” C’était une période formidable pour nous “
Suite à un rachat surprise, il finit par travailler dans l’entreprise de son frère. Ensemble, ils ambitionnaient de défier Proximus. Onze ans et de nombreuses reprises plus tard, il se trouve à la tête d’une entreprise cloud faisant des dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires et également active aux Pays-Bas. Daan De Wever sait ce qu’il veut.
Daan De Wever est l’ICT Personality of the Year de Data News. Il mérite cette récompense pour son esprit entrepreneurial et la croissance spectaculaire de Destiny, mais aussi pour son ambition qu’il affiche fièrement. Cela dit, force est de reconnaître que ce succès, il le doit également à son jeune frère Samuel. ” La reconnaissance dont je bénéficie aujourd’hui avec cet ‘award’ lui appartient également “, confie-t-il. Avec plusieurs personnes clés, il a transformé Destiny d’une société opérant dans une chambre à coucher en un groupe réalisant plusieurs dizaines de millions de chiffre d’affaires.
Comment un diplômé en gestion de la construction arrive-t-il dans les télécoms ?
DAAN DE WEVER : Je n’ai décroché ce diplôme qu’après mes premières expériences professionnelles. J’ai arrêté mes études et j’ai commencé à travailler chez Betonac, aujourd’hui BIM, où j’ai appris le métier de topographe. Mais l’absence de diplôme m’a handicapée et j’ai recommencé à étudier par moi-même à l’université.
Entre-temps, mon frère Samuel avait commencé chez Belgian Network Solutions, Benesol. A l’âge de 15 ans, il était dans le même état d’esprit que Jonas Dhaenens : il voyait émerger l’Internet et voulait faire quelque chose dans ce domaine. Benesol commencer à développer des sites Web qui avaient une allure très internationale, alors qu’ils étaient conçus dans une chambre à coucher d’enfant. C’est ainsi qu’est née l’idée de collaborer et de les encadrer en tant qu’entrepreneur. Ne serait-ce que parce qu’à leur âge, il leur fallait encore un chauffeur.
A l’époque, vous n’étiez pas encore entrepreneur vous-même ?
DE WEVER : Si, j’avais commencé à l’âge de 15 ans en organisant des fêtes dont certaines sont finalement devenues parmi les plus grands événements de dance du Brabant flamand, notamment au Brabanthal et au Roosenberg. Nous sommes assez rapidement passés de la location de quelques serveurs aux Etats-Unis à un petit site de colocation aux Pays-Bas. Ensuite, nous avons commencé à installer des baies chez Interxion à Zaventem et, sans vraiment nous en rendre compte, nous avons disposé de nos propres emplacements pour faire du transit IP et de la colocation. C’est alors que le lien s’est établi avec ce qui est aujourd’hui Destiny.
S’agissait-il alors d’une activité à temps plein en parallèle avec vos études ?
DE WEVER : Il s’agissait d’une activité complémentaire. J’étudiais encore et je travaillais de temps à autre comme consultant pour Betonac. Mais Samuel et moi habitions encore à la maison, ce qui nous permettait de réinjecter directement l’argent gagné dans nos activités.
C’était aussi l’époque où les centres de données étaient encore vides. A 18 ans, Samuel a visité le centre de données de Verizon à l’avenue Culligan, lequel offrait pas mal d’espace vide. Le vendeur pensait qu’il voulait acheter une petite baie, ce sur quoi Samuel lui a répondu que comme c’était vide, il achetait la totalité. En un an, nous avions rempli 100 baies.
Comment avez-vous fait pour vendre ce que Verizon ne parvenait pas à faire ?
DE WEVER : Le marché était en plein boom, mais Verizon ne se concentrait pas sur le marché de la colocation. Tous les hébergeurs venaient acheter chez nous.
Voilà pour Benesol, mais comment en êtes-vous arrivé à Destiny ?
DE WEVER : C’était surtout Samuel qui s’occupait à l’époque de développer Benesol. Pour ma part, j’avais lancé en 2004 Infranea en collaboration avec Johan Cuppens, une société spécialisée en BIM ou ‘business information modelling’.
Mais à l’été 2008, nous avons franchi le pas avec la faillite du fournisseur d’accès Internet E-Leven. Quelques mois auparavant, nous avions déjà été sollicités pour financer l’entreprise, mais notre comptable nous l’a alors fortement déconseillé. Suite à la faillite, les choses se sont accélérées. J’étais en rando au Maroc lorsque Samuel m’a téléphoné pour me demander s’il devait remettre une offre. Tout devait aller très vite puisque Proximus était sur le point de couper toutes les lignes de leurs clients, comme Dommel l’a récemment vécu.
