Peter Hinssen
Annus Horribilis
L’année 2013 est vite à oublier, du moins pour les informaticiens. Cette année n’aura pas été un grand cru mais plutôt une mauvaise année. Ce n’est pas qu’il n’y a pas eu de percées technologiques passionnantes, bien au contraire, voyez le lancement des lunettes Google. Le problème, c’est que 2013 a été l’année où la prophétie a eu son moment de vérité, que nous les informaticiens, nous ne sommes plus les ‘élus’ qui équipons les entreprises et nos familles en technologies flamboyantes.
L’année 2013 est vite à oublier, du moins pour les informaticiens. Cette année n’aura pas été un grand cru mais plutôt une mauvaise année. Ce n’est pas qu’il n’y a pas eu de percées technologiques passionnantes, bien au contraire, voyez le lancement des lunettes Google. Le problème, c’est que 2013 a été l’année où la prophétie a eu son moment de vérité, que nous les informaticiens, nous ne sommes plus les ‘élus’ qui équipons les entreprises et nos familles en technologies flamboyantes.
2013 a été l’année où nous avons perdu notre éclat. Prenez ces fameuses lunettes Google. Chez la plupart des entreprises, c’était souvent les marketeurs qui les portaient sur leur nez, pas les informaticiens. Ces satanés marketeurs qui étaient invités par Google, qui pouvaient tester les lunettes, et bien entendu, prendre une photo pour la poster sur Facebook et générer plus de 350 ‘likes’. C’est un coup en dessous de la ceinture pour les informaticiens, une manière de leur signifier clairement ‘qu’on n’a plus besoin d’eux’.
Gartner avait prédit voici peu que le chief marketing officer contrôlerait plus le ‘budget technologie’ que le chief information officer. Quand Gartner prédit quelque chose, il faut rester vigilant. Il n’y a pas si longtemps que ça en 2013, les informaticiens contrôlaient encore, avec une longueur d’avance, les dépenses technologiques de nos entreprises. Mais quand on se penchait sur les chiffres et que l’on établissait deux listes, on se rendait compte que ce n’était pas l’extase.
La liste IT contenait des projets réalisés par le département IT, certes importants, mais peu exaltants. La mise à niveau d’un ERP, l’implémentation d’un système de reprise après sinistre, le déploiement de l’infrastructure réseau. J’appelle cela la ‘lose list’. Ces projets sont considérables, voire parfois essentiels pour l’entreprise, mais en tant qu’informaticien, vous ne pouvez plus vous démarquer. Vous ne pouvez qu’y perdre si vous ‘bousillez’ quelque chose. Comparez donc cela avec la liste des projets technologiques du département marketing. Monitoring des médias sociaux, analyse en ligne, digital customer engagement, ou encore le développement d’une application mobile brillante. Voilà ce que j’appelle une ‘score list’. Il s’agit souvent de développements technologiques pas trop complexes (concevoir une application est très banal comparé à l’implémentation d’un ERP), mais ce sont des projets visibles qui font roucouler le CEO d’enthousiasme une fois ceux-ci installés sur son smartphone. Par un marketeur…. qui lui souffle à l’oreille que “ces projets n’ont pas été réalisés par l’IT interne mais par une digital agency en vogue de Londres.” Cela sonne mieux.
Oui, nous contrôlons plus de budget. Mais si on usurpe la plus grande partie du budget de la ‘lose list’ et que l’on ne peut plus participer à la ‘score list’, alors il y a un problème. Si on n’y prend pas garde, cela pourrait bien devenir une ‘decade horribilis’.
Mais il s’est passé autre chose en 2013. Nous avons perdu la stigmatisation de ‘Plus grande tristesse sur terre’ au sein des entreprises. L’IT a été pendant longtemps le groupe de collaborateurs le moins bien compris, certainement ces dernières années où avec la consumérisation de masse, on a été mis de côté parce qu’on ne ‘comprenait vraiment plus rien’. Mais ça suffit! Notre dernière place en popularité nous a été raflée par un groupe qui est encore plus ‘lost’ que celui des IT: le département des ressources humaines! Champagne! Nous avons un nouveau Roi des Perdants: le service du personnel et ses collaborateurs!
Enfin. Heureusement pour nous. Ces pauvres collègues des RH. En fait, c’est un peu de notre faute. La nouvelle génération de collaborateurs, qui afflue en masse dans le tissu économique, est équipée de tous les gadgets technologiques, ils amènent leurs propres ‘outils’, ont testé toutes sortes de réseaux sociaux. Ils arrivent avec leur propre laptop et leur propre smartphone, utilisent leurs propres applications ‘dans le cloud’, et surtout, ne croient plus en la ‘hiérarchie’. Fini. Ils croient au réseau. Ils débarquent dans nos entreprises avec leurs expériences en partage de l’information sur les réseaux, et se moquent du vieux concept de réflexion top-down. Ils ne croient plus aux ‘patrons’ ni aux ‘carrières’, mais ont foi dans des projets fluides et des organisations mises en réseau. Et, oui, nous avons fortement contribué à cela, c’est grâce à NOUS les technologues s’ils peuvent réaliser cela aujourd’hui. Mais cette nouvelle génération énerve le département classique des RH. Les managers RH l’observent tel un paysan qui regarde sa vache malade. Et ils sont complètement perdus. Demandez, dans les entreprises, qui sont les collègues les plus malheureux, vous verrez, ce n’est plus nous mais le département des RH. Ouf.
Peut-être s’agit-il là d’une opportunité. Ces marketeurs nous ont bien eus. Et les prédictions de Gartner vont nous suivre pendant plusieurs années. Mais peut-être que le manager des RH est notre nouvel allié. Je pense que de nombreuses entreprises vont devoir faire d’énormes progrès dans les prochaines années pour travailler autrement, nous allons devoir réinventer les entreprises pour la génération-réseau. Cela aura un plus grand impact sur les entreprises que le développement d’une page Facebook ou d’une nouvelle application mobile. Il s’agit d’un défi gigantesque que de permettre à nos entreprises de survivre dans une société-réseau, et de rester pertinente pour une toute nouvelle génération de collaborateurs.
Ce pourrait bien être notre chance pour, avec l’aide des RH, appréhender ce phénomène et de transformer notre Annus Horribilis en un moment de resplendissement. Nous montrerons alors à ces satanés marketeurs de quoi nous sommes capables.
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