Jack Hamande (SPF BOSA): ‘Nous avons oublié d’être fiers’

Jack Hamande © Emy Elleboog
Marc Husquinet Rédacteur de Data News

A la tête de l’entité Simplification et Digitalisation du BOSA, Jack Hamande entend faire converger simplification et numérique. Comment ? En misant sur les écosystèmes et le déploiement des services.

Vous arrivez chez BOSA voici près de deux ans avec un CV où la convergence fait office de fil rouge. Expliquez-nous.

JACK HAMANDE: À mes débuts chez Walt Disney en 93, notre volonté était déjà de dématérialiser le monde et d’envoyer du contenu sur les réseaux pour que les utilisateurs puissent les consommer comme on le fait aujourd’hui avec les smartphones. Plus tard chez AT&T, nous avons misé sur l’internet grand public à une époque où beaucoup étaient très sceptiques. Puis chez WorldCom, la vision était que la fibre optique deviendrait omniprésente, avec du très haut débit, de l’IP et des datacenters pour faire du Software-as-a-Service, ce que l’on appelle aujourd’hui le cloud. Nous avions alors des rêves de dessiner le futur, rêves qui se sont d’ailleurs ensuite réalisés. C’est à l’époque que nous avons hébergé dans nos datacenters de « petites sociétés » qui sont devenues eBay et Amazon.

C’est à cette même époque qu’est apparue la vraie convergence, indispensable pour créer de la valeur dans le digital et dans les communications électroniques. En effet, l’application attire de l’utilisation tandis que le réseau facilite l’accès et le déploiement des applications.

J’ai donc eu la chance dans ces différentes sociétés de pouvoir contribuer à dessiner le futur et de créer le monde que l’on connaît aujourd’hui. J’ajoute que lorsque nous avons déployé l’Ethernet, nous avons demandé aux opérateurs européens traditionnels d’interconnecter leurs réseaux IP et Ethernet, ce qui leur paraissait farfelu, mais s’impose désormais comme un standard

Quelles sont les missions de l’entité désormais baptisée ‘Simplification et digitalisation’, ex- Digital Transformation ?

HAMANDE: Pour déployer le digital, il faut simplifier et avoir une connaissance des fondations est indispensable, un peu comme pour la construction d’une maison. Cette connaissance des interdépendances permet de faire trois choses : comprendre l’existant, identifier les partenaires et l’écosystème, et enfin identifier les besoins et déterminer les engagements à prendre en termes de bande passante, de qualité de service, de besoins applicatifs, d’infrastructure sous-jacente sous forme de collaboration avec les opérateurs. Au SPF BOSA, nous servons des milliers d’entreprises, les milliers d’institutions publiques et des millions de citoyens, ceci en collaboration avec nos partenaires et clients, qu’il s’agisse des opérateurs privés ou des partenaires publics. Le rôle du régulateur est aussi essentiel : il doit aussi être un facilitateur pour permettre aux opérateurs de se développer et d’innover afin de développer un environnement propice à l’utilisation de services digitaux. Pour mener à bien notre mission, il est donc essentiel de comprendre non seulement les infrastructures de base, mais aussi les couches supérieures.

« Mon message au secteur privé est : travaillons ensemble afin de de développer de nombreuses applications, et utilisons-les ! »

Prenons l’exemple de Tax-on-Web. L’application envoie des messages de notification par le biais de MyMinFin adressés à des millions de citoyens via l’eBox de BOSA et les messageries. Pour ce faire, nous collaborons avec les plateformes des opérateurs et l’IBPT pour les avertir des pics de trafic avec utilisation d’adresses IP. En l’occurrence, il s’agit non seulement d’envoyer des messages, mais aussi de prévoir des capacités suffisantes dans toute la chaîne du réseau aux plateformes. Avec comme but final d’avoir une meilleure expérience client et satisfaction client.

Jack Hamande © Emy Elleboog

En fait, réussir le monde digital implique de réussir tous ensemble, tout l’écosystème et toute la chaîne. C’est ainsi que je plaide pour que les opérateurs aient des facilités pour déployer leur réseau, ce qui sera tout bénéfice pour les applications.

De même, le digital nécessite une simplification des processus et/ou une élimination de certains d’entre eux pour assurer que le digital reste « simple ». Notre mission est désormais triple. D’abord, être un grand opérateur parmi d’autres, comme nos collègues la Smals ou la Chancellerie, avec lesquels nous collaborons au quotidien. Nous devons dès lors garantir le bon fonctionnement des plateformes numériques comme CSAM. Il faut savoir par exemple que 8 millions de citoyens sont actifs sur CSAM. On parle de 3.000 à 10.000 connexions uniques à la minute pour l’authentification, soit un cap de 350 millions d’authentifications sur base annuelle. De même, si un citoyen se connecte sur la plateforme de sa commune ou de la région pour demander un document, par ex. une composition de ménage, il faut passer par un intégrateur de services, à savoir une plateforme de convergence. Au fédéral, on en compte deux – nous et la Santé –, tandis que les régions et communes en disposent aussi pour assurer l’accès aux sources authentiques. Nous sommes passés de 800 millions de messages à 1,5 milliards de messages échangés entre 2021 et 2024. Ce doublement prouve que la collaboration avec les institutions publiques et les intégrateurs de services a été intensifiée et que l’adoption par le citoyen est optimale.