En fait, nous ne savions pas à l’époque dans quoi nous nous engagions. Nous avions repris les actifs et les clients, mais pas le personnel. Et pas non plus les mots de passe des routeurs. Nous ne savions même pas qui était encore client. Mais ils avaient de l’infrastructure dans de nombreux ‘exchanges’ locaux de Proximus, ce qui nous permettait d’activer notre propre technologie. C’est ainsi que Destiny est née.
Estimez-vous après coup qu’il s’agissait quand même d’une bonne affaire ?
DE WEVER : Je n’oserais pas dire que c’était une bonne décision, mais c’était chaud. Nous avions acheté une entreprise qui perdait 100.000 a par mois après avoir renégocié avec les fournisseurs. A l’époque, j’ai décidé de quitter Infranea et de m’investir dans l’entreprise. Mais vu la situation à l’époque, nous étions virtuellement en faillite après 4 mois.
A l’automne 2008, nous avons recherché de l’argent frais, peu après la faillite de Lehman Brothers aux Etats-Unis. Dans le même temps, nous devions procéder à un grand nettoyage et même entrer par effraction dans les équipements réseau que nous avions racheté au curateur. Heureusement, nous avons pu à l’époque transférer plusieurs bons ingénieurs de Benesol vers Destiny. Nous avions également mobilisé différentes personnes dans notre entourage, notamment pour s’occuper du service clientèle car de nombreux clients se posaient des questions sur la faillite. C’était une période délicate, mais nous avons réussi avec un peu de chance et de hasard.
Comment s’est passé le premier financement ?
DE WEVER : Nous avons commencé le ‘pitching’ en janvier 2009 pour le terminer en décembre. Mais avec une perte de 100.000 a par mois, le bilan était à l’époque dans le rouge de 1,2 million a.
Nous avons eu de la chance par deux fois. J’étudiais à l’époque à la Vlerick et j’ai rencontré un soir le ‘country manager’ de Leasing Belgique. Il a été séduit par notre idée de devenir un challenger sur le segment milieu de gamme des télécoms et s’est montré disposé à mettre en place une opération de ‘sale-and-lease-back’ pour notre infrastructure à hauteur de 600.000 a. Dans le même temps, je suis entré en contact avec quelqu’un d’ING qui était disposé à nous prêter 500.000 a. Notre plan financier était ficelé, mais à la fin 2009, nous avons épuisé toutes nos réserves pour payer les salaires. Heureusement, nous avions à l’époque finalisé notre tour de table financier avec notamment ING Activator Fund, la famille Van Canneyt (Unilin/Quick Step) et Sherpa, un fond d’investissement bruxellois.
Nous avions acheté une entreprise qui perdait 100.000 ? par mois après avoir renégocié avec les fournisseurs. Nous n’avions même pas les mots de passe des routeurs.
Est-ce l’époque où vous avez recruté Marc Destrée ?
DE WEVER : Pratiquement, nous n’avons engagé juste avant le ‘closing’, en mai 2009.
A-t-il été facile de recruter un CEO extérieur ?
DE WEVER : Samuel était jeune et très technique. Moi-même, je venais d’un tout autre secteur, mais nous avions l’ambition de défier Proximus. Il valait donc mieux engager une personne d’expérience qui pouvait s’asseoir à notre table. Après coup, il s’agissait d’un coup de génie. Marc est un génie visionnaire et tout à la fois charismatique. Il m’a appris à regarder le métier et j’ai d’ailleurs fait mien son slogan ‘Don’t miss your opportunity’. Dès lors, nous avons commencé à connaître une très forte croissance, même si nous restions sur le même segment, à savoir les PME qui sont souvent négligées par les grands acteurs et à qui nous voulions apporter une valeur ajoutée.
Si nous nous implantons en France, nous rechercherons peut-être une entreprise qui soit plus grande que nous.
Début 2015, vous devenez CEO après le retrait de Destrée pour cause de maladie. Etait-ce le bon moment pour vous ?
DE WEVER : En fait, il s’agissait précisément du moment idéal. Marc avait apporté énormément tant à moi qu’à mon frère. Il est parti alors que nous faisions un chiffre d’affaires de 10 millions a et j’étais prêt. Ma première mission a été d’attirer de nouveaux investisseurs. Depuis lors, j’ai dirigé personnellement toutes les reprises.
Continuez-vous à vous confiner au segment milieu de gamme ? Ou Destiny va-t-elle à terme desservir aussi le marché des entreprises ?
DE WEVER : Nous nous en tenons vraiment au marché du milieu de gamme. Certes, nous touchons aussi le bas du marché, mais pas les entreprises. Cela nécessite de discuter trop longtemps, les processus de décision sont très longs, la procédure d’achat est totalement différente. Mais dans notre segment, nous nous positionnons comme un challenger et sommes devenus incontournables.
