L’Europe pourra-t-elle bientôt contrôler vos messages WhatsApp? Le Conseil européen retire de l’agenda le vote de la proposition controversée sur le contrôle du chat

European Union flags waiving at Berlaymont building of the European Commission in Brussels, Belgium © Getty Images
Pieterjan Van Leemputten

Les ministres européens devaient débattre ce jeudi sur la proposition dite de contrôle du chat, qui permettrait d’espionner massivement les citoyens via leur smartphone. Cependant, le vote a été retiré de l’agenda à la dernière minute. Or certains hommes/femmes politiques qui voteront bientôt en la matière, ne semblent pas comprendre de quoi il s’agit.

Le projet a fait l’objet d’une plus grande attention médiatique ces derniers jours, mais les lecteurs de Data News savaient début mai déjà ce qui se trouvait très concrètement sur la table, lorsque plus de 250 scientifiques avaient exprimé leurs inquiétudes dans une lettre ouverte.

De quoi s’agit-il?

La proposition poursuit fondamentalement une bonne intention: rendre impossible la diffusion d’images d’abus sexuels sur mineurs (pédopornographie ou CSAM en termes techniques). En conséquence, chaque application de communication devrait intégrer un scanner qui vérifie les images. Quiconque s’y opposera, ne sera pas autorisé à utiliser l’appli.

La vérification s’effectuera de deux manières: une comparaison sera faite avec une base de données d’images d’abus connues, alors l’IA sera ensuite utilisée pour déterminer s’il s’agit d’images nouvelles.

Le bât blesse toutefois en plusieurs points. Il est presque certain que le système commettra des erreurs et gênera ou rendra suspects des citoyens innocents. Car la photo d’un enfant nu est en soi aussi très sensible au contexte. Si elle est échangée entre deux pédophiles, il est question de pédopornographie. Mais si vous, en tant que parent, l’envoyez aux grands-parents, cela devient une photo de famille. Le risque d’erreurs est donc infini.

En même temps, une fois qu’un tel système est en place, il n’est pas bien difficile de l’étendre: à d’autres délits, mais aussi à des choses qui pourraient devenir illégales à l’avenir. C’est techniquement un jeu d’enfant que de détecter, par exemple, des conversations sur un avortement (effectué trop tard et donc illégal) ou sur certains mèmes ou autres contenus (à connotation politique).

Enfin, il est naïf de penser que ceux qui maltraitent des enfants et souhaitent partager des images de ce genre continueront de le faire sur WhatsApp, Signal ou Messenger. Il y a de très fortes chances que des applis alternatives émergent, introuvables dans l’App Store ou sur Google Play, mais disponibles via d’autres canaux. Ces applis ne respecteront pas la législation européenne et saperont ainsi l’ensemble du projet.

Résistance européenne, ignorance ou mensonges

Le contrôle du chat est débattu depuis plus d’un an, et aussitôt après que le Parlement européen a rejeté une version antérieure, des discussions ont immédiatement eu lieu sur une nouvelle.

De nombreux parlementaires européens s’opposent désormais à ‘Chatcontrol 2.0’ qui se trouve sur la table du Conseil européen aujourd’hui. Il n’est pas surprenant qu’il s’agisse principalement de membres allemands, sachant que l’ex-Allemagne de l’Est a l’expérience d’une société de surveillance où les citoyens étaient contrôlés en permanence. L’appel n’a pas été agréé par les parlementaires belges.

Le journal De Tijd s’est entretenu avec Hilde Vautmans, euro-parlementaire de l’Open VLD, qui a déclaré avoir été étroitement impliquée dans les négociations. Mais dans le journal, Vautmans fait en réalité des comparaisons erronées, suggérant qu’elle ne connaît pas, ne comprend pas ou ignore les détails.

C’est ainsi qu’elle affirme dans De Tijd qu’il n’existe actuellement aucune obligation pour les entreprises technologiques de mettre hors ligne les images d’abus sur enfants. C’est faux, car la pédopornographie est illégale et donc si une entreprise découvre un tel contenu sur ses systèmes, elle doit prendre des mesures pour s’y opposer. En 2013, par exemple, Data News avait abordéce que vous devez faire en tant qu’entreprise si vos serveurs sont utilisés à mauvais escient pour de telles images.

Vautmans établit également la comparaison avec un chien renifleur de drogue à l’aéroport qui, en cas de suspicion, conduit à des contrôles supplémentaires, ‘mais jamais sans une décision de justice’.

Ici encore, la comparaison est erronée. En effet, le chien n’effectue en l’occurrence pas de contrôles ponctuels dans un lieu précis propice à la criminalité. Au contraire, il est question dans le cas qui nous occupe d’un chien qui renifle jusque dans votre chambre à coucher 24h/24 et 7j/7. Si vous envoyez une photo osée à votre partenaire le soir, le chien reniflera pour savoir si elle met en scène un mineur d’âge.

Mais comme le système recherche également du nouveau matériel, le ‘chien’ ne reniflera pas seulement la drogue, mais aussi tout ce qui ressemble un peu à celle-ci. Pour garder l’analogie: si vous croisez le chien avec du sucre glacé sur votre manche, le chien aboiera, car cela ressemble à de la cocaïne. De la même manière, Chatcontrol vérifiera toutes vos images et liens et si des éléments suspects apparaissent plusieurs fois, vous pouvez vous attendre à un contrôle plus approfondi.

Jusqu’alors, il n’y a jamais eu d’intervention de la justice. Des centaines de millions de citoyens européens sont surveillés sans savoir comment fonctionne le système ni qui a accès à vos communications privées.

La N-VA est contre, mais a voté pour

La N-VA ne semble pas non plus pleinement adhérer au projet. Le député fédéral Michaël Freilich déclare sur X que son parti continue de s’opposer aux tentatives de contournement du cryptage. Il fait référence ici à la loi fédérale sur la conservation des données, qui a été votée sous la dernière législature.

Mais Freilich ne semble pas se rendre compte que la N-VA y a adhéré lors d’un premier vote en avril de cette année. Geert Bourgeois, Assita Kanko et Johan Van Overtveldt, entre autres, ont voté en faveur d’une suppression du cryptage. Parmi les politiciens flamands, seule Sarah Matthieu (Groen) a voté contre.

Cindy Franssen (CD&V), Guy Verhofstadt (Open VLD) et Kathleen Van Brempt (Vooruit) ont également voté pour. La liste complète des votes se trouve ici.

Une certaine hypocrisie est également perceptible au Vlaams Belang. L’année dernière, le parti avait été l’un des rares à avoir publié un communiqué dans lequel il s’opposait au scannage des messages privés. Le parlementaire européen Gerolf Annemans avait alors déjà prévenu que cela ne se limiterait pas à la pédopornographie. Mais lors du vote, la résistance a été moindre. Gerolf Annemans, Filip De Man et Tom Vandendriessche se sont abstenus, tout comme Marc Botenga (PvdA).

Ces politiciens sont-ils donc tous favorables à une société de surveillance? Peut-être pas. La proposition est systématiquement présentée comme une mesure anti-pédopornographie, ce qui ne pose guère de problème. Mais derrière cette mesure se cache un enchevêtrement technique qui sape la vie privée de tout un chacun et qui peut facilement être exploité par des régimes autoritaires, alors que dans la pratique, la mesure n’arrêtera guère les diffuseurs inconditionnels de photos d’abus d’enfants.

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