Autre exemple : MyeBox qui est passé de 2,5 millions de citoyens à 3,5 millions aujourd’hui qui ont activé MyeBox, soit en moyenne 30.000 citoyens qui activent leur eBox chaque mois. De même, nous hébergeons plus de 230 sites Web d’une grande partie du Fédéral, soit 400 millions de pages vues par an. Autre chiffre : 40.000 entreprises sont connectées à nos systèmes de facturation électronique ou d’e-procurement pour les marchés publics.

Bref, BOSA est avant tout une grande opération avec 8 millions de clients, ce qui est comparable en nombres aux grands opérateurs tels que Telenet, Orange ou Proximus que je connais bien.

Quels sont vos effectifs pour faire tourner cette gigantesque machine ?

HAMANDE: Nous sommes 108 personnes permanentes, sans compter les sous-contractants pour les développements. Les équipes font un travail exceptionnel. Nous cherchons et recrutons de nouveaux talents avec différents types de profils en gestion de projet, juridique ou technique, notamment le développement, notre volonté étant de disposer de plus de compétences en interne, et en développant toujours nos collaborations avec les experts externes, pour rester à la pointe de l’innovation. Nous attirons de nouveaux talents de trois manières : en mettant en place un environnement pécuniaire conforme au marché, en proposant un environnement de travail riche et qui touche à de nombreux domaines, et en offrant des missions sociétales et particulières, en sécurité notamment. Nous travaillons d’ailleurs beaucoup sur notre image.

Quels sont les projets en cours et à venir ?

HAMANDE: Au-delà de notre rôle d’opérateur, nous développons de nouveaux produits et services. Je précise que nous avons un rôle transversal en proposant des building blocks digitaux, par exemple pour l’authentification ou la signature, destinés à de nombreuses institutions publiques. Le tout en collaboration avec la Smals et la Chancellerie, ainsi qu’avec d’autres entités fédérées. Nous avons ainsi mis en place un comité de standardisation des différents métiers ou de co-développement des applications. C’est le cas pour MyeBox qui est utilisée par Doccle, KBC, etc. De même, pour les sources authentiques, nous entendons parler la même langue.

Enfin, nous lançons de nouvelles applications qui sont à la fois des évolutions et des révolutions. Ainsi, l’eBox évolue chez nos partenaires vers de la bidirectionnalité où le citoyen ne recevra pas seulement des messages, mais pourra y répondre. En termes de révolution, toujours dans MyeBox, des acteurs du monde du recommandé qualifié électronique pourront demain injecter des notifications ou des messages dans MyeBox. Du coup, ces acteurs pourront communiquer avec 3,5 millions de citoyens et certes avec un consentement du citoyen. Autre révolution : nous construisons le portefeuille digital du Belge qui est à la fois un défi technique et une formidable opportunité de convergence puisqu’il s’agira d’une plateforme convergente. Nous simplifions donc la vie du citoyen tout en digitalisant un maximum de procédures.

La sécurité est évidemment une priorité. Qu’en est-il ?

HAMANDE: Pour réussir le digital, il faut ajouter deux composantes importantes. D’abord, la transparence qui elle-même crée ensuite la confiance. Car la confiance permet une meilleure adoption du citoyen. Et par rapport aux grandes plateformes connues, notre défi en tant qu’administration publique est de montrer aux citoyens que l’on fait bien.

« Nous sommes souvent très critiques en oubliant le chemin déjà parcouru. »

Nous nous appuyons sur la vision Smart Nation du Secrétaire d’État qui vise à accélérer la transformation numérique du pays en trois axes : une ambition, de la convergence et de l’inclusion. Déclinée au niveau de BOSA, cette vision s’articule sur trois piliers, plus un. D’abord, repenser les applications afin qu’elles soient à la fois digitale native et mobiles, en passant d’un flux linéaire à un flux numérique. Le défi de tous est la sécurité. Il faut penser la sécurité et la protection des données by design, avec des arbitrages nécessaires entre sécurité/protection et ergonomie/convivialité. Enfin, promouvoir l’inclusion en gardant toujours à l’esprit le citoyen pour lui offrir une accessibilité maximale, mais aussi des alternatives d’accès aux services de base.

Jack Hamande (c) Emy Elleboog © Emy Elleboog

Et le pilier ‘plus un’ porte sur la simplification de la vie du citoyen et l’utilisation des applications. D’ailleurs, nous avons en place un comité de simplification administrative des processus en collaboration avec les différentes entités publiques et en concertation avec les entreprises et citoyens.

