Peter Hinssen
Assez fou…
Quel privilège ! Imaginez-vous que la semaine dernière, trente chefs d’entreprise de notre petit pays ont visité la Silicon Valley, San Francisco et la Cité des Anges afin de découvrir quel sera le “next, next big thing”. C’est un vrai privilège que d’accompagner un tel groupe et de rechercher les jeunes pousses de toutes tailles, de découvrir leurs motivations et leurs perspectives. Je l’ai fait pendant des années avec des CIO, mais l’expérience est encore bien plus intense avec des chefs d’entreprise, parce qu’ils peuvent directement exploiter et transposer leurs observations.
Premier élément frappant : le monde de la technologie ne se limite plus depuis longtemps à la technologie. Nous visitons d’ailleurs aujourd’hui des jeunes pousses où les CEO n’auraient jamais mis les pieds auparavant. En effet, par le passé, la technologie était à des années-lumière des préoccupations des CEO, mais les temps ont bien changé. Les CEO d’aujourd’hui, hyperéquipés et hyperconnectés, avec leurs tablettes et smartphones, et la 4G, n’ont plus peur de la technologie. Et peuvent entretemps échanger à ce sujet…
En revanche, le nouveau petit “côté obscur” de la technologie devient un nouvel élément passionnant. Dans un premier temps, elle était la dernière de leurs préoccupations, ensuite, elle est devenue intéressante. Aujourd’hui, elle est même un peu dangereuse. La Silicon Valley reste certes la Mecque de la haute technologie, mais la plupart des jeunes pousses de la Vallée n’ambitionnent plus de devenir le nouvel Intel ou le nouvel Apple, mais bien le nouvel Uber ou le prochain AirBnb.
La technologie se la joue une peu “nasty”. Elle se pare d’une connotation. L’effet perturbateur n’est plus abstrait, mais devient tout à fait tangible. Lorsque j’ai repris mon vol à Boston, je me suis retrouvé dans un banal taxi avec des autocollants “Regulate Uber” placardés à l’intérieur. La technologie commence à fondre sur de très nombreux secteurs et cela se ressent lors de la visite de la Silicon Valley.
Our ambitions are to aim for Mars, and to colonize the planet”. Rires étouffés au sein de notre délégation belge. Une plaisanterie ? Point du tout ! La réalité !
Des sommes considérables sont également investies. Silicon Valley brasse toujours des capitaux gigantesques. L’élément le plus marquant de mon séjour a été la visite chez Andreessen-Horowitz, sans doute l’investisseur en capital-risque le plus influent aujourd’hui dans la Vallée. Cette entreprise a été créée par Marc Andreessen, le fondateur de Netscape, et Ben Horowitz, son bras droit chez Opsware, qu’ils ont vendue à HP pour 1,6 milliard $. Selon AH, le démarrage d’une start-up revient aujourd’hui 100 fois moins cher que lors de la première bulle internet grâce au nuage et au fait que les développeurs sont désormais environ 10 fois plus productifs grâce à tous les logiciels et outils. Il est donc 100 fois moins cher et 10 fois plus rapide de lancer une entreprise. Pas étonnant dès lors de voir une explosion de jeunes pousses. Et le moins qu’on puisse dire c’est que l’argent ne manque pas ! Il est hallucinant de constater qu’en l’espace de quelques années les montants sont passés de “millions” à des “milliards” de dollars. Une entreprise comme Amazon a obtenu dans la première vague de l’internet 10 millions €. Point barre. À l’époque, Google a obtenu 45 millions $ de capital-risque. Cependant, une jeune pousse comme AirBnb a décroché au début de cette année une somme d’un demi-milliard de dollars et Uber, près de 1,2 milliard $! Parce que la technologie ne se limite plus à la technologie, mais porte sur la possibilité de (re)morceler des secteurs entiers.
Et c’est peut-être là la plus grande leçon de la semaine dernière. Tout est devenu “Big”.
Oubliez toutefois les Big Data, on les connaît déjà un peu… Et puis les Big Data sont d’ores et déjà un peu “passées” dans la Silicon Valley. Non, tout est devenu Big : Big Ambitions, Big Aspirations. Non plus l’ambition de hisser l’entreprise au firmament, mais de s’inscrire dans la tendance “Out to change the world”.
La visite la plus marquante a été celle du dernier jour à SpaceX, à Los Angeles. J’avais la chance de bien connaître le CIO de SpaceX, nous siégeons ensemble dans un comité consultatif, et il a pu nous faire entrer… SpaceX est l’entreprise spatiale d’Elon Musk, le “wonderboy” qui a vendu son entreprise PayPal à eBay en devenant ainsi milliardaire. Et qui a ensuite lancé Tesla. Et SpaceX. Aujourd’hui, SpaceX est une entreprise de plus de 4.500 collaborateurs, qui a déjà 30 lancements de sa fusée Falcon à son actif. Tous couronnés de succès. SpaceX a entre-temps décroché un contrat avec la Nasa d’une valeur de 2,6 milliards $ pour remplacer la navette spatiale. Cette visite a été hallucinante. Un souvenir inoubliable. “We’re a 4,500 person startup, and we’re profitable”. Impressionnant ! Mais ses ambitions vont bien au-delà des nuages. “Our ambitions are to aim for Mars, and to colonize the planet”. Rires étouffés au sein de notre délégation belge. Une plaisanterie ? Point du tout ! La réalité ! Chaque collaborateur de l’entreprise est absolument convaincu qu’il oeuvre au sein de l’entreprise qui rendra possible les voyages sur Mars et qui préparera Mars comme “our backup planet”.
Vous avez un sentiment d’humilité infinie quand vous quittez SpaceX, et l’ambition incroyable d’avoir pu goûter à l’enthousiasme et au dynamisme de l’entreprise. Et d’en emmener une parcelle sur le vol retour vers la Belgique, où les ambitions sont nettement plus mesurées et où les réactions sont souvent du type : “Contentez-vous d’être normaux, c’est déjà assez fou.”
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