Bruno Lowagie
Aller aux Etats-Unis ou pas? Telle n’est pas la question!
Suite à l’événement “The Battle of Startups, a European Valley or a Belgian Bridge”, Bart De Waele (Wijs) posait récemment la question suivante: “Le starter doit-il se rendre aux Etats-Unis? Ou peut-il rester tout aussi bien en Belgique?” Cette double question pourrait indiquer qu’une réponse “ou-ou” doit suivre, alors que pour moi, il s’agit plutôt d’une affaire “et-et”.
Suite à l’événement “The Battle of Startups, a European Valley or a Belgian Bridge”, Bart De Waele (Wijs) posait récemment la question suivante: “Le starter doit-il se rendre aux Etats-Unis? Ou peut-il rester tout aussi bien en Belgique?” Cette double question pourrait indiquer qu’une réponse “ou-ou” doit suivre, alors que pour moi, il s’agit plutôt d’une affaire “et-et”. Je suis CEO du groupe iText groep et lorsque j’examine nos entreprises, j’observe que nous avons démarré, il y a cinq ans, avec un chiffre d’affaires provenant à 100% des USA. Entre-temps, nous avons fortement progressé. En 2013, le chiffre d’affaires consolidé du groupe était de 4,5M€. Nous avons maintenant des clients dans 49 pays. 57% du chiffre d’affaires est généré aux Etats-Unis contre 2,6% en Belgique.
Voilà qui répond déjà à la première question qu’un starter doit se poser au moment de choisir le meilleur endroit pour démarrer ses activités: “Où existe-t-il un marché pour mon produit?”
S’il s’agit d’un produit IT, le marché se situe en général au niveau mondial. Et dans ce cas, un démarrage aux Etats-Unis est le meilleur choix car ce marché y est plus réceptif. De ce côté-ci de l’Océan Atlantique, il y a (par exemple de la part des pouvoirs publics) une certaine résistance à “devenir client d’une jeune entreprise”. Entreprenez donc là où il y a des clients car sans clients, pas de business!
Cela ne signifie pas que vous devez directement émigrer vers un autre pays. Car la deuxième question importante est la suivante: “Où souhaitez-vous vous-même démarrer comme fondateur?”
Aux débuts d’une startup, le personnel est le seul avoir de l’entreprise. Les fondateurs d’iText étaient mon épouse et moi-même. Nous nous sommes alors posé la question suivante: “Sommes-nous prêts à déménager aux Etats-Unis avec toute la famille?” Il y a cinq ans, notre situation familiale était telle que nous avons décidé de rester en Belgique. Le siège central de notre groupe est encore et toujours belge. Nous disposons d’une filiale en Californie et d’un bureau proche de Boston. Nous nous rendons 4 à 5 fois par an sur place. Cela fonctionne très bien ainsi.
Si c’était à refaire, nous ne redémarrerions cependant pas en Belgique, mais aux Pays-Bas ou au Luxembourg. Voilà qui nous amène à la troisième question: “Où le démarrage d’une activité est-il le plus avantageux?” Il s’agit ici d’examiner la réalité fiscale du secteur d’activité. Les revenus tirés du software (notre activité) bénéficient aux Pays-Bas et au Luxembourg des mêmes avantages fiscaux que les rentrées tirés des brevets. Si nous avions démarré dans l’un de ces pays, nous aurions dû payer ces dernières années des centaines de milliers d’euros de taxes en moins. Pour le secteur du cinéma, la Belgique est par contre la nouvelle La Mecque grâce à l’initiative Tax Shelter, alors que pour d’autres secteurs encore, le coût salarial pèse trop lourdement. Bref, les autorités jouent un rôle important. Des décisions spécifiques au niveau fiscal peuvent faire fuir tout un secteur ou l’attirer, comme Tax Shelter le démontre.
Tant qu’à parler d’argent, nous voici à la quatrième question à se poser: “Où trouver les fonds?” J’ai rencontré les capital-risqueurs de Sandhill Road au Menlo Park. Ils ont tous une check-list en tête: “Habitez-vous aux Etats-Unis? Etes-vous prêt à venir vous y installer?” Après un double non, ils veulent mettre fin à la conversation dans les plus brefs délais. Vous n’êtes pas suffisamment important pour justifier des vols aller-retour à des réunions de board en Europe.
L’emplacement est souvent déterminé par l’investisseur ou l’octroyeur de subsides, mais ne perdons pas ici de vue la perspective ad hoc. De combien d’entreprises s’agit-il en fait? Quiconque ne lit que des articles relatifs à des Belges qui ont démarré avec des fonds ou des subsides, a une image faussée de la réalité. Ni les investisseurs ni les pouvoirs publics n’ont intérêt à ce que soit diffusé le message selon lequel vous pouvez aussi démarrer sans eux. Néanmoins, il existe beaucoup d’entreprises qui, à l’instar d’iText, peuvent amorcer une activité fructueuse sans du capital extérieur ou de substantiels subsides.
Chez iText, nous considérions les conditions administratives d’obtention de subsides souvent trop drastiques et quelque peu déphasées. Pour ce qui est des capital-risqueurs, un General Partner me disait qu’il investissait dans 1 à 2 personne(s) seulement par groupe de 100 personnes qu’il rencontrait. Et l’on ne prend ici même pas en compte les gens qui ne dépassent pas le stade de l’Assistant Partner. Chez iText, nous avons décidé très tôt que l’énergie que nous risquions de perdre en vue d’amasser de l’argent, serait mieux utilisée pour en gagner. Nous avons donc recherché des clients, plutôt que des investisseurs. Il n’y a pas de capital étranger dans nos entreprises. Nous n’avons fait appel à aucun capital-risqueur, angel ou organisme prêteur.
Cela nous donne aussi plus de liberté.
Posons-nous maintenant la question finale: “Où planifier sa sortie?” Après la précédente édition du Technology Fast 50 de Deloitte, où iText occupait la 10ème place au Benelux, un autre type d’investisseur s’est mis subitement à s’intéresser à l’entreprise. Il ne s’agit plus en effet de capital-risque, mais de ‘growth equity’, comme on l’appelle en jargon. Ici, les rôles sont inversés: nous avons été contactés par plus d’investisseurs que la normale et en avons donc sélectionné deux: Bain et Northbridge.
Un ‘equity growth investor’ entend entrer dans votre entreprise, afin de vendre sa participation avec une jolie plus-value X années plus tard. Nous n’avons pas encore dit oui, mais pas non plus non: nous écoutons surtout. Chaque rencontre à ce jour s’est avérée une expérience enrichissante, parce qu’elle nous forçait à réfléchir à des aspects que nous négligions sous l’angle de notre vision belge. Par exemple: il n’y a provisoirement pas de taxe sur la plus-value des actions en Belgique (un sérieux plus), mais tel n’est pas le cas, si une entreprise belge est vendue à une société américaine. C’est un frein pour les Limited Partners. Depuis la débâcle du bonus sur liquidation, garder une entreprise est devenu moins attractif. De quoi nous faire réfléchir, mais aussi de faire réfléchir nos politiciens.
Nous optons en tout cas à présent sciemment pour une croissance durable. Nous avons réorganisé le groupe iText et installé un conseil d’administration. La question “demeurons-nous en Belgique ou pas?” reste un point à l’agenda lors des réunions du board. Et la réponse est encore et toujours la suivante: “Provisoirement non.” Mais comme la Belgique est un pays peu stable, par exemple sur le plan fiscal, la question demeure pertinente.
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