C’est ainsi que la SPF Finances a fait un travail extraordinaire de simplification des déclarations d’impôts puisque nous comptons désormais des millions de déclarations simplifiées, ce qui facilite la vie d’autant de citoyens. Plus question donc de guide explicatif complexe et de stress.

J’insiste : nous avons oublié d’être fiers. Nous sommes souvent très critiques en oubliant le chemin déjà parcouru. On a déjà fait tant de choses et il ne faut évidemment pas oublier d’avoir des ambitions, mais aujourd’hui, MyMinFin, MyPension, MaSante, la carte eID, etc. sont autant d’applications qui sont devenues à ce point naturelles que l’on a tendance à les oublier. Et mon message au secteur privé est : travaillons ensemble afin de de développer de nombreuses applications, et utilisons-les! Et nous pouvons également être fiers au niveau européen avec de nos projets digitaux qui permettent à chaque citoyen, chose exceptionnelle, de bénéficier du digital au quotidien. Avec des taux d’adoption très importants de nos applications, sans pour autant avoir obligé les citoyens, comme ce fut le cas dans certains pays nordiques.

Quels sont les défis
à venir ?

HAMANDE: Mon premier défi consiste à faire évoluer nos opérations de manière qualitative en exploitant la technologie et en augmentant l’utilisation de nos produits et services. Par ailleurs, la sécurité est évidemment un défi au quotidien, sachant que nous investissons massivement dans le contrôle sécuritaire et qu’il importe d’impliquer l’ensemble de l’écosystème, qu’il s’agisse des réseaux, des applications et des équipements des utilisateurs finaux. L’inclusion numérique fait également partie de nos priorités. Enfin, notre cycle d’innovation doit être accéléré dans un contexte d’architectures legacy qui sont en voie de modernisation afin de dégager des moyens pour innover. En effet, l’IT ne doit pas être uniquement considérée comme un centre de coûts, car il faut prendre en compte l’impact sociétal de nos mesures de simplification administrative et de digitalisation. Il faut aussi des applications durables, mais aussi optimisées pour le citoyen. Ainsi, nous allons viser 5 millions d’utilisateurs pour MyeBox, ce qui a un coût, mais génère aussi des économies. Enfin, nous avons un défi technologique d’intégration : nous étudions des technologies comme l’IA, mais il convient d’intégrer ces technologies dans des économies d’échelle et dans les cadres réglementaires existants. Nous ne voulons pas être les premiers à utiliser une technologie, mais l’utiliser de manière optimale. Utiliser l’IA dans des processus verticaux est une chose, mais l’intégrer dans des processus horizontaux implique d’autres contraintes, notamment législatives.

J’ajoute que le gouvernement nous fait confiance et investit dans le digital et dans la simplification. La meilleure manière pour nous de recevoir des moyens est d’en démontrer la valeur. Car, et c’est humain, quand tout se passe bien, on n’en voit pas la valeur. Je précise que l’on publie notre budget en toute transparence.

Jack 
Hamande

Janv. 1993 – sept. 1993 : 
Commanding Police Officer
Oct. 1993 – 1997 :
Sales & Promotion Manager (Buena Vista), The Walt Disney Company
1997 – 1998 : 
Head of International Sales, AT&T
Août 1998 – avr. 2007 : 
Director of Business Development, Verizon Systems
Avr. 2007 – août 2009 :
Head of Business Development, Cisco Systems
Août 2009 – nov. 2012 : 
Director General Staff & Organization Development, SPF Personnel et Organisation
Nov. 2012 – août 2013 : 
Director of Public Affairs, Proximus
Févr. 2015 – oct. 2016 :
Co-chair of the Reform of the Union Task Force puis Co-chair Committee 3 & Bureau of Instanbul Congress, Universal Postal Union
Janv. 2014 – janv. 2017 :
Vice Chairman Board Directors puis Board Member, Body of European Regulators for Electronic Communications (BEREC)
Oct. 2014 – déc. 2017 : Board of Directors, Egov
Mars 2017 – sept. 2021 :
Chairman of the Board puis Executive Board Member, IBPT
Depuis sept. 2021 : 
directeur général Simplification & Digitalisation, BOSA


BOSA en bref

Créé le 1er mars 2017, le SPF Stratégie et Appui (BOSA) est le partenaire fédéral dans les domaines des RH, du budget et de la comptabilité, de la transformation numérique, des marchés publics et du soutien stratégique. BOSA s’adresse principalement au gouvernement et aux organisations de l’administration fédérale et à leurs collaborateurs. Il propose également certains produits et services aux citoyens (p.ex. publication d’offres d’emploi au sein de l’administration) et aux entreprises (p.ex. mise à disposition d’une plateforme pour la digitalisation des marchés publics), et collabore avec différents niveaux de gestion (provins, communautés, communes, etc.).

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