmes et d’imaginaires qui s’ancrent dans la culture locale des éditeurs de jeux. C’est le cas de Cross Dakar City dans lequel le joueur doit aider un personnage à traverser plusieurs couches de routes et d’autoroutes. “Le trafic dans les rues de Dakar est mortellement dangereux, explique Ousseynou Khadim Beye, concepteur du jeu. Mon objectif était précisément de sensibiliser les joueurs à cet aspect.”
A l’instar des jeux vidéo européens et américains, les titres développés en Afrique affichent leur propre identité culturelle, avec des thèmes chers à leur concepteur. C’est ainsi que dans Aurion : Legacy of the Kori-Odan, en cours de développement auprès du studio Kiro’o au Cameroun, on retrouve une épopée fantastique inspirée des séries de jeux comme Final Fantasy, même si la fantaisie finale s’inscrit dans les racines locales. “Nous voulons créer un genre totalement nouveau, basé sur une vision ‘fantastique’ des traditions africaines”, précise le fondateur du studio, Olivier Madiba, dans une interview au site d’actualités Journal du Cameroun.
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