Et le B2C ? Dommel par exemple.
DE WEVER : Pas non plus.
L’accent n’est désormais plus mis purement sur les télécoms.
DE WEVER : Nous avons commencé par de la connectivité ‘plate’. Puis nous avons ajouté des éléments comme la voix, la communication cloud, l’infrastructure cloud, la sécurité, etc. Et un peu par hasard, la couche de télécoms reste présente.
Ces 3 dernières années, nous avons à nouveau remis à plat notre stratégie : comment rendre la technologie facilement accessible pour l’utilisateur final. En fait, l’on devient alors, à l’instar d’Amazon, une plate-forme de ‘delivery’ qui permet d’embarquer très rapidement une nouvelle technologie, de proposer des offres combinées dans une optique de plate-forme. Cette optique était déjà dans nos esprits lors de la reprise de Motto Communications.
Lors de cette annonce, vous vous êtes montré très enthousiaste à propos de leur plate-forme Flux. Etait-ce dans ce cadre ?
DE WEVER : Cela fait 3 ans que nous discutons avec Motto, ce qui nous permet de les connaître, de comprendre la mécanique de Flux et d’envisager maintenant l’intégration de nos plate-formes. Flux est une sorte d’Amazon pour les télécoms et les services IT. Certes pas avec des milliers de produits, mais qui permet de proposer rapidement des offres combinées. Par rapport à ce que nous avons en portefeuille, Proximus a au moins autant de technologies. Mais ils n’arrivent pas à les mettre sur le marché aussi rapidement que nous. Un opérateur en place fait également face à un héritage énorme de ‘frameworks’, ce qui l’empêche d’être rapide et agile.
N’y a-t-il pas là un risque pour Destiny ? Plus vous faites de rachats et augmentez vos effectifs, plus vous perdez en flexibilité.
DE WEVER : Non, notre matrice organisationnelle est vitale. Nous avons une stratégie post-acquisitions et une structure de plate-forme. Cela nous donne beaucoup de flexibilité. Tous les rachats sont totalement intégrés. La marque Motto sera entièrement refondue, tandis que nous finalisons encore deux autres reprises aux Pays-Bas, après quoi le puzzle Destiny sera complet aux Pays-Bas. Il s’agit d’une approche ‘buy and build’ où il ne s’agit pas uniquement de racheter, mais de veiller à s’inscrire dans le puzzle que nous créons. Le défi majeur pour rendre un rachat durable consiste à se séparer le plus rapidement possible de l’héritage. Si l’on rachète 5 sociétés, on se retrouve avec 5 systèmes d’appels d’offres, 5 systèmes de support, 5 CRM, etc. Tout l’art consiste à s’en défaire le plus rapidement possible afin de devenir agile.
Quelle est la suite après les Pays-Bas ?
DE WEVER : Nous regardons de très près le marché français où nous sommes en discussions avec différents acteurs. Ce marché est en phase de consolidation, l’opérateur en place ne travaille pas bien et le taux d’adoption est faible. C’est donc le moment idéal d’y pénétrer. L’Allemagne est un marché plus difficile et il est prématuré de l’envisager. Deutsche Telekom est perçu comme une valeur sûre, certes pas extrêmement innovant, mais fiable. En outre, le comportement d’achat est très différent entre l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest. Autant d’éléments qui compliquent une entrée sur ce marché. Si nous nous implantons en France, nous ne rechercherons pas une entreprise de 2 millions a. Il se peut même que nous rachetions une entreprise qui soit plus grande que nous. L’objectif est de frapper un grand coup.
Le défi majeur pour rendre un rachat durable consiste à se séparer le plus rapidement possible de l’héritage.
Quid si un repreneur se manifestait ?
DE WEVER : C’est totalement impensable pour le moment. Même pour un montant phénoménal.
L’an dernier, Destiny a terminé sur un chiffre d’affaires de 42 millions a. Quelles sont vos ambitions ?
DE WEVER : Pour l’instant, nous voulons pénétrer de 2 à 3 nouveaux marchés et visant à un horizon de 3 à 5 ans un chiffre d’affaires de 150 à 200 millions a. Avec ces rachats, nous allons arriver entre 65 et 70 millions a pour 210 collaborateurs. Si nous réalisons cette année les bons rachats, nous pourrions même potentiellement arriver à quelque 100 millions a.
Arrivez-vous à tout combiner ? Continuer à apprendre, faire évoluer une société d’une chambre à coucher à une multinationale et élever entre-temps vos enfants.
DE WEVER : C’est parfois un casse-tête personnel, surtout que je recherche précisément un bon équilibre. Notre génération est à cet égard davantage consciente du problème. C’est une quête permanente, mais je pense que je parviens assez bien à trouver cet équilibre. Il arrive certes que je ne vois pas mes enfants l’un ou l’autre soir, mais je compense en les emmenant à l’école le matin. Et je ne travaille pas le week-end, ou du moins j’essaie. Finalement, on a des enfants pour les voir grandir. Mais ce n’est pas facile, certainement avec l’internationalisation de la société.
A cet égard, il est important de s’entourer des bonnes personnes. Joachim [Lauwers, NDLR] assume désormais l’entière responsabilité sur l’entité belge. Point final. Vendredi dernier, nous avons eu une réunion d’entreprise dans laquelle je n’ai personnellement pas pris la parole. C’est un luxe de pouvoir bâtir une société et d’en confier certains éléments à des personnes qui osent prendre leurs responsabilités.
Si je vous comprends bien, vous désirez surtout intervenir au niveau stratégique.
DE WEVER :Effectivement, de même que participer aux opérations de rachat. Mais je souhaite aussi que chacun puisse entrer dans mon bureau. On en apprend plus sur son entreprise dans les couloirs que dans les réunions. Cela ne signifie pas que l’opérationnel ne m’intéresse pas, mais que je dois me concentrer sur le long terme, sur la feuille de route stratégique, sur les batailles qu’il faut remporter pour faire la différence. Chez Motto, j’ai provisoirement pris en charge l’opérationnel pour apprendre à connaître le marché néerlandais, mais c’était pour une période de 3 mois.
Envisagez-vous donc à terme un autre rôle que celui de CEO ?
DE WEVER : Bon dieu, que faut-il entendre vraiment par CEO ? Quelqu’un comme Jonas Dhaenens de Combell n’est désormais plus en charge de l’activité quotidienne. Ce à quoi il faut veiller, c’est la culture d’entreprise, sur l’intégration post-acquisition, sur la gestion des ‘stakeholders’. Le moment où un nouvel investisseur se présentera n’est pas loin. Il faudra alors concrétiser les promesses faites sur papier.
Est-il plus facile d’entreprendre aujourd’hui qu’il y a 10 ans ?
DE WEVER : Le contexte est totalement différent. Je ne sais pas si je voudrais aujourd’hui tout recommencer à zéro. A l’époque, je me suis présenté en personne dans des entreprises et j’ai pris mon téléphone. Les premières années se passent en mode de survie totale : veiller à avoir une raison d’exister et être rentable. Aujourd’hui, il est possible de penser de manière totalement différente en matière de gestion et d’avoir davantage de moyens. Désormais, nous savons que cette raison d’exister est présente et tout est une question d’exécution et de fixer ses ambitions. De même, il est possible de définir la vitesse à laquelle on veut aller. Mon rôle représente maintenant un défi plus important et différent. C’est une période formidable pour nous.
Si nous réalisons cette année les bons rachats, nous pourrions même potentiellement arriver à quelque 100 millions ?.
Vous avez déjà vécu des périodes très différentes et vous êtes à la tête d’une société en forte croissance depuis quelques années déjà. Que vous reste-t-il à accomplir ?
DE WEVER : Peut-être encadrer une start-up africaine. J’ai régulièrement été en rando en Afrique. Ma femme y a également travaillé et son rêve, et en partie ma promesse de mariage, est d’y retourner un jour.
A moyen ou à long terme ?
DE WEVER : Je n’ai pas fixé d’agenda. Nous avons encore de jeunes enfants scolarisés. Ce que nous accomplissons aujourd’hui avec Destiny est fantastique et je resterai donc à bord dans les prochaines années. Mais serais-je encore CEO dans 20 ans ? Aucune idée. Aussi longtemps que je m’amuserai, je continuerai.
En short chez Proximus
La création de Destiny en 2008 est suivie de près par le rachat d’E-Leven en faillite. Pour poursuivre ses activités en télécoms, Samuel De Wever devait décrocher un contrat avec Proximus. A l’époque, celle-ci avait perdu 2 millions a avec E-Leven. ” Samuel avait alors 20 ans et en paraissait 17. Il s’est rendu par une belle journée d’été chez Proximus en short, baskets et t-shirt rouge quelque peu défraîchi affichant le slogan ‘Smack my bitch up’. Une fois entré chez Proximus, il fut dirigé en haut de la tour dans une salle où se trouvaient 9 personnes, toutes spécialisées en juridique et ‘wholesale’. C’est alors qu’il s’est aperçu qu’il aurait sans doute dû acheter un costume. ”
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